« Je viens du pays des reporters, du pays des arnaqueurs, là où malheureusement décident les conseils d’administration. Depuis que les conseils d’administration se sont joints aux comités de rédaction, c’en est fini du journalisme. J’ai honte de devoir dire cela, j’ai honte de devoir aller dans la rue pour essayer de donner une voix à ceux qui n’en ont pas et de les rendre visibles, dans mon cas les personnes aux frontières de l’Europe. Cette Europe qui parle des droits humains mais ne les garantit pas. »
Antonio Sempere. Photojournaliste, connu pour son œuvre sur les migrations. Il témoigne du drame des migrations transfrontalières depuis plusieurs années. Il a photographié l’arrivée et les tentatives de sauter les barbelés par des sub-sahariens parvenus à la frontière entre le Maroc et Ceuta. Et aussi la terrible situation de milliers de réfugiés coincés en Serbie après avoir traversé la mer depuis la Turquie.
Il a participé au Forum humaniste européen, dans la table ronde « Journalisme indépendant et engagement social » et présenté une partie de ses expositions « Au pied des grillages » et « L’enfer serbe ».
Forum Humaniste Européen 2018: Quel est le rôle des médias indépendants dans la transformation sociale ?
AS: Nous devons transformer la société, nous sommes les porte-parole, mais nous ne devons pas sombrer dans ce que nous appelons le « Moi-isme ». Malheureusement, la profession de journaliste est remplie de « Moi-istes », c’est une nouvelle tendance. Nous journalistes devons sortir et vendre nos histoires, nous devons gagner de quoi vivre avec nos familles, puis constater que d’autres modifient nos titres et commentaires et même ce que nous voulions transmettre. Nous devons combattre cela de l’intérieur. J’appelle tous mes collègues à s’unir et descendre dans la rue pour exiger un journalisme juste, comme celui de Pressenza. J’ai publié dans Pressenza durant trois années et ils n’ont pas changé une virgule de mes articles. Pour moi, il est très important de travailler dans ces médias indépendants ayant une grande visibilité dans des réseaux de par le monde.
Comment les mouvements sociaux peuvent-ils mettre à l’ordre du jour des médias les sujets qui intéressent les citoyens ?
Dans le monde des mouvements sociaux, il existe de nombreuses formes de militantisme : on peut militer au pied de barbelés, il s’agit de gens présents à la base du conflit et tentant de retirer des informations de ce qui se passe dans différentes parties du monde. Il existe aussi des mouvements comme les défenseurs des systèmes de santé publics et les camarades luttant contre les expulsions par les banques, qui sont là jour après jour pour essayer d’obtenir de meilleures conditions de vie pour tous. D’autres se trouvent dans des lieux où la vie n’a pas de valeur, comme vous pouvez le voir sur ces photos de l’exposition « Au pied des grillages », et les journalistes qui se trouvent en ces lieux sortent pour exiger des droits pour ces personnes dont personne ne veut.
Après 5 ou 6 années durant lesquelles ces gens ont traversé les frontières, les médias les ont oubliés, ils ont oublié les réfugiés et les migrants. C’est malheureusement le cas et c’est nous qui leur donnons la parole et mettons des visages sur les histoires de barrières et de frontières. Nous sommes un très important élément pour le changement, parfois nous mettons notre intégrité en danger, notre vie ou notre avenir professionnel lorsque nous publions ces photos qu’ils veulent censurer, mais nous devons être les transmetteurs de cette réalité dont personne ne parle, montrer du doigt ces rédacteurs en chef qui pensent plus aux résultats financiers de la fin d’année qu’aux vies humaines perdues aux frontières de nos pays.
Traduit de l’anglais par Serge Delonville