Pourquoi aussi bien la France que les USA/Otan développent de plus en plus dans leurs doctrines respectives des stratégies complémentaires, voire alternatives à leurs forces de dissuasions ?

La « première frappe nucléaire d’avertissement » dans la doctrine de la défense française, en vue officiellement de « rétablir la dissuasion qui aurait échoué » (et qui aurait en réalité comme effet très probable de démarrer une guerre nucléaire), le « first use » dans la doctrine nucléaire USA et, en perspective, un « preemptive automated strategic system based on artificial intelligence » (1), ainsi que l’installation d’anti-missiles dans des Pays de l’Est de l’Europe (Roumanie, Pologne…) démontrent on ne peut plus clairement le peu de confiance que ces Etats ont dans la pertinence et la fiabilité de leurs forces de dissuasion.

Mais est-ce que ces stratégies de plus en plus agressives, peuvent réellement compenser les faiblesses des différentes forces de dissuasion ?

Certainement pas ! En effet, même une attaque préventive pilotée par une intelligence artificielle ne pourrait pas empêcher une riposte massive à partir des sous-marins, tant que ces derniers resteront invisibles et donc inattaquables.

Tout cela sans compter le risque pas du tout négligeable d’une erreur fatale de la part d’une ‘intelligence artificielle’, ainsi que le caractère totalement inacceptable sur le plan humanitaire d’une quelconque frappe nucléaire.

Il est donc grand temps pour les dirigeants des Etats nucléaires de prendre conscience que la recherche d’une sécurité de leur Pays basée sur les armes nucléaires les a désormais conduits dans une voie sans issue, dans laquelle le risque d’une guerre nucléaire régionale et/ou mondiale (l’holocauste) grandit tous les jours, et l’horloge des ‘scientifiques atomiques’ est là pour nous rappeler que nous sommes déjà actuellement à « deux minutes de minuit » c’est-à-dire de l’Apocalypse.

 

Quel est donc la seule vraie alternative ? De toute évidence celle d’un désarmement nucléaire totale, vérifiable et irréversible à l’échelle de notre planète.

Comment y parvenir ?

On peut considérer deux approches complémentaires :

a) celle du Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires (TIAN), adopté par 122 Etats (plus 5 autres Etats qui l’ont signé ultérieurement) le 7/7/2017 à New York par l’Assemblée Générale de l’ONU, traité qui rend ILLEGALES les armes nucléaires au regard du Droit International, son entrée en vigueur étant prévue dans environ 1 an, lorsque le 50ième Etat l’aura ratifié, et

b) celle d’une élimination effective des armements nucléaires à l’échelle mondiale, dont le premier pas pourrait être la création d’un Groupe de travail, constitué d’experts des 9 Pays nucléaires (un WG9) avec la mission spécifique de formuler une ‘feuille de route’ réaliste pour un tel désarmement, qui servirait ensuite de base pour des négociations entre les 9 Etats nucléaires et leurs alliés.

Qui pourrait démarrer une telle initiative ? On peut penser à la Chine, qui n’a pas fait obstacle au processus qui a conduit à la formulation et à l’adoption du TIAN, qui, d’autre part, exclue totalement de sa doctrine toute forme d’attaque nucléaire ‘en premier’ et qui maintient ses armes nucléaires (vingt fois moins nombreuses que celles des USA ou de la Russie) au plus faible niveau d’alerte (2).

Et pour terminer, voici une perspective plus vaste et ambitieuse dans le moyen et long terme.

D’abord un constat : « Les dirigeants politiques des Etats du Monde souvent ne sont pas assez ambitieux »

Je m’explique : lorsqu’un candidat est nommé à la tête d’un Etat, le plus souvent son ambition se limite (au mieux) à l’intérêt pour son propre Pays, à sa réussite sur le plan économique, à la promotion sociale de son peuple, à la robustesse de sa défense, etc. et cela peu importe si c’est au détriment d’autres Pays et/ou de notre planète.

(Et, dans certains cas le rapport avec les autres Pays est même un rapport de domination : comme, par exemple, la « full spectrum dominance » dans la doctrine et très souvent dans la pratique des USA).

C’est cette attitude, présente depuis la nuit des temps, qui a conduit au monde actuel avec ses problèmes gravissimes : la précarité et la misère d’une grande partie de l’Humanité, le réchauffement climatique, la pollution de l’environnement, les conflits incessants et les armes nucléaires de plus en plus menaçantes. C’est l’attitude on ne peut plus myope du « chacun pour soi ».

Or, tous ces problèmes gravissimes se situent au niveau mondial, ce qui exige par conséquent une gouvernance mondiale afin qu’ils puissent être abordés d’une manière pertinente et efficace.

C’est pour cela qu’il faut que l’ambition des dirigeants politiques des différents Pays soit à la hauteur de cet enjeu, qui nécessite la construction d’une gouvernance qui soit donc mondiale, et qui place à son centre l’Homme, avec ses valeurs de solidarité et de responsabilité.

D’où vient cette attitude du « chacun pour soi » ? Je crois que ses racines se trouvent dans la formation de chacun (notamment dans le monde occidental) qui se préoccupe uniquement de la réussite individuelle, et cela depuis le plus jeune âge, au lieu de la réussite collective (de sa classe, par exemple). Ensuite cette attitude se développe tout au long de la vie, et notamment dans le monde du travail, souvent caractérisée par une compétitivité acharnée.

Mais… il y a des exceptions notables, telles que :

– la création des Nations Unies, l’ONU, avec ses articulations : l’UNESCO, l’OMS…

– la création de la Croix Rouge Internationale et du Croissant Rouge International ;

– la création progressive de l’Union Européenne après la 2ème Guerre Mondiale, qui, en dépit de tous ses défauts, a eu, et possède encore, le mérite d’exister, et cela tout d’abord dans l’intérêt de la paix ;

– la culture du « Tianxia » (=Tout sous un même ciel) dans la tradition chinoise (3), qui préconise un monde unifié et pacifié, caractérisé par un régime de coopération universelle, par opposition à un régime de compétition à outrance et de conflits sans fin, voire de domination par les plus puissants.

Ces exceptions, en dépit de leurs limites actuelles, pourraient nous aider à aller plus loin, vers la réalisation d’une vraie Gouvernance Mondiale.

 

Quant aux motivations pour les dirigeants politiques (Chefs d’Etat, ministres, parlementaires) : quoi de plus motivant et gratifiant que de contribuer à résoudre les problèmes de l’Humanité dans sa globalité, plutôt que seulement ceux de son propre Pays ?

Sans compter que la réalisation d’une Gouvernance Mondiale est la seule voie pour justement résoudre les problèmes les plus graves de chacun des Pays !

Si vis Pacem pro Patria tua, para Pacem in Mundo

(Si tu veux la Paix pour ton Pays, prépare la Paix dans le Monde)

Notes

(1) Voir l’article : ‘America needs a « dead hand »’ par Adam Lowther et Curtis McGiffin dans la revue ‘War on the rocks” du 16 août 2019 ;

(2) Voir le dernier ‘Livre blanc’ chinois : « China’s National Defense in the New Era », Foreign Languages Press Co, Beijing (2019) ;

(3) Voir ‘Tianxia, tout sous un même ciel’ par Zhao Tingyang’ Ed. du Cerf (2018), l’édition originale chinoise est parue chez China CITIC Press en janvier 2016.