Les changements climatiques sont largement reconnus comme une menace pour la paix et la sécurité internationale. Au centre de cette relation entre le climat et sécurité, on trouve généralement les migrants. Ce sont eux qui, poussées à l’exil par les dégradations de leur environnement, créeraient une pression démographique insupportable sur les ressources raréfiées, générant ainsi compétition, tensions et conflits.
En 2013, le nombre de personnes déplacées en raison de catastrophe naturelles a atteint les 22 millions, soit deux fois plus que dans les 1970. A mesure que les dérèglements climatiques et environnementaux s’amplifient, les flux migratoires intensifient. Selon, l’Organisation mondiale des migrations (OIM), d’ici à 2050, entre 200 millions et 1 milliard de personnes pourraient devoir quitter leur lieu de résidence actuel en raison des impacts liés au changement climatique.
On a longtemps estimé que les aléas naturels ne provoquaient pas de flux migratoires à proprement parler, mais plutôt des déplacements temporaires de populations. Mais, depuis que l’ouragan Katrina a dévasté une partie des Etats-Unis, en août 2005, un peu plus d’un tiers de la population de La Nouvelle-Orléans n’est jamais revenue dans la ville. Contrairement à une idée reçue, les déplacements provoqués par les catastrophes naturelles n’offrent pas toujours la possibilité d’un retour dans la région d’origine.
Toutefois, présenter les migrants comme une menace pour la sécurité et la stabilité internationale est-elle la bonne façon d’aborder ce problème?
Traditionnellement, la notion de sécurité renvoie à des questions de souveraineté nationale, d’intégrité territoriale et de tranquillité des citoyens. Aujourd’hui cette notion s’est étendue au domaine environnemental et les études sur le lien entre changement climatique et sécurité se multiplient. Les spécialistes des questions de l’environnement y voient déjà le changement climatique comme un facteur multiplicateur de menaces et de risques pour la Communauté Internationale, puisque celui-ci renforce les tendances, les tensions et l’instabilité existantes. Les déplacements massifs et forcés de population pourraient ainsi, à terme, représenter une menace pour la stabilité mondiale.
Le tout premier enjeu de sécurité relève de la protection de ces populations déplacées, dont les besoins fondamentaux sont, la plupart du temps, insatisfaits lors du déplacement forcé puis au sein des camps dans lesquels ils trouvent refuge. Le risque de violation des droits de l’homme est grand et ces « peuples en danger » sont également exposés à des risques sanitaires majeurs. Il est vrai que l’augmentation des températures est propice à une prolifération plus rapide des maladies et les inondations quant à elles augmentent les risques de maladies infectieuses à transmission hydrique.
Faut-il créer un nouveau statut pour les réfugiés climatiques?
En se fondant sur le dernier rapport du le Groupe International d’Experts sur le Climat (GIEC) paru à la fin de l’année 2014, on peut affirmer que, ne serait-ce qu’en raison de l’élévation du niveau de la mer (possiblement un mètre d’ici la fin du siècle, selon les prévisions), 900 millions d’individus, seraient exposées à un risque naturel élevé. Pourtant, la multiplicité des situations dans lesquelles ces migrants se trouvent, et souvent des facteurs poussant au départ, rend inapplicable aux victimes du changement climatique les catégories juridiques actuelles distinguant migrants économiques volontaires, réfugiés internationaux persécutés et déplacés internes. Si le vide juridique persiste pour cette nouvelle catégorie de réfugiés, la Communauté Internationale va se trouver confrontée à des risques majeurs en matière sécuritaire, comme l’a démontré un rapport de l’OTAN de 2007 dans lequel la dimension de risque pour la sécurité mondiale du changement climatique est mise en exergue. Les migrations forcées induites par ce changement climatique sont vues, par ce rapport, comme étant une menace sérieuse. On constate que les hommes politiques ont commencé à se saisir de la question et plusieurs résolutions ont été déposées en vue de réclamer l’adoption d’un statut international de « réfugié climatique », notamment auprès des Sénats belge et australien et du Conseil de l’Europe.
Le changement climatique est loin d’être uniforme et ses effets se traduiront par une multitude d’impacts sur l’environnement. On distingue généralement trois types de conséquences susceptibles de provoquer des flux migratoires significatifs : l’intensité accrue des catastrophes naturelles, la hausse du niveau des mers et la raréfaction des ressources en eau potable – également appelée « stress hydrique ». Ces changements ne produiront pas des migrations similaires et n’appellent donc pas des stratégies d’adaptation identiques.
En premier lieu, le changement climatique se traduira par une augmentation de la fréquence et de l’intensité des catastrophes sociales liées à des aléas naturels : les inondations seront ainsi plus fréquentes et les ouragans plus violents. Au cours des dernières années, le nombre de catastrophes liées à de tels épisodes a déjà augmenté significativement, en premier lieu en raison de la plus grande vulnérabilité des populations exposées : une catastrophe n’est jamais purement naturelle, mais résulte de la rencontre entre un risque naturel et une population vulnérable. Alors que la vulnérabilité des populations s’est accrue au cours des dernières années en raison de la pression démographique et de la croissance de la pauvreté, le changement climatique va, lui, augmenter les risques naturels. Ceux-ci affectent les pays du sud de manière disproportionnée, et l’Asie est de loin le continent le plus touché.
Afrique, « impact du changement climatique » et phénomène de migration ou l’injustice absoluce
Si l’environnement a toujours été un facteur important de migrations, les impacts attendus du changement climatique transforment la relation complexe qui existe entre les dégradations de l’environnement et les flux migratoires, qu’ils soient forcés ou volontaires.
Les conséquences du changement climatique sont injustement réparties, parce que ceux qui en sont les principaux responsables en subissent pour autant qu’on puisse prévoir, le moins de dommages, et qu’ils ont les plus grandes chances de tirer profit de la situation. Inversement, sont le plus touchées les régions du monde qui n’ont jusqu’ici guère contribué à la somme totale des émissions causant le réchauffement.
Pour mesurer au mieux ces risques, il est essentiel de s’intéresser aux populations qui sont déjà directement victimes du réchauffement climatique.
Quoique l’on sache encore peu de choses sur la manière dont les populations réagissent aux dégradations de l’environnement, les « migrations climatiques » sont généralement présentées comme l’une des conséquences les plus dramatiques du réchauffement global. Cette conception participe largement d’une vision déterministe du phénomène, dans laquelle les migrants sont uniquement présentés comme des victimes sans ressources. Une expérience des ONG humanitaires montre pourtant que la migration peut également traduire une stratégie adoptée par les migrants, pour peu qu’on leur en donne les moyens, afin de s’adapter aux dégradations de leur environnement immédiat.
L’Afrique est selon le GIEC l’un des continents les plus vulnérables au changement climatique. Le manque d’eau, la chute des rendements agricoles, les systèmes politiques instables, ou encore la pression démographique importante n’arrangent en rien les impacts déjà néfastes de ce dernier. Au contraire, cela vient intensifier les crises politiques et le phénomène de pression migratoire. La région Sahélienne est souvent décrite comme étant l’une des régions du monde les plus naturellement soumises à une variabilité extrême du climat, oscillant entre des périodes de sécheresses intenses et des périodes pendant lesquelles les précipitations sont extrêmement violentes. Ces populations ont ainsi traditionnellement développé des pratiques culturelles et culturales d’adaptation à la variable climatique. La migration est traditionnellement ancrée dans les mœurs des peuples du Sahel. Toutefois, le réchauffement climatique bouleverse peu à peu les mécanismes traditionnels d’adaptation et introduit de nouveaux comportements. De plus en plus de personnes quittent la région sahélienne et nous assistons à une diffusion de cette pratique migratoire tout le long du fleuve Sénégal. L’intensité des sécheresses rend certaines terres incultivables, ce qui change de manière considérable les pratiques agro-pastorales et accroît la précarité socioéconomique des populations locales confrontées au problème du partage des ressources alimentaires, déjà traditionnellement maigres. Le projet migratoire devient alors la seule solution d’adaptation envisageable.
Aujourd’hui, une exacerbation des tensions entre les groupes tribaux est déjà perceptible à cause du difficile accès à la fois à la terre et à l’eau. Cela provoque notamment une compétition entre les éleveurs nomades du Sahel et les paysans sédentaires du Ghana par exemple. Si ce type de conflits peut être perçu comme étant à dominante ethno-religieuse, le réchauffement climatique a un impact évident et désastreux sur une situation politico-sociale déjà catastrophique et aiguise de fait les inégalités entre communautés, notamment en favorisant les élites locales.
Au Soudan par exemple plus de 690,000 personnes pourront être amenées à partir, en Somalie, plus de 390,000 personnes pourraient être concernées par un départ. Ces processus migratoires d’ampleur pourront être à l’origine d’importantes violences. On peut parler en effet d’un risque de « conflits intérieurs violents ». Les conflits seraient liés au fait que les populations se déplacent notamment en interne- c’est-à-dire, en restant dans leur pays d’origine, afin de rechercher de nouveaux pâturages ou encore de nouvelles terres à exploiter. « C’est cela et non la détérioration écologique en elle-même qui entraîne alors des conflits ». Selon plusieurs sociologues, « les migrations que provoquent les changements environnementaux à l’intérieur des Etats entraînent de graves conflits qui sont autant de violences causées indirectement par le réchauffement ».
De plus, ces déplacements forcés pourront multiplier le nombre de conflits transfrontaliers. En raison, par exemple de l’assèchement des cours d’eau qui constituaient à l’origine des frontières naturelles. Si des mouvements de populations franchissent ces frontières à la recherche de nouvelles terres, cela risque de développer des tensions avec les populations locales déjà installées.
La coalition climat prend l’exemple de Lagos, la plus grande ville du Nigéria, et l’une des plus grandes villes d’Afrique après le Caire et Kinshasa comptant 18 millions d’habitants et dont la croissance démographique est l’une des plus importante au monde. Cette ville risque à terme une inondation partielle, or l’inondation d’une ville qui compte autant d’habitants représente une menace pour la stabilité de toute la région de l’Afrique de l’Ouest. Dans cette région du monde où les Etats sont faibles, les risques de conflits seront presque inévitables.
Toutefois, nous aurions tort de penser que ces situations ne se produiront que dans les régions du monde en développement, déjà vulnérables. La gestion de la crise autour de l’ouragan Katrina en 2005 à démontrer que même des Etats aux infrastructures stables pouvaient être totalement déstabilisés par des phénomènes climatiques de grande ampleur entraînant des migrations forcées massives.
Néanmoins, l’Europe n’est pas à l’abri : Lors de l’été 2003, les températures caniculaires ont provoqué la mort de près de 30 000 personnes en Europe occidentale. La tempête Xynthia, qui s’est abattue le 28 février 2010 sur plusieurs communes de Vendée et de Poitou-Charentes, a mis en lumière la vulnérabilité de nombreuses zones côtières en France.
On estime ainsi que le niveau des océans montera d’environ un mètre d’ici à la fin de ce siècle, même si des variations régionales se produiront. Or, les régions côtières et deltaïques comptent, comme on le sait, parmi les plus densément peuplées : de nombreuses métropoles y sont installées, et seront directement menacées d’inondation si des mesures conséquentes d’adaptation ne sont pas prises rapidement (construction de digues, restauration des littoraux, etc.).
Outre ces mouvements internes, l’Europe doit-elle s’attendre à des flux migratoires majeurs en provenance d’autres continents ? Comparativement, cette partie du monde sera moins touchée par les impacts du changement climatique que l’Afrique ou l’Asie, où ils seront beaucoup plus dévastateurs. Même si l’on a tendance à imaginer qu’un nombre important de migrants pourraient chercher en Europe un cadre de vie plus favorable, l’ensemble des recherches montrent néanmoins que les dégradations attendues de l’environnement provoqueront un nombre relativement faible de migrations internationales, comparativement du moins à l’ampleur des migrations internes.
Plusieurs données viennent expliquer ce constat : en premier lieu, les migrants chercheront avant tout à se mettre à l’abri des impacts du changement climatique, plutôt qu’à quitter leur pays. Dès lors, la migration s’effectuera généralement sur de petites distances, les migrants cherchant également à maintenir certains réseaux sociaux et familiaux, de même qu’une activité économique.
Une deuxième raison tient aux coûts de la migration : le dernier rapport sur le développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) montre ainsi que le coût de la migration s’élève respectivement à l’équivalent de 6 ou 5 ans de salaire. Les populations vivant dans les régions qui seront les plus touchées par le changement climatique étant bien souvent socialement vulnérables, la migration internationale leur sera fréquemment inaccessible d’un point de vue financier. Enfin, les barrières à la migration internationale restent importantes : tant au nord qu’au sud, l’évolution des politiques migratoires est caractérisée par une plus grande restriction des mouvements internationaux, qui passe parfois par la construction de murs et de clôtures de sécurité, comme c’est le cas de Frontex en Europe et entre l’Inde et le Bangladesh.
Donc si rien n’est fait dans les dix années avenirs, l’Europe doit donc s’attendre à des flux migratoires importants en provenance d’autres continents sous l’effet du changement climatique. Il est néanmoins probable que les mouvements migratoires actuels, en particulier ceux provenant du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, s’accentueront sous la pression de plus fortes contraintes environnementales.
C’est ainsi que la coalition climat qui regroupe une plateforme d’ONG françaises à travailler depuis plus de six mois sur le sujet intitulée Changements climatiques, sécurité et migration internationale. La question des migrations environnementales a été présentée comme une menace pour la sécurité internationale, c’est cette approche que la Coalition climat invite à prendre en compte « dans l’élaboration d’une politique migratoire internationale et d’un accord contraignant à la fin de ce sommet. Le texte recommande la mise au point d’instruments internationaux de protection et d’assistance pour les populations déplacées en raison du changement climatique. Le texte recommande notamment la création d’une convention du Conseil de l’Europe pour la reconnaissance d’un statut et l’octroi de droits aux migrants environnementaux, ainsi que l’élaboration d’un protocole additionnel sur le droit à un environnement sain et sûr, ajouté à la Convention européenne des droits de l’homme.
On estime ainsi que la communauté internationale va devoir faire face demain à des afflux massifs d’immigrants, poussés sur les routes de l’exil par les impacts du changement climatique. En réalité, l’enjeu migratoire lié au réchauffement global se trouve plutôt, pour l’Europe, au niveau interne : la plupart des mouvements s’effectueront sur de faibles distances, à l’intérieur des frontières nationales. Pour autant, l’Europe aurait tort de minimiser l’enjeu migratoire lié aux désordres climatiques : elle-même sera relativement épargnée, mais ce ne sera pas le cas d’autres régions, et des pays du sud en particulier. En tant qu’émetteur majeur de gaz à effet de serre, l’Europe a une responsabilité particulière concernant les flux migratoires qui seront générés dans les pays en développement, alors que l’implication de ces pays dans le changement climatique est infime. C’est finalement dans la manière dont l’Europe assumera cette responsabilité que se trouve sans doute le véritable enjeu migratoire européen du changement climatique.
Les principales questions politiques avant le texte final – COP21 !
Trois principales questions politiques ont tenues la tête: la différenciation (qui fait quoi), les financements (l’argent promis aux pays en voie de développement) et l’ambition (objectif de long terme) font encore débat. Pour ministre Français des Affaires Etrangères Laurent Fabius l’objectif n’est plus d’écouter les doléances, mais de trouver des convergences. «Nous savons que le compromis implique par nature de renoncer à l’idéal de chacun pour atteindre ce qui est souhaitable pour tous», a rappelé, jeudi, Laurent Fabius.
Quelques propositions de simplification ont été faites.
- S’accorder sur un objectif de long terme: limiter le réchauffement «bien en-dessous des 2°C» et «poursuivre les efforts pour limiter la hausse des températures à 1,5°C». Néanmoins les objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre nécessaires ont disparu pour être remplacés par une formule plus vague.
- atteindre un pic le plus rapidement possible avant de réduire les émissions pour atteindre la «neutralité» dans la seconde partie du siècle. Une nouveauté dans cette formulation: les pays en voie de développement pourraient atteindre leur pic d’émission plus tardivement. Sur la question de la révision des engagements volontaires pris par les pays afin de limiter leurs émissions de CO2, le texte prévoit un premier inventaire en 2023.
- Puis une révision à la hausse des ambitions tous les cinq ans à partir de 2025. Les pays les moins développés seraient exemptés de cet exercice pour le moment.
S’agissant des financements, il est reconnu que les pays développés devraient tenir leur engagement minimum de 100 milliards de dollars annuels promis aux pays en voie de développement. Les autres pourront fournir une aide, mais sur la base du volontariat. Aucune clé de répartition ne figure dans le projet d’accord entre les sommes destinées à la réduction des émissions ou à l’adaptation aux conséquences du réchauffement. Ce projet d’accord signifie clairement que l’enveloppe de 100 milliards de dollars par an que les pays riches ont promis de leur verser d’ici à 2020 est un « plancher ».
La différenciation sur les efforts à fournir entre pays riches et pays en développement reste cependant le principal point d’achoppement.
Article présenté par Zaïnoul Abidine BARRY
Juriste/membre COALITION CLIMAT 21