M. Vanschooris Fortune Kouadio, biologiste originaire de la Cote d´Ivoire est connu parmi ses collègues comme le « docteur des sols ». Depuis des années il développe l´agriculture biologique pour l´enrichissement des sols de l´Afrique de l´Ouest, appauvrie par l´exploitation intensive des monocultures et des intrants chimiques.
Depuis Dakar il a gentillement concédé une interview pour Pressenza.
Pressenza : Que signifie l’agriculture biologique ?
Vanschooris Fortune Kouadio : C’est une agriculture qui se fait sans apport d’engrais et d’insecticides chimiques. Seulement des apports organiques végétaux ou animaux et des bio insecticides et bio stimulants pour permettre à la plante de se développer naturellement et produire des fruits très riches en oligo-éléments (Fe, Ca, Mg, etc), très utiles dans l’organisme humain.
Pr. : Quel rôle joue le type d’engrais utilisé ?
VFK : L’engrais organique riche en micro organismes « TOSS -GUI », mot Wolof qui signifie compost, joue plusieurs fonctions :
– La restructuration du sol avec la présence de vie microbiennes, pour aérer le sol en facilitant l’élargissement des racines, et l’accès d’eau aux plantes ;
– Le développement du végétal en permettant à la plante de capter l’azote dans l’air ;
– L’augmentation de la production en qualité.
Pr. : Avec quel compost transformé travaillent les agriculteurs ?
VFK : Les agriculteurs au Sénégal sont conscients que les sols sont pauvres et qu’ils ont besoin de compost pour permettre la rétention d’eau et des minéraux chimiques. Ils s’orientent vers les éleveurs de volailles pour récupérer la fiente, ils vont dans les abattoirs, etc. Mais ces matières organiques animales utilisées dans les champs ont besoin d’un traitement pour éviter la présence des parasites. Il est important de savoir que les champignons produisent de l’humus et les bactéries minéralisent la matière organique. Nous leur conseillons le TOSS-GUI, qui est du compost riche en micro-organismes dont le C/N est supérieur à 16.
Pr. : Quelles sont les conséquences de l’utilisation de ces engrais organiques sur la santé des sols ?
VFK : Au contraire, il n’y a que des avantages. L’engrais organique donne au sol sa texture, permet de recueillir l’eau pour la plante et sert de mousse pour recueillir les minéraux pour permettre a la plante de bien se nourrir. Il évite à l’agriculteur de détruire la forêt en conservant son sol ; il protège la santé de l’agriculteur, parce qu’il ne contient aucun élément chimique. Il préserve notre environnement.
Pr. : Comment l’utilisation de ces engrais organiques et la santé du sol influencent la qualité des produits agricoles et la santé du consommateur ?
VFK : Alors, a la différence du chimique qui détruit les macro et micro-organismes, l’engrais organique donne la vie et la santé au sol. Il fait renaître les fertiliseurs « verres de terre » qui vont creuser des tunnels pour permettre a la plante d’avoir de l’eau, aidant les racines à s’enfoncer dans le sol. La plante en bonne santé se débarrasse des parasites, augmente sa floraison, produit assez et le consommateur gagne en santé.
Pr. : Quand cette campagne de fertilisation des terres a-t-elle débuté au Sénégal ?
VFK : C’est une campagne qui a débuté au moment où les agriculteurs se sont rendus compte de la baisse de leur rendement, malgré les même dose de produits chimiques qu’on leur recommandait par hectare. Ils utilisaient le fumier organique pour maintenir le sol, qui est souvent emporté par la pluie ou le vent. Notre structure a commence sa sensibilisation en 2016.
Pr. : De quel pays êtes-vous originaire ?
VFK : Je suis originaire de la Cote d’Ivoire. Mon père vient du centre donc Akan, et ma mère du nord, Senoufo. Ces deux peuples sont de grands agriculteurs. Le mot SENOUFO, veut dire, celui qui cultive la terre. Donc j’ai le métier dans le sang.
Pr. : Quelle est votre formation professionnelle ?
VFK : J’ai fait une formation en communication et action publicitaire, ensuite j’ai fait un cycle Ingénieur en Marketing et Management. Il faut dire que j’ai été formé par les ingénieurs de la société BIOPOST COFUNA France. Cette société travaille dans le bio depuis l’année 1952. Leurs produits sont certifiés et donnent de bons résultats au sol et sur le rendement.
Pr. : Qui sont les participants au projet à part les agriculteurs ?
VFK : Il faudra ajouter les semenciers qui ont fini par comprendre qu’il faut s’intéresser à la fertilisation du sol pour avoir une bonne germination. Sinon, l’agriculteur qui ne verra pas sa semence germée, dira qu’elle est de mauvaise qualité, alors que c’est le sol qui est pauvre.
Pr. : Agissez-vous à un seul endroit ou à des endroits différents ?
VFK : C’est une campagne nationale. Nous allons partout pour écouter les agriculteurs et leur proposer nos solutions. j’ai fait le Centre, l’Ouest et un peu le Nord. Je suis présentement au Sud 0 KOLDA.
Pr. : Organizez-vous des visites guidées et des présentations du projet ?
VFK : Oui, nous faisons des formations à travers des tests de démonstration sur le mode d’application. Nous utilisons aussi les médias, les radios communautaires pour accompagner la sensibilisation sur l’utilisation de l’engrais organique et ses avantages pour la santé du sol et des consommateurs.
Pr. : Comment se déroulent les présentations d’un point de vue théorique et pratique ?
VFK : Tout dépend de la cible. Si les agriculteurs sont au village, on les informe de manière théorique sur le produit. Si nous trouvons les agriculteurs au champ, nous faisons des démonstrations d’application pratique sur des cultures en développement.
Pr. : Quel est l’impact de l’agriculture biologique sur la vie quotidienne des habitants de la région intéressée ?
VFK : Le rôle joué par l’engrais organique est le même partout sur les 5 continents. Seulement, ici au Sénégal, à cause du désert, les sols sont lessivés par le vent. En utilisant l’engrais organique, vous permettez au sol de retenir l’eau, de protéger les racines contre le soleil et aussi de maintenir les minéraux chimiques.
Pr. : Quelle est la relation entre l’agriculture biologique et l’autosuffisance ?
VFK : Les deux sont complémentaires, un sol enrichi en matière organique augmente la production et rend le pays ou la région autosuffisant en riz, etc. Être autosuffisant, cela veut dire que votre production de cette année 2019 doit vous permettre de nourrir la famille, de supporter les charges familiales à travers la vente d’une partie de votre production et surtout faire en sorte que la récolte de 2020 trouve encore celle de 2019. Si ce n’est pas le cas, vous n’êtes pas autosuffisant et le pays est obligé d’importer de l’extérieur ce qui manque pour combler le vide, afin de permettre à la population de se nourrir.
Pr. : Les médias consacrent-ils de l’espace au projet d’agriculture biologique ?
VFK : Les radios locales jouent un grand rôle dans cette campagne. Elles fond des enregistrements dans les plantations avec les agriculteurs qui utilisent les deux types d’engrais, chimique et organique, et leur demandent de faire un choix. L’utilisation du fumier organique s’impose au sol du Sénégal, surtout au centre pour les sols salins, à l’ouest et au nord pour les sols sablonneux. Au sud, il y a de la végétation, d’où la présence naturelle de la matière organique végétale qui protège les sols.
Pr. : Sauver les sols influence la lutte contre le réchauffement climatique ?
VFK : Oui , à la COP 21, il a été demandé que chaque pays utilise au moins 4/1000 de matière organique sur son sol pour réduire la chaleur. La matière organique réduit la chaleur dans l’atmosphère et surtout protège les racines des plantes.
Pr. : Vous avez parlé de « humaniser les sols ». Que signifie pour vous ?
VFK : Humaniser les sols c’est redonner vie a nos sols avec la présence des macro et micro-organismes. C’est respecter les lois naturelles, ne pas les violer. On ne peut pas violer les lois de la nature. Nous vivons aujourd’hui les conséquences de ces violations : le changement climatique; le manque de pluie, la sècheresse avec la destruction des forêts, l’absence d’arbres. Il faut reboiser.
Pr. : Des projets locaux comme le votre, peuvent ils donner des réponses globales ?
VFK : Oui, surtout si le rendement est satisfaisant et que la vie de l’agriculteur est amélioré, on pourra freiner l’immigration. Tout le monde aspire au bonheur. l’utilisation des engrais organiques dans notre agriculture est le seul remède pour vivre longtemps sur terre et restant en bonne santé.
Pr. : Merci Mr Fortuné, pour votre disponibilité.
VFK : A moi de remercier Pressenza.