Les manifestants ont envahi les rues en juin, mais les racines du conflit entre l’île et la Chine continentale sont profondes.
Depuis plus de trois mois, des habitants de Hongkong se sont rassemblés dans les rues pour protester contre un projet de loi sur l’extradition. Les critiques disent que cela permettrait à la Chine d’extrader des étudiants, des journalistes et des hommes d’affaires dissidents vers le continent, où ils pourraient être emprisonnés pour leurs opinions. Les rassemblements et les marches de dizaines de milliers de personnes ont atteint peut-être près de deux millions à leur apogée.
« J’étais très en colère contre le projet de loi », dit Adrian Leong, un ancien résident de Hong Kong et activiste politique à San Francisco. « Tout le monde pouvait se voir en difficulté. »
Mais les partisans du gouvernement de Pékin disent que le projet de loi ne permettrait l’extradition que des personnes accusées de crimes graves, et non des dissidents politiques. Selon eux, les gouvernements et les médias occidentaux utilisent la fausse question de l’extradition pour fomenter les dissensions entre Hong Kong et le continent.
« Ils veulent que la Chine s’effondre et meure », dit sur YouTube Nathan Rich, un blogueur américain qui vit en Chine.
Pour éclairer ces revendications concurrentes, nous devons comprendre l’histoire de Hong Kong.
Les Guerres de l’opium
À partir de la fin du XIXe siècle, la British East India Company a vendu illégalement de l’opium à la Chine. Dans les années 1830, les entrepreneurs britanniques et américains devinrent fabuleusement riches en vendant de l’opium et en intoxicant des millions de Chinois. Lorsque le gouvernement chinois ordonna l’arrêt des ventes, les Britanniques envoyèrent des canonnières dans les ports chinois et menèrent la première guerre de l’Opium de 1839 à 1842.
La dynastie Qing perdit la guerre et fut forcée de céder l’île de Hong Kong aux Britanniques, ainsi que certaines parties d’autres villes portuaires. Les Britanniques lancèrent la Seconde Guerre de l’opium de 1853 à 1858, au cours de laquelle ils prirent davantage de territoire chinois et forcèrent la Chine à légaliser l’opium.
Pendant des siècles, la Chine a eu la plus grande économie du monde (Ndt jusqu’aux « grandes découvertes européennes » du 16° siècle), vendant bien plus de biens à l’étranger qu’elle n’en importait. Les guerres de l’opium ont été menées au nom du « libre-échange », c’est-à-dire le droit des barons britanniques et américains de la drogue à ouvrir le marché chinois.
Impérialisme moderne
La vente de drogue à la Chine ne s’est pas terminée au XIXe siècle. Sous le règne du président Ronald Reagan, par exemple, les États-Unis ont forcé la Chine, le Japon, la Corée du Sud et Taiwan à acheter des cigarettes fabriquées aux Etats-Unis, le tout au nom de l’ouverture de leurs marchés au libre-échange. (Ndt : l’impérialisme étasunien continue à utiliser la drogue contre ses adversaires extérieurs et intérieurs)
Mais dans les années 1980, la République populaire de Chine a émergé comme grande puissance mondiale, et la Grande-Bretagne a accepté d’abandonner Hong Kong. En 1997, la Grande-Bretagne a restitué Hong Kong à la souveraineté chinoise en acceptant de maintenir deux systèmes politiques et économiques différents. On l’a appelé « un pays, deux systèmes ».
Ce principe « Un pays, deux systèmes » a été une étape audacieuse, quelque chose qui n’avait jamais été essayé auparavant. La Chine maintiendrait son économie socialiste; Hong Kong resterait capitaliste. Hong Kong conserverait des institutions de gouvernance établies par le Royaume-Uni, y compris des tribunaux indépendants, mais aussi des élections indirectes de dirigeants politiques. Un pays, deux systèmes durerait 50 ans. (Ndt : donc en 2047 Hong Kong devrait en application de cet accord devenir une ville chinoise comme les autres).
Le Parti communiste chinois espérait qu’avec le temps, les habitants de Hong Kong comprendraient les avantages du socialisme et rejoindraient volontairement le continent. Ils espéraient que Hong Kong pourrait être un modèle pour intégrer Taïwan en Chine.
Mais Hong Kong existait depuis plus de 100 ans en tant qu’entité distincte, et la réunification n’allait pas être facile. De nombreux Hongkongais cherchent à maintenir leurs institutions capitalistes aussi longtemps que possible. Ils veulent l’élection directe de dirigeants politiques et un pouvoir judiciaire qui en cas de conflit avec Pékin penche dans leur sens.
Les Hongkongais ont développé leur propre identité, note Tom Fowdy, un analyste chinois qui a étudié à l’université de Hong Kong. « Sur le papier, ils appartiennent au même groupe ethnique, mais ils sont culturellement différents. »
Droit de l’extradition
Les racines de la contestation actuelle sont le cas de Chan Tong Kai. En février, il s’est envolé pour Taïwan avec sa petite amie, l’a étranglée, empaillé son corps dans une valise, l’a jetée dans un champ, et est retourné à Hong Kong en avion. Bien qu’il ait avoué, il ne pouvait être envoyé à Taïwan parce que Hong Kong n’avait pas de traité d’extradition. (Hong Kong a conclu des accords d’extradition avec 20 pays, mais pas avec la Chine, Macao et Taïwan.)
Les autorités de Hong Kong n’ont pas pu inculper Chan d’un meurtre commis ailleurs. Ainsi, un tribunal de Hong Kong l’a condamné à une peine moins lourde et à quelques mois de prison.
L’indignation suscitée par l’affaire Chan a conduit les législateurs de Hong Kong à élaborer une loi qui autoriserait l’extradition vers n’importe quel pays au cas par cas. Taïwan a par la suite indiqué qu’elle ne demanderait pas l’extradition de Chan, ce qui rendait l’affaire du meurtre sans objet. Mais la question de l’extradition est restée sur la table.
Les critiques affirment que la loi proposée permettrait à la Chine de. Les critiques affirment que le projet de loi permettrait à la Chine d’extrader et d’emprisonner des dissidents politiques de Hong Kong. Cependant, les partisans de la loi soulignent qu’une infraction passible d’extradition doit constituer un crime tant en Chine qu’à Hong Kong, ce qui protège les Hongkongais contre une arrestation arbitraire. Et la loi interdit expressément l’extradition pour des crimes politiques. En outre, le projet de loi accordait au chef de l’exécutif de Hong Kong le pouvoir d’examiner les demandes d’extradition et prévoyait deux procédures de contrôle judiciaires distinctes. Et selon le bureau du directeur général, l’extradition ne «concernerait que 37 infractions passibles d’une peine d’emprisonnement de sept ans ou plus, et aucune d’entre elles n’interdit l’exercice du droit à la liberté d’expression». Mais beaucoup de personnes à Hong Kong ne font tout simplement pas confiance à Pékin. Ils citent des exemples de cas où la Chine a placé des résidents de Hong Kong en détention provisoire sans suivre les procédures judiciaires. «Le Parti communiste chinois ne respecte plus les deux systèmes», a déclaré l’activiste Leong. «Il ne respecte que ‘un pays’.»
Les Manifestations
Le 31 mars, les Hongkongais ont manifesté contre le projet de loi. En juin, les manifestations, pour la plupart pacifiques, ont atteint des centaines de milliers de personnes. Le 9 juin, les organisateurs ont annoncé que deux millions de personnes avaient marché, tandis que la police chiffrait à 338 000 personnes.
Ensuite le 1 Juillet dans une action préprogrammée des centaines de militants ont pénétré de force dans les locaux de l’assemblée Hong Kongaise, ils ont détruit du matériel et ont bombé des graffitis anti communistes sur les murs. Ils ont déposé le drapeau britannique sur le bureau de l’assemblée.
Selon l’analyste Fowdy, l’affichage du drapeau britannique ne signifie pas que les manifestants veulent un retour à la domination britannique. Au contraire, ils veulent que Hong Kong «reste une région administrative spéciale sous souveraineté chinoise. Ils ne veulent pas que Hong Kong soit juste une autre ville chinoise. » Quelle que soit l’intention des militants, le fait de lever le drapeau britannique donne à mon avis l’impression qu’ils sont en faveur de l’indépendance. Cela fait le jeu des puissances occidentales qui cherchent depuis longtemps à diviser la Chine.
Ce n’est pas un hasard si la plupart des médias traditionnels de masse soutiennent sans réserve les manifestants et cherchent à excuser les actes de violence. Un article d’opinion paru dans le Wall Street Journal a exhorté les lecteurs à considérer le vandalisme comme «un acte de désespoir après des années de frustration». Je n’ai pas encore vu ce journal appliquer cette logique aux manifestants de « Black Lives Matters » aux États-Unis.
Là se trouve la question de fond : Hong Kong est chinoise; ce n’est pas un pays indépendant. Toute tentative d’indépendance indispose les Chinois du continent, et pas seulement le gouvernement de Pékin. Contrairement à l’impression laissée par les grands médias, l’opinion de Hong Kong est divisée sur le droit de l’extradition. Le 30 juin, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées pour manifester en faveur du projet de loi sur l’extradition et en soutien au gouvernement de Hong Kong. Les législateurs disent avoir recueilli 700 000 signatures vérifiées sur une pétition soutenant le projet de loi.
Pour le moment, toutefois, l’élan est avec les forces antigouvernementales. La directrice générale de Hong Kong, Carrie Lam, a suspendu le projet de loi et l’a déclaré «mort» le 9 juillet. Les critiques disent que cela ne suffit pas. Ils veulent qu’elle retire complètement la législation et démissionne. Les manifestations vont donc probablement continuer. La Chine et Hong Kong s’efforceront pendant de nombreuses années de déterminer exactement ce que «un pays, deux systèmes» signifie réellement.