Une fois de plus, la France manque à ses engagements de transparence sur le commerce des armes
Près de trois semaines après la date limite, les autorités françaises n’ont toujours pas rendu publics leurs rapports sur les exportations d’armement en 2017. Pour la première fois, la France n’a pas, à la date imposée, remis au secrétariat du Traité sur le commerce des armes (TCA) son rapport annuel sur ses livraisons d’armes en 2017. Elle n’a pas non plus remis au Parlement son rapport annuel sur les exportations.
« Le non-respect par la France de ses obligations, nationales et internationales, nuit non seulement à la crédibilité du pays mais aussi à celle du Traité sur le commerce des armes (TCA) », ont déclaré l’Acat, Amnesty International France (AIF) et l’Observatoire des armements. Les trois organisations appellent la France à respecter ses engagements en matière de transparence sur ses transferts d’armes, transparence exigée par un nombre croissant de députés et citoyens français, qui mettent notamment en cause les exportations d’armements français à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, belligérants du conflit yéménite.
La transparence renforcée du commerce des armes, objectif central du TCA
« À l’international, la France a été le fer de lance du TCA. L’objectif central du Traité étant d’imposer plus de transparence sur les exportations de matériel militaire, la France est désormais loin de montrer l’exemple », dénoncent l’Acat, AIF et l’Observatoire des armements. « Elle compromet aujourd’hui clairement l’universalisation du traité. »
Le Traité prévoit l’obligation d’établir chaque année un rapport sur les importations et exportations d’armes classiques. C’est la première fois depuis l’entrée en vigueur du TCA en 2014 que le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ne transmet pas dans les délais son rapport annuel au secrétariat du Traité. Le fait de manquer à cette obligation compromet sévèrement les efforts déployés pour instaurer la confiance entre les États.
« Le Traité ne dispose pas de mécanisme indépendant de contrôle pour garantir le respect des règles en matière de transferts », a déclaré Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer armes et justice internationale chez AIF. « Les rapports annuels prévus par le TCA sont primordiaux pour permettre aux parlementaires, aux médias et à la société civile d’examiner la conduite des gouvernements, dès lors qu’ils sont rendus publics. Jusqu’à maintenant, non seulement la France les a transmis à temps, mais elle les a aussi rendus publics. »
En parallèle, le ministère des Armées devait transmettre au Parlement, le 1er juin au plus tard, son rapport annuel sur les exportations d’armement de la France pour l’année 2017. Comme l’an dernier, le ministère n’a toujours pas remis, à la mi-juin, son rapport. Il s’agit d’une obligation fixée par la Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013.
Le retard de publication des deux rapports vient renforcer l’opacité qui entoure les exportations d’armes françaises. L’Observatoire économique de la défense (OED) indique qu’en 2017 la France a livré à l’international des matériels de guerre et des matériels assimilés pour une valeur totale de 8,3 milliards d’euros, comme en 2016. L’OED ajoute que le Proche et le Moyen-Orient sont l’une des deux zones à avoir contribué à la croissance des exportations françaises.
« Quelles licences d’exportation ont été délivrées, quelles armes ont été livrées à l’Arabie saoudite et aux EAU, pays accusés par la communauté internationale de commettre des crimes de guerre au Yémen ? », interroge Hélène Legeay, responsable Maghreb/Moyen-Orient à l’ACAT. « Quels sont les destinataires finaux et les utilisations finales de ces armes ? C’est précisément ce que l’on ne sait pas. »
Alors que doit se tenir à Paris, le 27 juin prochain, une conférence humanitaire co-présidée par la France et l’Arabie saoudite au sujet du Yémen, nos associations craignent que la France se garde bien d’aborder la question de l’utilisation potentielle des armes françaises contre la population yéménite par l’Arabie saoudite, alors que ce dernier pays est à la tête d’une coalition qui a commis des violations du droit humanitaire de façon « généralisée et systématique » depuis le début du conflit selon les Nations unies.
« À l’heure du scandale européen lié à l’utilisation d’armes au Yémen, il est regrettable de constater que l’information sur les ventes d’armes est encore instrumentalisée politiquement en France. Cela reflète un retard patent par rapport à d’autres puissances européennes (Royaume-Uni, Allemagne, Suède, Pays-Bas) dans lesquelles le Parlement a accès aux données relatives aux contrats d’armement et dispose d’un pouvoir de contrôle élargi en la matière», conclut Tony Fortin, chargé d’études à l’Observatoire des armements.
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Informations complémentaires
Des ventes d’armes de plus en plus contestées, un contrôle parlementaire indispensable
Le 20 mars dernier, le cabinet d’avocats Ancile, mandaté par l’Acat et Amnesty International, a publié une étude juridique sur la légalité des ventes d’armes de la France à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis dans le cadre du conflit au Yémen. Peu après, l’Observatoire des armements, en partenariat avec la FIDH, a publié un rapport sur le même sujet. Ces deux publications concluent qu’il existe un risque juridique extrêmement élevé que les transferts d’armes de la France vers ces deux pays soient illégaux au regard du TCA et de la Position commune 2008/944/PESC du Conseil de l’Union européenne. Tous deux interdisent aux États d’exporter du matériel militaire s’il existe un risque prépondérant ou clair qu’il puisse être utilisé pour commettre ou faciliter la commission de violations graves du droit international humanitaire.
Ces derniers mois, des ONG, des citoyens et des députés n’ont eu de cesse de questionner le gouvernement sur la légalité des ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis dans le cadre du conflit au Yémen et d’appeler à plus de transparence. La France doit sans tarder publier toutes les informations qui permettent d’attester de la légalité de ses exportations de matériels militaires, notamment dans le cadre du conflit au Yémen.
Ainsi, nos associations soutiennent la proposition de résolution n°856, déposée par des parlementaires à l’Assemblée nationale le 6 avril 2018, pour demander l’ouverture d’une commission d’enquête sur le respect des engagements internationaux de la France dans le cadre de ses exportations d’armes aux belligérants du conflit au Yémen, au cours de ces trois dernières années. Au-delà, elles demandent un contrôle permanent du Parlement sur la politique d’exportation d’armements du gouvernement français.
Le Traité sur le commerce des armes
Le TCA est un traité international qui fixe des interdictions dans le but de mettre fin aux transferts entre États d’armes, de munitions et d’articles connexes, lorsque l’on sait qu’ils seront utilisés pour commettre ou faciliter un génocide, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre. Les États parties doivent évaluer le risque « majeur » que des exportations d’armes ne contribuent à de graves violations du droit international humanitaire et des droits humains.
À ce jour, 130 États ont signé le traité et 95 l’ont ratifié, y compris cinq des dix principaux exportateurs d’armes du monde : la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni. Cependant, de gros marchands d’armes – comme la Chine et la Russie – n’ont pas encore adhéré au TCA. Les États-Unis l’ont signé sans le ratifier. En signant le TCA, les gouvernements s’engagent à ne prendre aucune mesure susceptible de porter atteinte à son objet ou ses buts.