Par Leonidas Vatikiotis (*)
L’Union européenne se prépare à appliquer la « porte dure » à la Chine, début 2019, recopiant ainsi la politique économique du président américain Donald Trump.
En particulier, comme l’a révélé l’agence de presse Bloomberg, des négociations intensives ont été engagées depuis longtemps entre le Parlement européen et les gouvernements européens afin de légiférer pour supprimer tous les investissements directs étrangers en Europe en provenance de Chine.
En particulier, un mécanisme paneuropéen est mis en place pour collecter des informations et évaluer les projets d’investissement ciblant des secteurs, technologies ou infrastructures sensibles. Les domaines suivants sont concernés dans les projets examinés : énergie, transports, communications, données, espace, services financiers, semi-conducteurs, intelligence artificielle, robots, etc. Que reste-t-il ? Un système agricole dans lequel on craint que des investissements étrangers d’un seul euro ne soient réalisés, une métallurgie où les pertes s’accumulent depuis des décennies, etc. Dans la pratique, les secteurs les plus cruciales et d’importance stratégique sont investies dans chaque coin de la planète et la concurrence pour les inventions, les normes et les collaborations est fébrile.
Sur la base de ce qui a déjà été divulgué par l’eurodéputé français Frank Proust, la Commission européenne n’inclura pas l’interdiction d’investir. Le mécanisme à mettre en place sera de lever un « drapeau rouge », qui équivaudra à une consultation négative.
Pour voir ce qui se passe dans la pratique, il suffit de regarder quelques situations précédentes récentes. Par exemple, l’Allemagne a déjà fait des interdictions. Grâce à son intervention directe à Berlin, elle a empêché l’acquisition du fabricant allemand de robots Kuka par le groupe chinois Midea, ainsi que l’acquisition de l’industrie de fabrication de machines-outils Leifeld. L’on peut obtenir un aperçu plus complet des changements qui marqueront la mise en œuvre de cette législation aux États-Unis. Au premier semestre de 2018, les investissements directs étrangers en Amérique du Nord ne représentaient que 2,5 milliards de dollars, contre 20 milliards en Europe. Les pays qui ont remporté la part du lion sont : la Suède (6 milliards), l’Angleterre (1,6 milliard), l’Allemagne (1,5 milliard) et la France (1,4 milliard). L’énorme différence entre les États-Unis et l’Europe est attribuée aux décisions du US Foreign Investment Committee, un bureau inter-services qui analyse chaque projet d’investissement, du plus grand au plus petit. Le rôle répressif de ce mécanisme semble se situer lorsque nous comparons les investissements chinois aux États-Unis il y a un an : 24 milliards de dollars, la chute est donc passée à 92% ! En plaçant les événements dans un ordre chronologique, il est facile de voir que le blocus à l’investissement a été précédé par une guerre commerciale, et que l’arrêt des flux d’investissement a été le précurseur à une opposition commerciale. Il reste à voir si l’opposition aux flux d’investissements en 2019, lorsque la nouvelle Commission européenne sera mise en place et prendra ses fonctions, sera le premier acte d’une guerre commerciale entre l’Europe et la Chine qui se déroulera en 2020. Et puisque l’histoire déteste les répétitions, il reste à voir de quelle forme l’escalade suivra…
Il convient toutefois confronter les murailles économiques qui dressent les États-Unis et l’Union européenne avec l’attitude de la Chine. Les critiques en répétition envers le géant asiatique par espionnage industriel, vol de propriété intellectuelle, pratiques déloyales, etc, sont manifestement vraies. Dans le même temps, toutefois, la Chine a aussi été critiqué car elle n’ouvre pas certains marchés individuels, tels que le secteur bancaire. Alors que nous voyons la nécessité de prendre des mesures concrètes de libéralisation de la part de la Chine, l’Occident ferme ses marchés, invoquant des raisons de sécurité nationale. Sur le fond, ils ne peuvent pas faire face à la Chine. Ainsi, les États-Unis et l’UE nient en pratique la libre circulation des capitaux, pierre angulaire du néolibéralisme, lorsqu’ils constatent que, dans des cas exceptionnels, ceux qui définissent les règles de l’accumulation capitaliste ne sont pas du côté du vainqueur. Cela n’arrive pas si souvent, et les sourires accompagnent généralement les commentaires de ceux qui s’opposent à l’ouverture des marchés : des dinosaures obsolètes aux ennemis du progrès ! Allons-nous les entendre maintenant ?
Le Comité d’enquête sur les investissements chinois a toujours de nouveaux types de risques, qui ne proviennent pas de l’étranger, en particulier de la Chine. L’eurodéputé français Frank Proust, qui est le négociateur en chef au nom du Parlement européen, a justifié la nécessité d’une coordination paneuropéenne en raison des menaces que peut créer pour un autre pays l’investissement chinois dans un pays où il n’y a aucune menace. Ici, cependant, un biais peut être créé aux dépens des plus petits pays. Regardons les ports, par exemple.
La situation reste inchangé depuis 2008, à savoir, que l’investissement de Cosco au Pirée (Grèce) est de nature non coloniale et préjudiciable à l’économie, aux habitants de la région et aux relations de travail du personnel du plus grand port du pays. Supposons toutefois que l’accord était effectivement rentable, largement bénéfique et qu’il avait un consensus social. En outre, les plans d’investissement étaient si ambitieux que la primauté de Rotterdam était menacée. Quelle position les Pays-Bas occuperaient-ils dans le comité d’évaluation des investissements chinois, dans la mesure où ils auraient intérêt à annuler l’acquisition afin de ne pas nier sa position dominante ?
(*) L’auteur
Leonidas Vatikiotis est un économiste grec, qui essaie de démanteler dans tous ses travaux le nouveau système libéral et les nouvelles politiques / mesures / austérité libérales qui nous sont imposées comme le dogme du TINA (there is not alternative). Il a été le superviseur scientifique de 4 documentaires, Debtocracy, Catastroika, Fascism inc, This is not a coup.