Pressenza, invité par l’association IDN – Initiatives pour le désarmement nucléaire – a interviewé Bernard Norlain au cinéma Jean Eustache de Pessac, à côté de Bordeaux, suite à la projection du film « La bombe et nous », le 11 juin 2019.

Video Xavier Foreau

 

Pressenza : Bonjour Monsieur Bernard Norlain. Vous êtes général de l’armée ; Pressenza n’a pas trop l’habitude d’interviewer des militaires, que l’on considère souvent comme des va-t-en guerre. Et pourtant vous agissez pour le désarmement nucléaire.

Qu’est-ce qui vous amène à vous impliquer dans ces questions de désarmement ?

Bernard Norlain :

Je suis général d’armée aérienne, j’ai effectué ma carrière comme pilote de chasse, essentiellement. Effectivement c’est assez inhabituel et un peu original de voir un général, qui n’est plus en activité, il faut le préciser, qui se prononce pour le désarmement nucléaire multilatéral.

En fait ma démarche est un peu longue à expliquer, je vais essayer de la résumer rapidement.

Pendant une grande partie de ma carrière, j’ai été assez partisan des armes nucléaires parce que je pensais que cela répondait à un besoin. Mais c’était au temps de la Guerre Froide.

Et à la fin de la Guerre Froide, au début des années 90, effectivement j’ai commencé à me poser la question de savoir à quoi pouvait nous servir l’arme nucléaire dans la mesure où on n’avait plus d’ennemi principal, du moins à l’époque.

Et ce qui a facilité ou accéléré ma réflexion, c’était ma collaboration avec Michel Rocard, puisque j’ai été chef du cabinet militaire de Michel Rocard quand il était premier ministre. Et déjà à cette époque on avait eu des discussions sur l’utilité des armes nucléaires, l’existence des armes nucléaires.

Quand il a quitté son poste de premier ministre, et que j’avais entamé ma réflexion sur le devenir de la dissuasion nucléaire après la fin de la Guerre Froide, Michel Rocard m’a dit :

« Ecoutez, il faudrait peut-être qu’on fasse quelque chose pour essayer maintenant, compte-tenu de la nouvelle situation géostratégique, pour essayer de promouvoir le désarmement nucléaire ».

Et il m’a donc proposé de participer à la rédaction d’un article avec, à l’époque cela devait être Jacques Chirac et Alain Juppé, et Monsieur Alain Richard qui était un ancien Ministre de la Défense, donc de rédiger un article qui est paru dans Le Monde, il y a déjà 10 ans, en 2009, pour dire en gros le message :

« Les armes nucléaires n’ont plus de pertinence, mais en revanche elles restent extrêmement dangereuses et même de plus en plus dangereuses ».

Et à partir de ce moment-là, j’étais donc impliqué dans ce mouvement pour le désarmement nucléaire qui d’ailleurs était un mouvement international.

Je vous rappelle que c’était l’époque où le président Obama avait fait une grande déclaration à Munich en disant qu’il fallait aller vers un monde sans armes nucléaires.

Donc cela allait tout à fait dans ce sens là, et notre article est paru presque simultanément avec des articles qui sont parus aux Etats-Unis, un article a été signé par Henri Kisinger, qui n’est quand même pas un utopiste, et par un ancien ministre de la Défense de Clinton, William Perry, donc ils étaient 4 aussi. Il y a eu des articles dans tous les pays d’Europe, y compris en Russie, sur ce thème, donc signés par des militaires, des diplomates, des hommes politiques surtout et sur le thème :

« il faut arrêter les armes nucléaires parce que cela devient extrêmement dangereux ».

Donc à partir de ce moment-là, j’étais impliqué dans ce mouvement et puis par la suite avec Paul Quilès on a créé une association qui s’appelle Initiatives pour le Désarmement Nucléaire (IDN), et avec laquelle nous essayons de promouvoir un désarmement qui soit multilatéral. C’est à dire que nous, on n’est pas partisan d’un désarmement nucléaire unilatéral (seulement de la France) parce qu’on pense que cela n’aurait pas beaucoup d’efficacité, ni de sens.

Il faut que ce désarmement, ce processus de désarmement (parce que ça ne va pas se faire en trois jours), se fasse progressivement, de façon contrôlée, mais que cela implique tous les pays, non seulement qui n’ont pas d’armes nucléaires, mais aussi les pays qui ont des armes nucléaires.

Vous voyez que c’est un processus très compliqué, mais bon, voilà dans quoi je me suis engagé en ce moment, et voilà ce que nous essayons de faire en France, c’est à dire d’essayer, déjà dans un premier temps, ce qui est très important en France, d’ouvrir le débat public sur ce thème.

Car le débat est complètement verrouillé en France sur le thème du désarmement nucléaire et il est très compliqué d’arriver à faire entendre une voix qui n’est pas la voix officielle ou qui est complètement en faveur du développement des armes nucléaires, de la modernisation des armements nucléaires, ce qui entraîne en ce moment une course aux armements nucléaires dans le monde entier.

 

Nous remercions Bernard Norlain et l’association IDN pour cette interview.

Les trois articles de l’interview :

première partie
deuxième partie
troisième partie