La Révolution Culturelle Socialiste en Guinée
Sékou Touré avait proclamé sa Révolution Culturelle Socialiste (à l’image de la Chine de Mao) à l’occasion du Conseil National de la Révolution tenu à Kankan du 29 juillet au 2 août 1968. Durant les 16 années suivantes, les élèves guinéens étaient tenus de faire tout le cycle primaire en langues nationales, mais le français est retenu comme matière à partir de la quatrième année. Une fois au collège, toutes les matières sont enseignées en français, mais la langue nationale devient une matière obligatoire. Au lycée, toutes les matières sont exclusivement enseignées en français jusqu’au BAC qui est uniquement en français.
A son crédit, le régime de Sékou Touré avait délibérément adopté une approche graduelle. Selon Badara Sylla cité dans la première partie, les phases suivantes ont marqué la mise en œuvre de la stratégie d’introduction des langues nationales dans l’enseignement : 1966-1968 (les huit langues nationales sont introduites comme disciplines d’enseignement à tous les niveaux du système éducatif afin de sensibiliser élèves et étudiants au système de transcription et à la grammaire des langues) ; 1968-1975 (les langues servent de véhicules d’enseignement aux trois premières années du primaire, le français n’intervenant comme matière qu’en 3ème année, puis comme véhicule à partir de la 4ème année ; à partir d’octobre 1975 (tout le primaire sera couvert par les langues nationales pendant que le français y est maintenu comme matière d’enseignement à partir de la 4ème année) ; octobre 1976 (la première année du collège est couverte par les langues nationales) ; octobre 1977 (la 2ème année du collège est couverte à son tour, tandis que le français devient véhicule d’enseignement à partir de la 3e année du secondaire) ; à partir d’octobre 1978 (généralisation de l’enseignement en langues nationales pour tout le collège avec obligation d’apprendre une deuxième langue nationale) ; à partir d’octobre 1979 (l’objectif visé alors étant de faire passer le BAC en langue nationale en juin 1979).
Malgré toute cette planification, la Révolution Culturelle Socialiste avait été un échec cuisant pour l’enseignement guinéen. Elle a donné naissance à « l’enseignement de masse » qui a produit la génération « Koko, Lala, Bobo » qui forme en ce moment l’ossature de l’Administration corrompue et incompétente qui gère le pays. Comme dans le cas de la Chine de Mao où la Révolution Culturelle servait à humilier l’élite intellectuelle et abrutir les masses, l’expérience s’était mal terminée en Guinée. En Chine, peu de temps après la mort de Mao en septembre 1976, les démagogues responsables furent mis face à leurs responsabilités et châtiés par des peines lourdes d’emprisonnement. Tel fut le sort de la tristement célèbre « Bande des Quatre », dont l’épouse de Mao, Jiang Quing. En revanche, la Guinée avait juste tourné la page après la mort de Sékou Touré en 1984. Cependant, l’une des premières demandes de la population aux nouveaux maîtres de Conakry était de suspendre le système d’enseignement « Koko, Lala, Bobo ». Les États-Généraux de l’Enseignement furent immédiatement organisés pour analyser l’échec cuisant de l’introduction des langues nationales dans l’enseignement.
L’introduction des langues nationales et son impact néfaste sur la qualité de l’enseignement marquera la Guinée pour des décennies. Les chercheurs américains Carol Benson and Mark Lynd, dans une œuvre intitulée « National languages in education in Guinea-Conakry : Re-emancipation in progress? » publiée en 2011 dans International Journal of the Sociology of Language, analysent les raisons de l’échec de la politique d’alphabétisation de Sékou Touré. Ils relèvent d’abord le fait que Sékou Touré n’avait pas les moyens de sa politique. La capacité financière et technique de traduire et disséminer les manuels scolaires en langues nationales était très limitée. Ensuite, Sékou Touré avait fait du programme un fonds de commerce idéologique et politique pour endoctriner et abrutir les masses afin de garantir la pérennité de son régime. Les écoles étaient devenues des « centres d’enseignement révolutionnaire » (CER) où les élèves apprenaient l’idéologie du PDG (parti démocratique de Guinée) dans leurs langues nationales le matin et allaient labourer les jardins maraîchers de l’école le soir. Les parents qui croyaient soustraire leurs enfants du destin de paysan en les envoyant à l’école en avaient pour leur compte.
Beaucoup se sont dit alors : si c’est apprendre la langue nationale et labourer la terre, nous n’avons pas besoin d’envoyer nos enfants à l’école pour ça ! Par conséquent, le taux d’inscription était tombé de plus de 30% à moins de 20% vers la fin tragique de la Révolution Culturelle Socialiste. Pendant ce temps, l’élite du régime envoyait caser ses enfants à l’étranger pour les offrir un enseignement décent. Donc le député Konaté n’est pas correct quand il affirme que le programme d’alphabétisation de Sékou Touré avait échoué par ce qu’il a essayé « d’imposer par immersion et sans transition les langues nationales comme langues d’enseignement jusqu’en huitième année. » En réalité, le programme avait échoué parce qu’il répondait à des impératifs politico-idéologiques mal cernés, et le gouvernement n’avait pas de moyens de sa politique.
Les expériences africaines d’introduction des langues nationales dans l’enseignement
Mali : dans ce pays, le groupe ethnique Bambara-Maninka représente le plus grand bloc ethnique (37% de la population) et sa langue est pratiquée par environ 80% de la population comme lingua franca, mais l’imposition du N’ko dans l’enseignement n’a pas été envisagée. En fait, malgré la présence d’un mouvement de promotion du N’ko, les autorités maliennes, soucieuses de la paix et la cohésion dans le pays, sont réservées quant à l’imposition de l’alphabet N’ko dans le système d’enseignement. Le système d’éducation continue de se faire en français, du primaire à l’université, bien que les élèves de la maternelle utilisent leur langue maternelle locale et s’initient au français parlé. Les Maliens sont pragmatiques sur la question des langues nationales. Au premier cycle du primaire, on enseigne en français, mais certaines langues maliennes, notamment l’arabe coranique, sont également enseignées dans un grand nombre d’écoles. Au second cycle, seul le français et, dans certains cas, l’arabe est enseigné. Dans toutes les écoles primaires du pays, l’enseignement de l’anglais comme seconde langue est obligatoire, alors qu’au secondaire, les élèves ont le choix entre l’anglais, l’allemand, l’arabe et le chinois. Donc, le Mali n’a pas jugé utile d’adopter le N’ko et a préféré confier l’alphabétisation à la direction nationale de l’alphabétisation fonctionnelle et de la linguistique appliquée (DNAFLA) qui donne des cours dans 10 langues selon des règles d’orthographe des langues nationales, officialisé par le décret 85/PG en 1982.
Tanzanie : le Kiswahili (langue du groupe ethnique Swahili) est la lingua franca de l’Afrique de l’Est. L’adaptation de cette langue par le gouvernement tanzanien a été un bel exemple d’utilisation d’une langue nationale largement parlée pour unifier un vaste pays. La Tanzanie a fait du Kiswahili la langue officielle du pays, mais l’enseignement reste bilingue. Au cycle primaire, les matières sont enseignées en Kiswahili, et l’anglais est juste une matière. A partir du secondaire, toutes les matières sont enseignées en anglais. Le Kiswahili est toujours utilisé, mais pour avoir un poste de haut niveau, il faut une bonne maîtrise de l’anglais. Ce qui a favorisé la Tanzanie, c’est que le Kiswahili est aussi la langue nationale du Kenya voisin, et est parlé en Ouganda et dans d’autres pays de l’Afrique de l’Est. L’héritage anglo-saxon a aussi aidé car la population était industrieuse et avait le goût de la lecture. Des dizaines de milliers d’exemplaires de journaux en Kiswahili sont arrachés des kiosques chaque jour dans les villages les plus reculés. Les ventilations à l’université et les affectations à la fonction publique avait été aussi utilisées par le gouvernement pour faire le brassage de toutes les ethnies. Les ressortissants du Nord sont ventilés au Sud, ceux du Sud à l’Est, ceux de l’Est au Nord, de sorte que la seule langue de survie commune soit le Kiswahili dans tous les coins du pays. La stabilité du pays, le tourisme, et la culture vacillante ont contribué à attirer des étrangers qui apprennent le Kiswahili pour le plaisir. Par la suite, la langue a été adoptée par la BBC, Radio Cairo (Égypte), Voix de l’Amérique, Radio Deutschewelle (Germany), Radio Moscow International (Russie), Radio Japan International, Radio China International, Radio Soudan et Radio South Africa. Le Kiswahili avait aussi séduit la culture populaire globale, notamment le cinéma (Hakuna Matata de Lion King), et la musique telle que « Liberian girl » de Michael Jackson (qui contient la locution Swahili « Nakupenda pia, nakutaka pia, mpenzi we !« )
Kenya : bien que le Kiswahili soit la langue nationale, l’anglais reste la langue officielle et, dans certains domaines, ces langues fonctionnent à égalité. Mais dans la plupart des cas, la priorité est accordée à l’anglais et a un plus grand prestige. En plus de déclarer le Kiswahili comme langue nationale en 1969 et comme langue du parlement en 1974, le gouvernement kényan n’a pas suffisamment investi dans le développement de cette langue. Bien que la langue d’enseignement soit censée être le kiswahili ou la langue dominante dans une région donnée, de nombreux parents préfèrent emmener leurs enfants dans des écoles privées, pour ne pas rater l’enseignement en anglais. Par pragmatisme, l’anglais reste la langue d’enseignement de choix.
Éthiopie : ce pays a imposé sa langue nationale, l’amharique, dans l’enseignement. L’amharique est une langue sémitique du peuple Amhara, mais c’est avant tout la lingua franca des populations urbaines en Éthiopie. Si les cours sont en amharique pour le primaire, l’anglais est enseigné comme matière aux élèves depuis l’école primaire. Lors du passage des élèves en 7ème année, la langue d’enseignement passe à l’anglais et restera comme tel jusqu’au collège et à l’université. Même si la langue de travail du pays demeure l’amharique, les emplois importants nécessitent la bonne maîtrise de l’anglais. Comme au Kenya, le pragmatisme mène les Éthiopiens à parler l’amharique en famille et à privilégier l’anglais pour le travail.
Afrique du Sud : la section 29(2) de la Constitution donne le droit à tout élève de recevoir son enseignement de base dans la langue de son choix, dans la mesure du possible. Le pays a eu des difficultés pour mettre en œuvre cette provision, mais Cyril Ramaphosa en a fait un objectif. Il ne s’agit pas de remplacer l’anglais ou l’afrikaans, mais d’introduire dans le programme académique au moins une langue africaine, et de le faire de façon progressive (les 3 premières années du primaire, en 2018-2020, entre la 4ème et 6eme année de 2021 à 2023, et de la 7eme à la 9eme année entre 2023 et 2026. Puisqu’il n’y a pas de lingua franca africaine couvrant tout le pays, les élèves ont le droit de choisir une des langues africaines pratiquée dans leur région.
Suggestions et pistes de solutions pour la valorisation de l’écriture N’ko
Personne ne nie l’importance du N’ko pour la valorisation de la culture guinéenne et mandingue. Le problème c’est quand le pouvoir politique est instrumentalisé pour imposer l’écriture comme unique mode de transcription des langues nationales dans un contexte multi-ethnique et multilingue. Autant l’acculturation de l’ère coloniale, quand on forçait les sujets à utiliser malgré eux le français ou l’anglais est blâmable, autant il est malavisé d’abuser du pouvoir politique (majorité parlementaire) pour imposer l’outil culturel associé à un groupe ethnique considéré à tort ou à raison comme « l’ethnie au pouvoir ».
Les difficultés que les promoteurs de l’écriture N’ko ont rencontrées depuis les années 1960 dans l’effort d’introduire cet alphabet comme mode de transcription des langues nationales dans l’enseignement devrait faire réaliser aux acteurs du Mouvement N’ko les contraintes en jeu. Si c’était une question aussi facile, le problème serait longtemps résolu.
Mais même avec des personnalités éminentes d’ethnie mandingue au sommet de l’État depuis les Indépendances, l’adoption du N’ko comme mode de transcription officielle des pays de l’espace mandingue reste toujours problématique. Que ce soit en Guinée (Sékou Touré et Alpha Condé), au Mali (Modibo Keita, Moussa Traoré, Amadou Toumani Touré, Ibrahim Boubacar Keita), en Sierra Leone (Ahmad Tejan Kabbah), en Gambie (Kairaba Diawara, Yahya Jammeh) et en Côte d’Ivoire (Alassane Ouattara), les chefs d’État d’ethnie mandingue, malgré leur sympathie pour le N’ko, n’ont pas voulu exposer leur nation au risque d’adoption de cette écriture comme le mode officiel de transcription des langues nationales. Pour des raisons évidentes et pratiques, l’alphabet latin a été retenu à cet effet dans tout l’espace mandingue de l’Afrique de l’Ouest.
Dans l’ouvrage « Les usages politiques du passé – Le N’ko et la décentralisation administrative au Mali » (In : Fay Claude (ed.), Koné Y.F. (ed.), Quiminal C. (ed.) Décentralisation et pouvoirs en Afrique : en contre-point, modèles territoriaux français. Paris (FRA) ; Bamako : IRD ; ISH, 39-65), l’anthropologue français Jean-Loup Amselle décrit les difficultés du fondateur du N’ko dans l’espace mandingue:« Tentant de faire accepter son alphabet comme mode de transcription officiel des langues guinéennes, il se heurte au refus de Sékou Touré qui craint que l’adoption du N’ko, fortement connoté malinké, n’attise les rivalités ethniques. Seuls les Sunni-Wahhabi de Kankan et les habitants de la zone forestière réservent un bon accueil à l’alphabet n’ko : les premiers parce que l’usage du N’ko leur permet de court-circuiter les marabouts, et donc d’avoir accès directement à l’Islam, les seconds parce qu’ils échappent davantage à l’emprise des clercs musulmans que les habitants de la capitale de la Haute-Guinée. Néanmoins, pendant longtemps, que ce soit à Kankan ou dans les régions forestières, seules les populations maninka s’alphabétisent en N’ko. Le retour au pays du fils prodigue n’a donc pas été un franc succès et les relations avec le régime de Sékou Touré s’envenimant, S. Kanté décide, en 1977, de quitter la Guinée pour se rendre au Mali…Il tente également de faire adopter son écriture par le gouvernement malien, mais pas plus que son homologue guinéen, la DNAFLA, le service d’alphabétisation fonctionnel des adultes ne retient pas le N’ko, lui préférant l’alphabet latin comme système de transcription officiel des langues nationales. S. Kanté connaît alors des jours difficiles ; il est décrit par ses disciples comme un personnage dont le « boubou sale » et le «regard fou» inquiètent ses interlocuteurs. »
Au regard des difficultés pratiques et politiques de faire accepter le N’ko comme mode de transcription officielle des langues nationales, les promoteurs du N’ko gagneraient à poursuivre les initiatives citoyennes de promotion culturelle ainsi que les innovations dans le numérique. L’intérêt académique du N’ko est indéniable, mais l’usage pratique prendra du temps à cultiver. Plutôt que de se positionner dans la politique partisane guinéenne, le mouvement N’ko devrait peut-être privilégier deux axes d’intervention :
(i) Multiplier à court et moyen terme les efforts d’introduction de l’écriture N’ko dans les programmes des facultés de langues des universités africaines et étrangères sur la base des modèles d’insertion du N’ko dans les programmes des Universités de Saint Petersburg (Russie), du Caire (Egypte) en 2002, d’Indiana Bloomington (USA), de l’INALCO Paris (France), de Harvard University (USA), de New-jersey (USA). A long terme, promouvoir la création d’un institut régional de langues et cultures africaines (à l’Université de Kankan) où le N’ko pourrait s’épanouir aux côtés des autres langues ;
(ii) Accélérer les innovations numériques pour divulguer l’usage du N’ko à travers des assistants d’enseignement robotique, des expériences de réalité virtuelle, l’intelligence artificielle, l’apprentissage automatique et des salles de classe virtuelles. A cet effet, l’exemple de la start-up M-Shule du Kenya (qui utilise l’intelligence artificielle (IA) et les SMS pour offrir un enseignement personnalisé et accessible aux élèves du primaire en Afrique) ou de la plate-forme Ubongo en Tanzanie (qui exploite les technologies accessibles de la télévision et des téléphones mobiles de base pour réaliser des dessins éducatifs) offre des pistes à explorer. Avec les avancées numériques du N’ko, ce genre d’initiatives pourrait contribuer à renforcer l’acceptabilité et la popularité de l’écriture et à terme créer les conditions optimales pour son introduction formelle dans l’enseignement. Cette approche est infiniment moins risquée qu’une législation au forceps permettant à la mouvance d’abuser de sa majorité théorique pour faire passer un projet de loi qui ne fera pas l’unanimité au sein de la population.
La proposition d’introduction de l’alphabet N’ko pour la transcription des langues nationales n’est pas mauvaise en soi. Mais il y a des contraintes réelles qui sont de nature politique, économique, et culturelle.
Politiquement, la préservation de l’unité nationale prime sur les intérêts culturels d’un groupe.
Économiquement, le pays doit se donner les moyens financiers pour appuyer une entreprise périlleuse de changement de système d’éducation (l’échec de la Révolution Culturelle du régime Sékou Touré est un exemple frappant). A titre d’exemple, le budget annuel du gouvernement guinéen pour l’exercice 2019 s’élève à 22.313 milliards de francs guinéens (2,4 milliards de dollars). La part allouée à l’éducation est 13,66%, soit 3.048 milliards GNF. Ce montant est insuffisant pour les besoins actuels. En effet, la part des dépenses allouées à l’éducation en % du PIB (produit intérieur brut) est l’une des plus faibles de la sous-région et connaît une chute libre depuis 2013. Entre 2013 et 2017, elle est tombée de 2,63% à 2,21%. Il est donc évident que les moyens de l’État sont insuffisants pour appuyer le système d’enseignement actuel. Les dépenses d’introduction de N’ko pourraient multiplier par 5 ou 10 les besoins en nouveaux financements du secteur de l’éducation.
Culturellement, chaque ethnie est jalouse et fière de sa culture, et n’aimerait pas se voir imposer la culture d’un autre groupe. Tous les groupes ethniques ont accès à la transcription de leurs langues dans l’alphabet latin, sur base de la standardisation lors des campagnes d’alphabétisation de la Révolution Culturelle Socialiste. Le changement culturel requis pour l’acceptation de N’ko à la place des écritures existantes pourrait s’opérer soit en subjuguant les peuples à travers une loi contraignante, soit en les séduisant avec les vertus de N’ko. La voie de la séduction est plus appropriée pour minimiser les tensions et conflits inter-ethniques. Par exemple, les Conakrykas adoptent volontiers la culture soussou, sans même s’en rendre compte. La musique mandingue ne connait pas de frontières ethniques, puisqu’elle est acceptée d’office par tous les mélomanes. Comme la musique mandingue, le N’ko devrait séduire par son attrait ou par son utilité linguistique, scientifique, et commerciale et non s’imposer à travers une loi du Parlement imposant aux Guinéens cet alphabet.
Il faut aussi être pragmatique. La Guinée fait face à des problèmes autrement plus sérieux et urgents que la protection de ses langues et cultures. L’eau, l’électricité, le travail décent, l’éducation, la santé sont les défis majeurs. La tendance actuelle des pays qui relèvent ces défis n’est pas de privilégier le retour aux langues nationales, mais d’introduire des langues internationales dans leur système d’enseignement pour permettre à leurs élèves d’être compétitifs dans l’arène mondiale, et de contribuer au rayonnement économique et culturel de leur nation. Les Guinéens qui veulent que le Syli national gagne dans l’arène africaine et mondiale devraient aspirer à la même exigence de résultat sur le plan économique de leur pays. Sur ce plan, le pays qu’il faut battre pour se qualifier au statut de pays émergent est le Rwanda. Il faut que les Guinéens étudient le jeu des Rwandais pour les dans la course à l’émergence économique.
Lors de la conférence annuelle de l’Association des études africaines en novembre 2013, les chercheurs Patrick Plonski, Asratie Teferra et Rachel Brady ont examiné pourquoi davantage des pays africains adoptent l’anglais comme langue officielle. Ils se sont penchés sur le cas du Rwanda qui démontre comment le pays a mis à profit la langue anglaise pour accélérer son développement. Reconnaissant les avantages de l’anglais pour le commerce et la technologie, le Rwanda a abandonné le français au profit de l’anglais comme langue officielle après le génocide de 1994. Depuis 2008, l’anglais est devenu la langue d’enseignement dans les établissements publics.
Le gouvernement est pragmatique par rapport au choix de la langue d’enseignement. Un responsable du gouvernement cité par les chercheurs susmentionnés explique la raison : « C’est choisir l’anglais comme langue d’enseignement pour que nous, les Rwandais d’aujourd’hui et surtout de demain, puissions en bénéficier. Si l’espagnol ou une autre langue pouvait nous amener à cela, pas de problème. Si le kinyarwanda pouvait nous amener à ça, ce serait merveilleux. Ce n’est pas l’anglais pour le plaisir. » Voilà ce qui est bien dit. Si le N’ko peut nous aider à battre les records du Rwanda, tant mieux. Le cas échéant, faisons comme les Rwandais : maintenons nos racines culturelles, mais apprenons l’anglais pour vite maitriser la technologie numérique et attirer des investisseurs étrangers pour développer rapidement notre pays. Une fois que nous serons un pays développé, nous aurons suffisamment de moyens pour financer le rayonnement de nos langues et cultures dans le monde entier.