Malalai Joya est une femme politique, activiste et écrivaine afghane. En tant que députée élue, le 17 décembre 2003, à l’assemblée de Loya Jirga, elle dénonça la présence au Parlement de personnes qu’elle qualifia de “seigneurs de guerre et criminels de guerre ». Depuis, elle a reçu des attaques et des menaces de mort, à tel point qu’aujourd’hui elle vit cachée et escortée.

En mai 2007, elle est suspendue de ses fonctions de députée au Parlement pour l’avoir qualifié de zoo. La suspension, à laquelle elle a fait appel postérieurement, a provoqué de fortes protestations internationales y compris une déclaration signée par des écrivains et intellectuels comme Naomi Klein et Noam Chomsky, mais également des parlementaires canadiens, allemands, anglais, italiens et espagnols.

En mars et avril de cette année, elle a eu de nombreuses réunions en Allemagne et en Italie, où elle a été invitée par le Festival Dedica et Cisda (Coordination Italienne d’Appui aux Femmes Afghanes). Nous avons pu la rencontrer à Milan quelques jours avant son retour en Afghanistan.

Photo de Laura Quagliolo

Lors d’une réunion au CAM Garibaldi à Milan, vous avez souvent parlé de la nécessité de démasquer la fausse démocratie amenée par les Etats-Unis en Afghanistan. Pourriez-vous nous expliquer cela plus en détail ?

Cette démocratie est fausse car le peuple afghan n’a eu ni voix ni vote dans la manière dont elle s’est appliquée, comme elle nous a été imposée. La “démocratie” des États-Unis n’a pas seulement été une invasion, elle a aussi été une guerre de propagande. Aucune nation ne peut en libérer une autre, il doit y avoir auto détermination. D’autre part, l’extrémisme et les extrémistes ont perduré dans cette fausse démocratie, puisqu’ils contrôlent le gouvernement, ils ne sont rien d’autre qu’une photocopie des talibans. Ils contrôlent le pays en restreignant la liberté et en célébrant des élections frauduleuses pour faire semblant qu’il y a démocratie. L’occident tombe en grande partie dans cette mascarade de fausse démocratie, puisque qu’il reconnaît et interagit avec les leaders des seigneurs de guerre, et les invite même à l’ONU.

Les valeurs démocratiques ont été trahies, les violations des droits de l’homme sont constantes, la corruption galopante et la production d’opium augmente, ce qui se transforme en une augmentation énorme du nombre de consommateurs de drogue (y compris 100.000 enfants). Beaucoup de gens en Afghanistan finissent par dire : “Si c’est ça la démocratie, nous n’en voulons pas”.

Vous avez également dit qu’en ce moment il y a quatre ennemis en Afghanistan : les talibans, les occupants étrangers, les seigneurs de guerre et Daech. Qu’est-ce qui peut se faire pour les combattre ?

Tous ces ennemis proviennent de la cause d’origine de l’impérialisme et du fondamentalisme. Les occupants étrangers et les gouvernements qui ont amené la guerre et l’occupation ont créé et appuyé l’extrémisme. L’extrémisme se base sur le contrôle et la peur du peuple afghan, ainsi que sur les fonds étrangers. L’éducation est un élément clé pour combattre l’extrémisme, car à travers elle les personnes peuvent comprendre leur identité et leurs capacités économiques et éducatives. Une fois que les gens se seront rendus compte de la vraie barbarie des talibans, des seigneurs de guerre et de Daesh (seuls leurs noms diffèrent mais ils commettent tous les mêmes actes de barbarie) et que les occupants étrangers les ont appuyés de diverses façons durant différentes périodes du conflit, le peuple ne le tolérera pas. C’est pour cette raison que les extrémistes se dirigent souvent vers les écoles et les étudiants, ils se voient menacés par une population éduquée, puisque les personnes sans éducation sont plus faciles à contrôler.

Vous avez décrit la situation des femmes comme “un enfer”. Cependant, en même temps, il y a des initiatives et projets pour appuyer leurs droits. Pouvez-vous nous en expliquer plus à ce sujet ?

Malheureusement, l’image et l’histoire communes du peuple afghan, et particulièrement des femmes, sont oppression. Il est vrai que nous avons des droits très limités et que nous souffrons d’oppression, d’ignorance et de violence, mais il y a beaucoup de femmes et hommes courageux qui luttent pour la liberté. Ces histoires doivent être racontées pour montrer l’Afghanistan sous une lumière positive pour que le monde croit en nous et appuie notre lutte. Des organisations telles que Rawa (Association Révolutionnaire des Femmes d’Afghanistan), dont la fondatrice Meena a été assassinée par des fondamentalistes en 1987 au Pakistan, Opawc (Organisation pour la Promotion des Capacités des Femmes Afghanes) et Spa (Parti de la Solidarité d’Afghanistan) ont pour objectif de diffuser l’éducation et les moyens aux femmes. Il y a aussi d’autres initiatives locales comme les programmes de musique. Les femmes progressistes qui sont derrières ces organisations et activités ont besoin d’appui et que leurs histoires soient partagées, car elles risquent leur vie pour amener des moyens à leurs gens. Lorsque des gens courageux comme eux élèvent leurs voix, ça c’est la démocratie.

Vous terminez votre tour de réunions en Italie. Quel était l’objectif de ce voyage ?

Depuis 2003, j’ai reçu diverses invitations à parler un peu partout dans le monde, et je porte le message de mon peuple. Ma voix est sa voix. J’amène toujours notre pétition de solidarité pour que les peuples du monde nous appuient et écoutent notre vraie histoire, au lieu des narrations et mensonges des moyens de communication. Nous avons besoin d’éveiller la conscience en Occident, pour qu’il puisse examiner de manière critique le rôle joué par l’occupation étrangère des Etats-Unis et de l’OTAN et de la participation même de leurs gouvernements. Nous avons également besoin de l’appui pratique de l’étranger pour soutenir les initiatives éducatives par exemple, je fais donc cette pétition également au nom de mon peuple.

En tant qu’activistes et en tant que personnes qui sont en général contre toute forme de violence, que pouvons-nous faire pour vous aider à lutter en Afghanistan ?

Choisir des hommes politiques honnêtes. Éduquez-vous. Je veux que les journalistes couvrent ce qui se passe réellement dans le pays, y compris les initiatives positives comme le travail de RAWA, pour que ce ne soit pas toujours des histoires d’oppression. Les journalistes aussi ont besoin de défier la narrative de la “libération” de l’Afghanistan par les Etats-Unis et l’OTAN et expliquer que nous ne sommes pas libres. Je veux que les activistes prêtent attention et appuient toutes les personnes qui luttent dans le monde pour leur libération, comme les Palestiniens et les Kurdes. J’ai beaucoup d’espoir quant au succès des Kurdes qui luttent contre Daech et pour l’auto détermination, et nous devons apprendre d’eux. Je veux que les activistes comprennent que la victoire des Palestiniens, des Kurdes ou des États-Uniens qui résistent à Trump est une victoire pour nous : leur victoire est notre victoire. Lorsque le peuple détient réellement le pouvoir, cela est une victoire.

Après vos condamnations, vous avez vécu cachée pendant un certain temps. Qu’est-ce qui vous donne la force et l’espoir de continuer votre compromis en tant qu’activiste des droits humains ?

Ma conscience est réveillée et la vérité me pousse à continuer. Je dois diffuser la vérité sur l’Afghanistan et éveiller la conscience des gens. Connaître les peines et douleurs de mon peuple me rend infatigable car c’est ma responsabilité de lutter pour eux. Je ne suis pas la seule activiste qui vive ainsi, il y en a beaucoup d’autres. La solidarité que nous recevons de tout le monde et l’appui d’intellectuels et activistes tels que Chomsky nous aident à savoir que nous avons du succès quant à la lutte contre ce silence politique en Afghanistan. De plus, les figures historiques afghanes et d’autres figures notables comme Martin Luther King, Charlie Chaplin et John Lennon sont une source d’inspiration pour moi.

Quel rôle et quelle valeur a pour vous la nonviolence ?

Je suis totalement contre les armes et la violence. Je crois qu’il faut laisser les armes de côté pour construire un pays, mais ceux qui sont au pouvoir en Afghanistan parlent à travers le canon d’une arme. Je vais donner un exemple qui explique ma situation actuelle en tant que croyante en la nonviolence tout en vivant cachée : même si je hais les armes et l’oppression des burkas, maintenant j’ai confiance en leur protection en tant qu’activiste. J’ai des gardes du corps et je dois utiliser la burka pour que les gens qui veulent m’assassiner ne puissent pas me reconnaître.

Comment est la justice en Afghanistan ?

La justice est aussi fondamentale que la nourriture et l’eau. Tous et chacun des afghans mérite la justice, puisque tous et chacun d’entre nous a perdu quelqu’un ou nous avons été affectés par la violence. Les terroristes, les extrémistes et les seigneurs de guerre doivent être jugés pour qu’il y ait justice. Dans les cœurs et les esprits des afghans, ces personnes sont déjà en train d’être jugées, mais il doit y avoir un jugement dans la pratique. Il ne faut pas seulement juger les chefs de guerre, il faut aussi juger ceux qui promeuvent, qui perpétuent et prolongent l’invasion, comme Bush et Obama. En ce moment il y a des processus de paix, mais on invite les seigneurs de guerre à donner leur opinion, ce qui n’est pas juste. Il est important de rappeler que la paix sans la justice n’est pas une paix réelle. Les occupants étrangers doivent abandonner le pays et le peuple afghan doit établir sa propre démocratie laïque pour qu’il y ait justice.

A votre avis, quels impacts ont eu les organisations internationales de développement et les ONG en Afghanistan ?

Les ONG internationales sont en grande majorité corrompues, souvent l’argent restent dans leurs poches au lieu de servir pleinement au peuple afghan. Je pense que les ONG occidentales sont souvent instrumentalisées par leurs gouvernements pour justifier l’occupation de mon pays. Leur travail a également introduit un autre ennemi au pays : la privatisation. Maintenant il y a des hôpitaux et des écoles, grâce à la collusion entre les ministères gouvernementaux et les ONG, qui sont des projets à but lucratif trop coûteux pour que l’utilise l’afghan moyen. C’est très douloureux pour moi d’écouter les éloges faites aux ONG et à l’Occident pour amener la “sécurité” en Afghanistan, puisque ça continue à être un endroit très insécurisé et violent.

Je crois fermement en le pouvoir et le travail des organisations afghanes locales et honnêtes comme RAWA et OPAWC.

Nous observons avec grande tristesse que le jour où Malalai est retournée en Afghanistan, il y eut des attentats terroristes mortels dans lesquels ont disparu des civils, des journalistes et des photographes. C’est à cet enfer quotidien que Malalai et le peuple afghan continuent de s’affronter.

 

Traduit de l’espagnol par Angèle Gay