Piller les Etats,
subvertir leurs administrations fiscales,
asservir leurs citoyens contribuables captifs.
Les organisateurs de l’évasion fiscale, les fameux Big Four ont réussi à subvertir les administrations fiscales de tous les Etats qu’ils pillent : une concomitance, un « en même temps » dignes de E.Macron ! Qu’est ce qui permet de proférer une telle accusation alors que les gouvernants des Etats ne cessent de crier à cors et à cris que la lutte contre l’évasion fiscale figure dans leurs toutes premières priorités ?
La faiblesse des moyens en effectifs des administrations fiscales nationales s’oppose à l’ampleur de ceux déployés par les organisateurs de l’évasion fiscale. Le constat est affligeant, à un point tel que l’on serait tenté pour en parler, d’emprunter à Staline sa célèbre formule « Le Vatican, combien de divisions ? ». Combien de divisions face aux organisateurs de l’évasion fiscale ? Une enquête extrêmement détaillée de l’OCDE pour chacun des pays membres ainsi que l’analyse par pays des effectifs Big Four dévolus au conseil fiscal permettent de répondre.
En Belgique, les Big Four mobilisent environ 2.300 personnes pour le conseil fiscal, exclusivement. Leurs clients sont les grandes et très grandes entreprises ainsi que les riches et très riches particuliers. Et que trouvent-t-ils en face d’eux ? 2.715 agents contrôleurs qui doivent eux « contrôler » près de 7 millions de personnes physiques, plus de 622.000 sociétés, 710.000 assujettis Tva soit au total plus 8.332.000 contribuables. Le rapport de force est établi : des effectifs approchant pour les deux, les Big Four conseillant au grand maximum 0,1% de tous les contribuables quand l’administration fiscale doit en traiter, elle, 99,9%.
Le déséquilibre des moyens se confirme pour l’ensemble des pays membres de l’OCDE. Ainsi, pour la France, on peut estimer que 5.381 employés Big Four se consacrent exclusivement à du conseil fiscal, largement plus que le nombre de contrôleurs fiscaux qui doivent traiter de la totalité des entreprises quelle que soit leur taille ; si l’on fait la comparaison sur la clientèle des Big Four à savoir les grandes entreprises, le rapport de force est encore plus déséquilibré : de 1 à 20 à l’avantage des Big Four. Pour l’ensemble de l’Union Européenne, lorsque 140.164 fonctionnaires des administrations fiscales se consacrent à la fonction contrôle pour la totalité des contribuables (personnes physiques et entreprises de toutes tailles), près de 80.000 employés Big Four se consacrent eux au conseil fiscal des grandes entreprises et très riches particuliers.
Le rapport de force, aussi disproportionné soit-il, n’est en aucune manière stabilisé. Bien au contraire. En effet, d’année en année, alors que les Big Four recrutent à tour de bras, les administrations fiscales nationales diminuent elles drastiquement leurs effectifs.
Pour mémoire et pour apprécier le rapport de force sous un autre angle, rappelons que le chiffre d’affaires réalisé par les Big Four en matière de conseil fiscal s’élève à près de 34 milliards de dollars en 2018, soit presque 23% de leur chiffre d’affaires total. 34 milliards de prestations intellectuelles en matière fiscale, c’est plus que le chiffre d’affaires d’une multinationale comme Michelin (24,8 milliards, 478ème au classement mondial), comme Nokia (26,1 milliards, 457ème au classement mondial), comme La Poste (27,2 milliards, 434ème au classement mondial) et presque à égalité avec la Sncf (35,9 milliards ,320ème au classement mondial) ; plus de 2 fois le chiffre d’affaires de Monsanto (14,6 milliards en 2017). 34 milliards de dollars de prestations fiscales, c’est environ 229.000 personnes qui s’y consacrent exclusivement ! 229.000 personnes, c’est sensiblement égal aux effectifs totaux (231.548) des administrations fiscales des 3 pays suivants : France (64.762) + Allemagne (110.298) + Royaume Uni (56.488) qui ensemble constituent la troisième puissance économique mondiale ! 239.000 personnes, c’est 47% des effectifs totaux des administrations fiscales des 28 pays de l’Union Européenne, qui eux doivent gérer plusieurs centaines de millions de contribuables.
Le niveau de rémunération des agents des administrations fiscales nationales par rapport à celui des employés Big Four renforce encore le rapport de force en faveur de ces derniers. Les données OCDE montrent par exemple qu’en Belgique, le coût employeur moyen d’un employé Big Four du bas de la hiérarchie est de plus de 50% supérieur à celui d’un agent de l’administration fiscale, tous niveaux hiérarchiques confondus. Sans même forcer le trait, c’est une armée en sous-effectifs mal payés qui s’oppose à une armée de mercenaires en surnombre, suréquipés et plus que bien payés.
Les Big Four infiltrent les administrations fiscales ,leur prodiguent de coûteux conseils fiscaux et négocient en permanence avec elles des rescrits fiscaux (rulings) pour le compte de leurs clients. Les exemples pullulent et sont si probants qu’il n’est pas exagéré de prétendre qu’ils inspirent les lois, voire qu’ils les écrivent. Parmi d’autres, l’exemple Belge est particulièrement éloquent :
– Le concepteur de la taxe Caïman qui a si peu rapporté à l’Etat est Mathieu Isenbaert, premier chef de cabinet de Johan Van Overltveldt, Ministre des Finances, qui était auparavant Directeur chez EY (Ernst&Young).
– Fin 2015, un ancien “tax director” d’EY, Kristian Vanderwaeren, a été nommé administrateur-général du département Douanes et accises.
– Le système des « Excess Profit Ruling » qui a provoqué plusieurs centaines de millions d’euros d’évasion fiscale a été porté par le Ministre D.Reynders, mais sa conceptrice est Isabel Verlinden, associée chez PwC (second parmi les Big Four),reconnue comme étant une éminente spécialiste des rulings et actuellement patronne pour PwC Monde de tout ce qui a trait aux politiques des prix de transfert qui constituent une arme essentielle de l’évasion fiscale. (il y a plus de 3.100 fiscalistes, répartis dans plus de 90 pays, spécialisés dans le domaine des prix de transfert chez PwC).
– Le service des décisions anticipées (SDA) de SPF Finances qui a pour vocation de donner ou non son approbation à des montages fiscaux qui lui sont présentées par de grandes entreprises le plus souvent conseillées par les Big Four, a longtemps été présidé par Véronique Taï, ancienne de PwC et ancienne du Cabinet de l’ex Ministre des Finances, D. Reynders qui l’avait chargé de créer le système des intérêts notionnels, lui aussi à l’origine de tant de milliards d’euros de « réductions fiscales au profit des grandes entreprises. Rappelons que s’il est accepté par le SDA, le montage ne peut être remis en cause, ni par un contrôleur fiscal, ni par un juge. Il est de notoriété publique que Véronique Taï est allé jusqu’à obtenir la modification d’une circulaire administrative pour rendre conforme cette dernière à une « décision anticipée » rendue pour une filiale Belge de Total. Véronique Tai (classée MR) est à ce jour toujours membre du collège du SDA composé de 6 personnes, mais n’en est plus Présidente. La NVA en a pris le contrôle depuis 2015 et le préside en la personne de Steven Vanden Berghe, ancien collaborateur au sein du cabinet du ministre des finances Johan Van Overtveldt. Les autres membres sont 2MR pour les francophones et 1 CD&V ainsi qu’1 Open VLD pour les néerlandophones. Véronique Taï est depuis devenue « Director of Dexia Credit Local SA » depuis le 30/03/2017 et enseigne en mastère de droit fiscal à l’ULB , elle est par ailleurs membre du conseil supérieur des finances et de la commission des normes comptables.
– Il est de notoriété publique que les Big Four sont des visiteurs assidus du 24 rue de la Loi à Bruxelles, adresse du SDA (service des décisions anticipées) pour négocier des rescrits fiscaux (rulings) pour le compte de leurs clients.
– En Belgique, comme ailleurs, il est courant que des fonctionnaires de l’Etat soient détachés auprès des Big Four.
Les Big Four participent à la conception des systèmes d’information des administrations fiscales et les auditent, aussi bien au plan fonctionnel que technique. Là aussi les cas révélés ne manquent pas :
– La première partie du grand projet de modernisation du fisc lancé par l’Etat Fédéral Belge a coûté entre 2001 et 2006 la bagatelle de 150 millions d’euros, en grande partie au profit d’un tout petit nombre de consultants, dont PWC et KPMG.
– En février 2014, c’est KPMG qui est missionné par SPF Finances pour réaliser un audit de son système d’information. Les conclusions sont telles qu’elles conduisent à la « mutation » immédiate du patron de son département IT (Information Technology) en fonction depuis 2003.
– EY a été missionné pour tester la continuité des ICT (Information & Communications Technology) au sein de SPF Finances. EY indique sur son site disposer d’une vaste expérience en matière de test de la continuité des ICT au sein des institutions publiques.
Les Big Four se substituent aux administrations fiscales pour mener des études qui devraient incomber à ces dernières.
– EY mène régulièrement une enquête mondiale (la dernière date de juin 2018) dans le monde sur les pratiques corruptives et frauduleuses des entreprises. Pour la Belgique, son dernier rapport indique que le niveau global de corruption aurait doublé en 6 ans. Selon l’enquête, la Belgique se situerait très largement devant tous les autres pays développés et de tous les pays de l’Europe occidentale. C’est EY qui le dit !
– Deloitte a été choisi par le gouvernement pour évaluer les acteurs belges de la coopération au développement non gouvernementale, l’évaluation représente un coût se situant entre 550 et 650000 euros. La précédente évaluation avait été effectuée par PwC en 2010.
– Deloitte a réalisé une étude sur l’égalité de traitement des entreprises en matière d’impôt société et de Tva. (sans doute en excluant ses clients avides d’évasion fiscale…)
Les administrations fiscales sous-traitent de plus en plus certaines de leurs activités et ouvrent ainsi de nouveaux marchés aux Big Four. L’étude de l’OCDE le montre clairement, de plus en plus de pays sous-traitent certaines de leurs fonctions. C’est encore très inégal d’un pays à l’autre, mais le mouvement est en progression notable et laisse entrevoir à terme la possibilité d’une gestion privée d’une bonne partie des activités opérationnelles des administrations fiscales.
Les Big Four ont remporté une victoire totale sur les administrations fiscales nationales. Ils sont trop prudents pour le dire eux-mêmes. C’est le patron de la lutte contre l’évasion fiscale à l’OCDE, Monsieur de Saint Amans, le Monsieur Fiscalité, comme on l’appelle là bas (celui qui brandit toujours le fameux projet BEPS pour expliquer au citoyen lambda, que l’évasion fiscale, il s’en occupe) qui va l’officialiser. Il a déclaré tout récemment « je pense sincèrement que ce processus de lutte contre l’évasion fiscale s’achève. Il faut maintenant déployer nos efforts pour lutter contre la concurrence fiscale » !!!! (dans le monde ….s’il vous plaît). Dans l’esprit de ce Monsieur, il ne s’agit pas d’une capitulation en rase campagne, mais de la fin d’une lutte censée avoir porté ses fruits ! Il précise toutefois: « Par contre, si dans 5 ans les chiffres n’ont pas significativement baissé, là nous aurons un problème ». Curieuse réserve de la part de celui qui était censé mener la guerre contre l’évasion fiscale. Même les Big Four n’auraient pas osé rêver d’une telle déclaration ! Ils se disent en secret que le projet BEPS leur a permis de facturer des millions de prestations : non seulement, ils étaient partie prenante des grandes réunions organisées par l’OCDE sur le sujet, mais ils ont en outre sophistiqué un peu plus tous leurs schémas d’évasion fiscale proposés à leurs clients contre honoraires sonnants et trébuchants. Le nouveau projet de lutte contre la concurrence fiscale vient à point pour leur offrir de nouvelles perspectives de prestations.
Le marché des contribuables captifs constitue également une cible pour les Big Four. La gestion des évadés fiscaux n’est en effet pas exclusive de celle des contribuables captifs, elle pourrait même s’avérer remarquablement complémentaire tant la logique qui la sous-tend est implacable : les évadés fiscaux sont par définition à l’abri de toute mesure de lutte contre la fraude (ayant la taille économique pour s’évader, ils n’ont aucune raison de frauder, la fraude étant « l’évasion du pauvre »), l’impôt payé par les contribuables captifs doit être suffisant pour notamment permettre de financer les infrastructures de toutes sortes dont ont besoin les clients des Big Four pour exercer leur activité économique mais aussi les subsides que ces derniers négocient durement auprès des Etats pour s’implanter ; il y a donc nécessité de mettre en place de vastes programmes de contrôle des contribuables captifs. Dans ces matières, les Big Four sont experts : experts en dossiers de subventions, experts en fiscalité, experts en « big data », experts en intelligence artificielle, experts en block chain ; autant de moyens de poursuivre la course effrénée à la croissance de leurs profits qui se conclura par un contrôle robotisé permanent des citoyens captifs.
Les effectifs Big Four déclarés comme se consacrant exclusivement au conseil fiscal n’incluent pas les effectifs indirects qui s’y consacrent partiellement. Les employés Big Four dévolus à 100% au conseil fiscal ne travaillent pas en chambre. Ils ont besoin de collaborer intensément avec leurs homologues intervenant dans les domaines de l’audit et de la certification des comptes. Il n’y a pas de schéma d’évasion fiscale digne de ce nom qui ne puisse être fondé sur une connaissance intime des données comptables, non seulement des données de comptabilité générale mais aussi de comptabilité analytique. Si les Big Four tenaient compte de ces effectifs indirects qui se consacrent aussi au conseil fiscal, les 229.000 employés Big Four qui s’y consacrent directement passeraient vraisemblablement à au moins 300.000 personnes qui s’y consacrent directement et indirectement.
L’affaiblissement des administrations fiscales nationales provoqué délibérément par les pouvoirs en place s’accompagne d’une diminution de leur capacité à faire face à la « puissance de feu » des fiscalistes Big Four. Un simple exemple illustre cette puissance de feu. PwC produit chaque année un rapport mondial couvrant 152 pays résumant pour chacun la réglementation en matière d’impôt société. Il faut arriver à la 46ème page pour découvrir jusqu’à la 60ème page les règles fiscales de l’impôt société pour Antigua et Barbuda. C’est essentiel pour un évadé fiscal. Et quand l’on parvient à la fin du rapport à la 2839ème page, on s’est fait une idée de ce qu’est l’impôt société dans la plupart des paradis fiscaux du monde. Pwc mobilise en permanence plus de 3.100 personnes sur le seul thème des prix de transfert (arme essentielle en matière d’évasion fiscale). Les Big Four, ensemble, en utilisent vraisemblablement plus de 12.000. Les administrations fiscales nationales ne sont plus en mesure de dégager les ressources suffisantes pour lutter contre une telle machine de guerre et il est bien rare qu’elles se risquent à affronter les Big Four devant les Tribunaux.
La guerre est perdue, mais l’adversaire est décoré. Pour avoir été pendant 30 années la « cheville ouvrière » de l’expansion de PwC au Luxembourg, la Ministre des Finances (France) Christine Lagarde (devenue depuis Directrice Générale du FMI) a remis à Madame Marie-Jeanne Chèvremont la Légion d’Honneur le 14/07/2011. On aurait pu imaginer que cela marque la fin d’une carrière ? Non , la récipiendaire s’est ensuite tournée vers des activités de conseil de haut niveau, notamment au sein de la banque Edmond de Rotschild.
La boucle est bouclée : autour du cou du citoyen contribuable captif qui, s’il veut échapper à un véritable apartheid fiscal, doit nécessairement en prendre conscience et réagir.