Juan Branco aborde les outils de résistances, et notamment le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC)

Cette intervention publique a été enregistrée le 24 mars 2019, à l’occasion du Festival France Amérique Latine(*) qui s’est tenu au cinéma Jean-Eustache de Pessac (33).

 

Photo / Vidéo : Xavier Foreau

Question du public : On a eu une intervention forte des Etats-Unis, dans le coup d’état au Paraguay, on est en train de voir la situation, pareille, au Venezuela. On sait que au Brésil, c’était un peu pareil. On a des preuves aujourd’hui des relations entre, par exemple, le maître de la Lava Jato, de l’opération d’enquête, avec la CIA. Ça donne une situation de manque d’espoir total sur les institutions en fait, mais au niveau international. Je ne vois pas comment on peut s’en sortir, si je pense qu’au Brésil, je ne vois plus d’espoir, vraiment, mais, en amplifiant, est-ce qu’on peut avoir un espoir que les choses peuvent un jour se remettre en place, et comment?

Juan Branco : Les institutions, enfin, s’appuyer sur les institutions pour défendre un progrès politique ou de quelque ordre que ce soit, c’est déjà être dans une position défensive, et les institutions, comme la Loi en général, ce sont des supports et des outils et ce sont des formes labiles, qui servent en fait, non pas certes de socle et de minimum pour essayer d’éviter des excès, mais qui derrière, peuvent être adaptées, doivent être adaptées en permanence pour justement suivre les désirs et les mouvements des populations.

Donc, notamment, si on croit en une démocratie profonde, on croit dans le fait que la volonté populaire soit toujours dominante sur les éventuelles évolutions que l’on va donner aux outils de cette volonté populaire. C’est bien d’avoir des limites, c’est bien d’avoir un cadre qui empêche la volonté populaire de dériver, surtout quand elle est manipulée vers des formes qui lui feraient renoncer à ses propres intérêts, mais dans l’ensemble, moi je pense qu’il faut être beaucoup plus offensif, et là aussi, c’est quelque chose je pense, que révèle quelque part le film (**).

C’est que, il y a un moment, on a cru que le simple fait de respecter ou de donner l’impression que l’on respecte les institutions suffisait à sortir avec honneur ou dignité d’une situation. Ce n’est pas du tout le cas, ce n’est pas du tout le cas, et ce qui est important chez Dilma et a fortiori chez Lula, c’est pas qu’ils aient été de grands démocrates, parce qu’ils ne l’étaient pas d’ailleurs plus que ça, ils ont eux-mêmes participé à des compromissions politiques, économiques, etc. très proches de celles que mettait en place la droite libérale brésilienne, c’est qu’ils aient sorti des millions de personnes de la faim, tout simplement, c’est ça dont on se souviendra, de ce rapport aux corps au fait, du politique, il faut le ré-inaugurer et savoir les résultats des politiques économiques qui sont menées par rapport aux populations concernées, quel est justement l’accouplement, en fait, du responsable politique par rapport aux personnes qui l’ont élu et sa capacité à défendre leurs intérêts au sens large, et leur dignité.

Et la façon dont il le fait, eh bien, quelque part, si nous, nous sommes les seuls à pêcher, parce que nous sommes progressistes, etc. à pêcher par naïveté, à se laisser écraser par des forces, qui, elles, réactionnaires, n’hésiteront pas à utiliser tous les instruments qu’ils ont à leurs mains, pour défendre leurs intérêts personnels, on perdra toujours en fait. 

Un moment, il faut se dire: le combat politique doit être jugé par rapport à ses capacités à défendre l’intérêt général. La façon dont cet intérêt général est importante, est importante, mais elle est secondaire par rapport au fait de l’avoir fait.

Pour moi, c’est quelque chose qui peut sembler troublant mais qui est essentiel: le rapport dans toute société, le rapport de forces, existera en tout instant. D’accord? 

Il y aura toujours cette idée, cette vision idéaliste, naïve, dans laquelle on réussirait tous à se mettre d’accord et à avoir des consensus.

Non: il y aura toujours des personnes qui chercheront à piller, à exploiter et à s’installer dans le jeu politique pour défendre leurs intérêts à eux, contre l’intérêt général.

Donc, à un moment, il faut aussi se doter d’outils de résistance par rapport à ça, et ce que proposent les Gilets Jaunes notamment, avec le vrai Référendum d’Initiative Citoyenne, c’est ça.

C’est un moment où rompre le système de démocratie représentative, même si elle a longtemps été considérée comme un garde-fou contre toute une série d’excès, de façon à se doter d’une arme quasiment thermonucléaire, qui permettrait de se substituer à la fois au gouvernement et aux assemblées représentatives, pour prendre une décision, qui empêcherait, justement, que l’on aille à l’encontre de ses intérêts.

Alors, on nous dit: c’est dangereux, etc. parce que le peuple n’est pas éduqué, il est manipulable et autre, mais à un moment, soit on croit dans un système démocratique véritable et donc en l’égalité de l’ensemble des citoyens et leurs capacités à défendre leur parole, et à porter leur parole au sein de la société, soit on n’y croit pas.

Soit on croit en une démocratie bourgeoise, dans laquelle il y aura toujours une élite, qui sera chargée de parler au nom de, et dans ce cas-là, pour moi, on n’est pas un véritable démocrate, soit on croit dans la possibilité d’un approfondissement démocratique, et en mettant en place toute une série de cadres, notamment des lois qui permettent d’empêcher le contrôle de la presse par les oligarques, ou par les puissances de l’argent, etc., etc. on croit vraiment que l’on peut aller vers un assainissement qui fasse que la prise de contrôle de son propre destin par le peuple donne, enfin, soit possible, et sans que l’on ait à trembler des conséquences que cela aurait.

Donc, sur la question, donc, les institutions en soi, pour moi, encore une fois, c’est juste un instrument au service d’un projet politique, et de la même façon que les forces factieuses que l’on a en face de nous, qui cherchent à détourner les institutions dans leur intérêt, les utilisent avec la variabilité de respect selon que ça les sert ou non, il faut que l’on ait un peu ce manque de respect quelque part aussi, qu’on dise : ben non, un moment, face à un excès trop important, nous aussi, nous sommes capables de les subvertir sans en avoir honte.

L’aéroport de Paris, par exemple, la privatisation de l’aéroport de Paris, qui est un véritable scandale démocratique, qui consiste en un véritable pillage de nos ressources communes au service de quelques-uns, a respecté formellement l’ensemble des procédures démocratiques de notre pays.

Est-ce que nous, nous allons nous astreindre au fait que ce pillage intervienne parce qu’il n’y a plus d’instruments au sein de ce système actuel pour l’empêcher? Moi je pense que non, qu’il faut que, ce soit par la désobéissance civile ou par n’importe quelle autre méthode, essayer de s’interposer pour que ce pillage n’intervienne pas.

Est-ce que l’on sera moins honorable si on le fait ? Je ne crois pas, je crois que, aujourd’hui, celui qui se déshonore, même en ayant donné l’impression d’avoir respecté et ayant respecté formellement l’ensemble des structures démocratiques de notre pays, ce sont eux qui se déshonorent, et ce sera nous qui nous honorerons en nous battant, quitte à exposer nos corps tous les samedis face à une police et une armée de plus en plus violentes pour les en empêcher, tout simplement.

Donc à nouveau sortir de cette naïveté, sortir de cette idée que nous serions dans une démocratie dont le formalisme doit être respecté parce qu’il nous protégerait, et se dire qu’à nouveau, que, encore une fois, le combat des idées implique le combat des corps et implique un engagement qui vaut au-delà des procédures, ça me semble essentiel pour reprendre conscience qu’on est dans un rapport de forces, et ce rapport de forces, il sera toujours gagné par les plus puissants si on ne se rend pas compte que ces procédures sont systématiquement détournées en leur faveur.

Merci à Marguerite pour sa transcription

Voir aussi :

Liste des articles et vidéos de l’intervention publique de Juan Branco le 24 mars 2019 :

Interview de Juan Branco : Gilets Jaunes et élections européennes

Juan Branco : Violences politiques & Gilets Jaunes

Juan Branco : La France dans un système aristocratique prérévolutionnaire

Juan Branco : RIC Outil de Résistance

Juan Branco : Gilets Jaunes & Armée

Juan Branco : Gilets Jaunes & Extrémisme

Références

(*) Festival France Amérique Latine (*) : Comité Bordeaux – Gironde

Les Rencontres Latino

(**) film « O Processo »