Par Brigitte Cano
Pressenza a rencontré Michel, lors de la manifestation de l’Acte 11 des Gilets Jaunes à Paris, le 26 janvier 2019. Voici ses propos sur comment et pourquoi il se sent concerné par les revendications des Gilets Jaunes.
Depuis quand venez-vous manifester ?
Michel : C’est la 10ème fois sur 11 que je participe à ces manifestations à Paris. La première manif je ne l’ai pas faite parce que, en tant que citadin, je n’avais pas compris l’ampleur du mouvement, ni compris que c’était aussi profond en province. Et c’est en voyant la manière dont ça été réprimé la première fois, voir à la télé que le danger avait l’air si important pour le gouvernement, qu’il a fallu tout de suite gazer et frapper les gens et mettre des barrières pour bloquer les rues, que je me suis dit que c’était sans doute plus profond que cela. Et entre la 1ère et la 2ème manifestation je me suis renseigné, j’ai lu, etc.
Et c’est là où j’ai compris, qu’il fallait rentrer dans cette idée de manifester pour changer les choses.
Vous vous sentez vous concerné par les revendications des Gilets Jaunes ?
Oui, absolument, parce que je viens d’un milieu ouvrier, j’ai vu mes parents avoir du mal à finir les fins de mois pour la vie de tous les jours, sans penser forcément à avoir des loisirs ou l’on partait une fois en vacances tous les deux ou trois ans, tout simplement parce qu’il fallait économiser.
Mon père travaillait chez Renault à l’époque.
Et je me sens concerné parce que j’habite en banlieue, dans le 9-3 [N.d.E. Le code 93 ou 9-3, correspond au département français Seine-Saint-Denis, situé au nord-est de l’agglomération parisienne. Il a une population de 1’600 000 habitants. Entre 1920 et 1970 ce département a reçu de nombreux habitants, à la suite de l’exode rural et à l’indépendance des anciennes colonies, afin de répondre aux besoins en main-d’œuvre de l’industrie.] Comme on dit, les gens ne se mobilisent pas parce que cette banlieue a tellement été décriée, mise de côté depuis des générations, depuis de dizaines d’années, que ces gens-là ne se sentent pas du tout concernés par le mouvement des Gilets Jaunes. Pour eux c’est une révolte des blancs, des petits blancs !
Je vois les gens, là-bas, qui arrivent le 15 du mois au supermarché du coin et n’achètent quasiment plus rien. Les vêtements ne sont pas renouvelés tous les ans, il y a un système d’entre aide entre eux qui fait que l’on se repasse les habits des grands pour les petits. Il n’y a plus d’argent là-bas !
Effectivement, je me sens mobilisé parce que je vois au quotidien des gens qui souffrent, et qui n’osent plus rien dire, ne veulent plus rien dire, ils fonctionnent en circuit fermé.
Pensez-vous qu’ils se sentent victimisés, culpabilisés ou dénigrés ?
Exactement, en fait, c’est un département (le 9-3) qui a compris qu’il ne fallait compter que sur lui-même.
Donc les gens s’entraident, vivent entre eux, ils ne cherchent plus à aller à l’extérieur puisque de toute façon on n’en veut pas d’eux. Vous mettez sur un CV (curriculum vitae) que vous venez du 93, et à candidatures égales vous êtes discriminé, vous n’avez pas le poste ou bien, si votre prénom est un petit peu africain… voilà !
Donc, finalement, depuis votre enfance jusqu’à aujourd’hui, qu’est ce qui a changé ?
Au niveau professionnel, j’ai fait une carrière comme cadre dans le service à la personne, auprès des personnes âgées, et j’ai travaillé avec des auxiliaires de vie qui touchent, en temps partiel, entre 600 et 800 euros par mois, et qui ont deux ou trois enfants. Ce sont souvent des femmes seules qui vivent dans des foyers. Elles ont des titres de séjour, avec ces 600 à 800 euros par mois il faut faire vivre la famille, ces femmes ne rouspèteront jamais, trop préoccupées à ne pas faire de bruit parce qu’il faut renouveler la carte de séjour, et qu’il faut gagner trois francs six sous [N.d.E. Expression utilisée sur quelque chose qui a peu de valeur.]
Et si je suis là depuis 10 fois c’est pour elles, parce qu’effectivement elles travaillent en ce moment, il est 13h00, elles sont chez des personnes âgées pour changer les protections, faire le repas.
Donc, vous êtes vraiment solidaire avec ses femmes qui ne viennent pas, qui ne peuvent pas venir pour de multiples raisons, vous êtes là pour les soutenir, un peu comme leur porte-parole ? Ou porte-parole de cœur on va dire ?
Oui, je sais ce qu’elles vivent, ces femmes, isolées avec des enfants à charge, une pension alimentaire jamais payée par les papas et qui s’occupent des personnes âgées blanches.
Ce sont elles qui généralement prennent le relais des familles qui sont défaillantes. Elles n’ont pas le statut social qui va avec, pas la rémunération qui va avec. C’est ce qu’on appelle de l’exploitation.
D’après vous, jusqu’où ce système alors veut en venir ?
Je ne sais pas, en plus ce qu’il faut savoir c’est que la majorité des Ehpad [N.d.E. Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes, ou Maison de retraite] et des services à la personne pour personnes âgées, sont achetés par des grands groupes étrangers, comme celui dans lequel je travaillais. Il a été acheté par un fonds de pension étatsunien, et à partir du moment où ils ont mis les pieds là, en interne, c’était la débandade avec des exigences sur le personnel qu’y travaillait, des mises à pied, etc. afin d’économiser sur la masse salariale et d’exploiter encore plus les auxiliaires de vie.
L’argent qui est attribué aux personnes âgées à travers l’Allocation personnalisée à l’autonomie (APA), la Caisse de retraite (CNAV) ou les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH), en fait, c’est génial pour les fonds de pension, parce qu’ils savent très bien que l’état va toujours donner et qu’ils vont toujours récupérer de l’argent même si la prise en charge de la personne âgée est très faible, même s’ils ne sont pas payés de suite, c’est pas grave, parce que l’état va donner, donc c’est de l’argent qui va rentrer et qui part à l’étranger, c’est scandaleux !
Comment expliquer que ce système capitaliste libéral appauvrisse les gens ? Comment peut-on expliquer cela dans un des pays les plus riches du monde ?
Je pense que c’est tout simplement la nature humaine. Je pense que c’est pour cela que les Gilets Jaunes aussi se méfient des gens qui veulent rentrer en politique. Parce que dans un moment donné, quoi que vous fassiez, votre ego vous rattrape, et quand vous avez la possibilité de gagner un peu plus vous faites des compromis et c’est juste l’histoire de la nature humaine. On aime posséder. Par contre on peut aimer travailler et posséder, mais pas forcément exploiter les gens.
Est-ce que vous allez participer au grand débat ?
Non, je ne vais pas participer, pas parce que je n’y crois pas, mais je pense que c’est très bien quand même. Tant que l’on dialogue et qu’on parle on peut tout résoudre, mais est-ce que monsieur Macron est dans l’idée d’un dialogue, de résoudre les choses ? Je ne sais pas ! Quand on voit qu’il fait durer, qu’il parie sur une politique basée sur le pourrissement au lieu de répondre très simplement a des choses très concrètes. On ne devrait pas être dans la rue depuis 11 fois. C’est très simple pour répondre aux gens, mais il n’a pas envie, et puis de toute façon il a des comptes à rendre. C’est juste un valet de la finance, il a été placé là par le système international.
Il travaillait juste à côté, là, à Sciences Po, il a fait toute sa carrière dans ce genre d’établissement, Sciences Po, l’ENA (Ecole Nationale d’Administration), etc. et il est ‘hors-sol’ comme disent la plupart des gens, mais je pense que c’est réellement vrai. Sincèrement je pense qu’il m’aime pas les gens.
Pourquoi dites-vous cela ?
Parce que ça se sent, son arrogance par sa manière de toujours provoquer, par son parcours, il n’a jamais de contact avec la vraie vie, ce que nous on appelle la vraie vie.
C’est-à-dire, la vraie vie ?
C’est quand on est en dessous de 1500 euros/mois et qu’il faut faire le choix entre habiller ou nourrir les enfants, plutôt que partir en vacances ! Ce genre de choses ! Monsieur Macron est responsable car c’est lui qui est là. En même temps, c’est un produit du système, donc on ne peut pas lui demander de faire autre chose que ce qu’il sait faire. Il était programmé pour faire ça. Pourquoi résiste-t-il à la proposition d’élection avec la proportionnelle ou d’un référendum d’initiative citoyenne ? Parce qu’effectivement, c’est dangereux pour eux.
Ça remet en cause leur système.
Pour terminer, l’on dirait finalement que vous êtes un peu là : pour rendre hommage à vos parents, et aussi rendre hommage à toutes ces femmes que vous côtoyez, celles pour qui la situation est difficile ?
Oui, pour faire en sorte que tous ces gens arrêtent de passer sous silence. Le Gilet Jaune est symbolique, l’on passe de l’invisible au visible. Arrêter d’être invisible c’était la première idée. Maintenant je pense qu’ils sont visibles, et en plus ils commencent à parler, à avoir des idées !
C’est très embêtant, surtout lorsque ces idées ne sont pas celles du système en place.
Avez-vous envie de dire quelque chose de plus ?
Ce que je constate aussi et c’est pourquoi je reviens depuis 10 samedis de suite, c’est que les gens sont formidables, ils ont envie de parler. Il y a beaucoup de fraternité et beaucoup d’envie d’être ensemble. Je pense que ça déjà ça c’est génial.