Par Arantxa Tirado
L’élection de la Neuvième Assemblée nationale du pouvoir populaire de Cuba, le 11 mars 2018, puis la désignation, par cette dernière, du Conseil d’État et de son président, élus parmi les membres de l’Assemblée, était suivie de près par les observateurs, Raúl Castro ayant annoncé qu’il ne se représenterait pas au poste de président du Conseil d’État, qui est aussi chef de l’État et du gouvernement. Miguel Díaz-Canel Bermúdez a été élu président du Conseil d’État le 19 avril 2018. Arantxa Tirado, chercheuse au Centre stratégique de recherche géopolitique latino-américain (CELAG) analyse cette désignation. Article publié sur le site du CELAG le 19 avril.
Au terme de deux jours de séance, l’Assemblée nationale de Cuba a levé l’incertitude et Miguel Díaz-Canel Bermúdez est depuis aujourd’hui le nouveau président de la République, ce qui confirme ce que prévoyait la majorité des analystes. Avec la désignation de Díaz-Canel comme président des Conseils d’État et des ministres de Cuba, soutenue par 99,83% des voix, la génération historique a laissé la place à une génération plus jeune qui est pratiquement venue au monde avec la Révolution (Díaz-Canel est né le 20 avril 1960) ou après la révolution. En fait, presque 90% des députés actuels de cette Neuvième Législature de l’Assemblée nationale sont nés après le 1er janvier 1959. La moyenne d’âge des 605 députées et députés est de 49 ans et 42% d’entre eux sont élus pour la première fois, issus de secteurs pluriels de la « société civile socialiste cubaine », même si la figure d’Esteban Lazo se maintient à la présidence.
Ces données témoignent d’une relève à l’œuvre au sein des dirigeants politiques, relève qui, malgré tout, mérite d’être nuancée. Le général de l’armée de terre, Raúl Castro conservera sa fonction de Premier secrétaire du Parti communiste de Cuba (PCC) pour diriger, d’un point de vue idéologique, un transfert de responsabilités aux nouvelles générations qui devra être « progressif et ordonné » [1]. Son mandat s’achèvera en 2021 et il est prévu que ce soit Díaz-Canel qui, à ce moment-là – ou quand Raúl ne sera plus là, comme l’a dit Castro lui-même lors de son intervention – assume aussi la direction du PCC pour unifier à nouveau direction de l’État et du gouvernement et direction idéologique. La séparation actuelle des directions est une situation inédite depuis plusieurs décennies.
Bien qu’on spécule sur la nouvelle orientation que peut prendre Cuba, le nouveau président a dit clairement « durant cette législature il n’y aura pas de place pour ceux qui aspirent à une restauration capitaliste », dans un discours en hommage à la génération historique, durant lequel il a fait appel aux principes très guevaristes que sont « la modestie, le désintéressement, l’altruisme ou la solidarité » [2]. Il a repris à son compte le concept de Révolution défini par Fidel Castro et, s’appuyant sur les principes énoncés, il a dit clairement qu’il est là pour travailler et non pour promettre. Cela peut laisser supposer une attention particulière aux nombreux défis économiques auxquels doit faire face la société cubaine [3]. Le nouveau président devra se créer une légitimité par ses actions, puisqu’il ne dispose pas de la légitimité symbolique obtenue à l’origine par la lutte guérillera de la génération historique.
Mais les défis sont aussi politiques et la génération historique semble en être très consciente, si on se réfère à ce qu’a exprimé Raúl Castro dans son discours devant l’Assemblée nationale. Un discours historique au parfum de fin de cycle générationnel et non politique. Raúl Castro a annoncé une réforme constitutionnelle qui introduira la limitation de mandat à deux législatures de cinq ans chacune, option retenue parmi d’autres, comme il l’a indiqué, après de longs débats.
Et de fait, dans cette relève rien n’est le fruit du hasard ni n’a été fait à la légère. « Díaz-Canel n’est pas un président improvisé », comme l’a déclaré Raúl Castro. Il n’est pas non plus tombé de la dernière pluie : il était premier vice-président du Conseil d’État depuis 2013. Sa trajectoire professionnelle et politique est longue, il a été évalué, et finalement choisi, en raison de ses qualités (« maturité, conviction idéologique, engagement, fidélité à la Révolution », entre autres), parmi d’autres cadres politiques de sa génération. En outre Díaz-Canel va être entouré de vieux gardiens de la Révolution au Conseil d’État, comme Ramiro Valdés, qui garantissent la continuité entre les nouveaux dirigeants et la génération historique.
Un thème qu’il faudra suivre de près sera la position de Díaz-Canel au sein des Forces armées révolutionnaires (FAR) et la relation qu’il établira avec elles. On a souligné à plusieurs reprises le caractère militaire du Gouvernement révolutionnaire cubain, mais, aujourd’hui, l’Assemblée nationale est composée en majorité de civils. Il en est de même pour le Conseil d’État. La Constitution de la République de Cuba, dans son article 91, incise g, confère au président du Conseil d’État « la responsabilité du Commandement suprême des Forces armées révolutionnaires » [4]. Néanmoins, il semble peu probable que la génération historique, composée de hauts gradés militaires, passe ici au second plan. Du moins à court terme.
En définitive, Cuba amorce une nouvelle étape de sa Révolution, caractérisée par le renouvellement des dirigeants et des façons de faire de la politique, ce qui comprend aussi une réforme constitutionnelle à court terme. Mais un effort est fait pour que ces changements soient conduits dans le cadre d’un maintien des principes idéologiques et du projet socialiste sur lesquels est fondé l’État cubain, qui n’est pas remis en question, en dépit de ce que souhaiterait une grande part de la communauté internationale désireuse d’assister à la fin du socialisme cubain. La capacité à combiner changements et traditions, qui ne sont pas forcément contradictoires, est le principal défi que les nouveaux dirigeants doivent relever. Mais c’est aussi un défi qui incombe à la société cubaine dans son ensemble. De tous dépend que la Révolution cubaine transcende la génération historique qui aujourd’hui transmet, symboliquement, une partie de son pouvoir.
Notes
[3] Voir l’article traduit et publié sur AlterInfos – América latina : «CUBA – Enjeux politiques et économiques dans un contexte préélectoral».
Traduction de Françoise Couëdel pour Dial.
Source (espagnol) : CELAG, 19 avril 2018.
Source (français) : Dial, Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – www.dial-infos.org, http://www.alterinfos.org/spip.php?article8238