Nous traduisons l’article de Francisco Parra en ajoutant du contexte pour les lecteurs francophones. Florcita Motuda (nom d’artiste de Raúl Alarcón) a été élu récemment député au Chili pour le Parti Humaniste dans la coalition du Frente Amplio. Florcita s’est présenté, lors de la cérémonie d’inauguration, comme dans ses concerts, fidèle au style irrévérencieux qui a toujours caractérisé sa carrière artistique et politique (il est l’un des fondateurs du Parti Humaniste chilien, militant contre la dictature et auteur de la « Valse Impériale du NON », la chanson qu’a chanté toute l’opposition lors du référendum qui enverrait Pinochet chez lui).
Habillé en tenue de soirée, il a apposé sa signature en tant qu’Honorable [NDR. Député]. En l’espace de deux semaines il était connu de tous ses collègues. Dans un lieu où personne ne semble s’écouter, l’homme aux petites antennes et à la blouse blanche est celui qui paraît le plus disposé à comprendre ce que disent les autres. Et jusqu’à en être surpris : ça lui plait d’être député.
Il s’arrête, s’assied. Lève la main, la baisse. S’arrête à nouveau. S’approche d’un député, d’un autre, d’une autre et encore d’un autre. On lui dit de se rapprocher du micro afin que tout le monde l’entende. La retransmission télévisée le capte soudain de dos, regardant de face le parlementaire qui a la parole.
A la Chambre des députés, plus de la moitié des sièges sont vacants tandis que l’on débat sur des mesures de contrôle envers les agresseurs dans le contexte de la violence conjugale. Nombre de ceux qui sont présents parlent entre eux. On entend le murmure et au milieu se trouve Florcita. Il va d’un côté à l’autre, pour s’approcher de celui qui a la parole. Il aime regarder les gens en face pour les comprendre.
Raúl Alarcón est né à Curico il y a 72 ans, il est le fils d’un carabinier et d’une professeure.
« Florcita Motuda » est né il y a 41 ans, il est « le fils de Violeta Parra et de Jimmy Hendrix. »
Heureux
Étonnamment, Florcita Motuda est heureux d’être député.
« Je suis surpris d’être aussi content mec ! Je me lève à 6h du matin ! Comme si je travaillais, juste parce que faire de la musique pour moi n’a jamais été un travail. Même mon physique est mieux parce que je me sens heureux. »
Avant d’arriver au Congrès il s’inquiétait de savoir comment éviter de s’endormir lors des réunions. Et qu’on lui « tire le portrait » en train de dormir à la Chambre. Mais rien de tout cela n’est arrivé, c’est pour ça que sa vie est mouvementée. Il se lève à 6h, prend le mini bus, monte dans le métro et arrive à la station Pajaritos pour partir direction Valparaiso. A 6h de l’après-midi ‑ s’il n’y a pas de réunion ‑ il repart pour Santiago.
« J’ai un niveau de lucidité remarquable disons. Pour moi, c’est incroyable », dit-il dans le bus de retour vers la capitale. Raúl est en « civil » et dit qu’on ne le reconnaît pas trop parce qu’il est « juste un petit vieux de plus ». Sur le trajet quelques personnes lui demandent un selfie, d’autres le saluent, l’encouragent, une personne propose de prendre sa guitare pour jouer ensemble et un vendeur d’eau veut enregistrer le moment où il lui a acheté une bouteille. Florcita Motuda est dans l’inconscient collectif.
Lorsqu’il n’est pas en « civil », Florcita est « en tenue de gala ». Les antennes, la cape et l’incontournable T-shirt à son nom, celui qu’il utilisait déjà dans les années 70 et avec lequel il a mis en musique le combat contre la dictature avec la « Valse impériale du NON ».
C’est ainsi qu’il était le jour où il est devenu député de la République. Sa première intervention à la Chambre fut pour demander qu’on règle le son. Le bruit fait par ses collègues le gênait et il voulait entendre les interventions. Il demanda la parole et sollicita la régie son afin que l’on augmente les aigus et baisse les graves.
L’intervention provoqua des applaudissements dans l’hémicycle et s’est propagée sur les réseaux sociaux. Maintenant en effet, on entend mieux reconnaissent plusieurs députés. « On connaît ces problèmes. En audio on égalise la voix pour que ça sonne plutôt bien. Et si on élève les aigus ça ne sonne pas bien, mais on comprend mieux, c’est ça la clé » explique-t-il.
Améliorer le son n’est pas un thème mineur pour Florcita Motuda. « C’est que si je n’écoute pas ça me contracte, alors je vais me fâcher sous n’importe quel prétexte. Il faut éliminer toutes les possibilités de tension ou de fâcherie car cela empêche d’écouter de quoi l’on parle » dit-il.
Son voisin de siège, Renato Garin, député de Révolution Démocratique, dit qu’il « a un autre rythme, une autre façon de fonctionner ».
Garin est exactement l’opposé de « Flor ». Empesé jusqu’au cou et studieux – il n’arrête pas de prendre des notes à tout moment au cours des sessions – il a été nommé par le groupe Frente Amplio pour « prendre en charge » le député Motuda. « Ma difficulté de chaque jour consiste à le faire asseoir, pour que la caméra de l’ordinateur le reconnaisse et se déclenche. Je suis une sorte de tuteur, chaque fois que je le rappelle à l’ordre, je crie : Raul ! » dit-il en riant.
Ils sont devenus amis et ont des échanges hors de l’hémicycle.
De l’autre côté est assis Diego Ibáñez, du Mouvement Autonomiste. « Chaque session nous rend heureux. Lui, à son âge, représente cette rébellion culturelle du passé. Pendant plusieurs années le Congrès n’a pas été représentatif et lui Florcita surmonte symboliquement l’exclusion vécue pendant la transition » affirme-t-il.
Flor Motuda apprécie ses nouveaux compagnons : « Je me sens privilégié d’être avec eux, un mec de 72 ans comme moi, je suis comme leur grand-père là au milieu. Avec Garin nous sommes toujours pliés de rire. Pamela, Crispi, Diego, Gonzalo Winter, sont tous des gens très chaleureux, je leur dis seulement de ne pas vieillir parce qu’ils pourraient perdre le moyen de parler comme des jeunes. Parfois ils se comportent comme ce modèle antique de politicien qui parle fort et durement, et perdent ainsi les caractéristiques de la jeunesse ».
« Quand ils agissent comme ça je leur dis tout de suite des sottises » ajoute-t-il.
Sans se fâcher
Au cours de ma vie je me suis fâché je ne sais combien de fois, mais après j’ai compris qu’il y avait toujours un dénominateur commun dans la relation avec les autres, et ici apparaît le plus petit commun dénominateur. Je regarde tout le monde avec le cœur, tout le monde, pour moi ce sont tous des proches, quels qu’ils soient. La différence je la situe sur le plan des idées, dans la tête, mais cela ne diminue ni ne trouble mon cœur, il garde toujours la même position, dit Motuda.
Que se passe-t-il lorsque vous écoutez ceux de l’UDI ?
Fait intéressant, j’ai trouvé des coïncidences et on a voté des lois à l’unanimité. Puis bien sûr, apparaissent les thèmes qui placent chacun dans ses retranchements, la droite, la gauche. Pour moi, ces concepts et ces termes ne donnent pas d’ampleur pour ce moment historique, nous devons chercher d’autres termes pour qualifier les gens, en tant que bonnes personnes et d’autres qui le deviendront à un moment donné.
Député, il n’est pas bon d’argumenter
Avec l’âge on comprend que les gens ont le droit d’avoir leurs points de vue et c’est plus facile quand on se sent proche de l’autre. Bien sûr quand ils se mettent dans leurs points de vue sans issue, les uns à droite, les autres à gauche, ça ne les dérange pas de ne pas s’écouter. Cela me dérange, car pour moi le concept de droite-gauche ne donne pas d’envergure.
Quelle affaire porterez-vous devant le Congrès ?
Il y a quelque chose qui me touche, c’est le fait qu’ils font prisonniers les musiciens des rues. Parfois ils confisquent l’instrument ou le cassent. Ce thème touche même les flics qui les arrêtent, ce n’est agréable pour personne d’arrêter un musicien qui tente de gagner sa vie dans la rue. Dans la commission culturelle j’insisterai là-dessus.
La culture et les sports, l’autre commission dans laquelle vous êtes, sont plus décontractées que les autres.
Aucune querelle ! Elle n’est pas comme la commission de droits humains ou la trésorerie. Je les préfère parce qu’ils ont à voir avec l’esprit. Souvent, la politique est concernée par l’économie et rien d’autre que l’économie. C’est le côté matériel. Mais l’être humain a des besoins matériels et spirituels, au sein desquels se trouvent l’art, la science, ce qui permet que l’on respire et se connecte. Ce n’est pas de l’économie pure, de ce point de vue, je veux mettre en avant ces nécessités spirituelles devant le Congrès.
Humanisme
Florcita Motuda est l’un des fondateurs du Parti Humaniste. Il s’est présenté quatre fois avant d’être député. La cinquième a réussi.
Il dit qu’il s’oppose, en tant que philosophe de la vie, à la méthodologie classique de la thèse- antithèse- synthèse. Cela conduit seulement à s’opposer, à se battre, à ne pas supporter l’autre. Cela ne lui plait pas.
« Nous, humanistes, disons : différenciation, complémentation et synthèse. C’est une autre intentionnalité, de vouloir comprendre, de ne pas s’opposer à l’autre sans écouter ce qu’il dit » explique-t-il.
Une fois, ils lui ont dit de changer de costume, parce qu’il était Raúl Alarcón député. « Vous ne comprenez pas », dit-il. « Si vous vérifiez dans le ‘Servel’ je n’ai aucune contribution, je n’ai rien dépensé, mon investissement a été le Florcita Motuda. Raul n’a pas gagné, le député c’est Florcita Motuda. Les gens me connaissent de cette façon, c’est pourquoi je suis venu en tenue de gala. Quand il le faut, dans un moment de tension, je vais mettre le costume. Lorsque la question devient sérieuse, je me mets en uniforme. »
Cette semaine, ses déclarations à l’appui de la demande maritime de la Bolivie ont provoqué une controverse au milieu d’un nationalisme tellement exacerbé. Il ne le savait pas. Il a regardé la vingtaine de conversations de Whatsapp sur son téléphone portable, la plupart sont des demandes d’interviews, à la fois du Chili et de la Bolivie. Il rit quand il voit qu’une note de lui sur Bío Bío (Région du Chili) a été partagée plus de 30 mille fois sur Facebook.
Le lendemain, la Bienvenue du matin lui a préparé un piège, les membres du groupe s’interrogeaient sur la façon dont un député pouvait soutenir l’accès à la mer de la Bolivie. « C’est que j’aime cet endroit, j’aime le folklore, les gens. La judiciarisation du problème nous nuit à tous. Ce qui se passe c’est que le Chili veut montrer ses muscles et avoir l’air puissant mais pas moi, il faut être à la hauteur. Imaginez si nous étions ceux qui vivent là-bas et que l’on nous enlève une partie importante du territoire », dit-il.
Puis il ajoute: « Il y a quelque chose que je remarque intensément, c’est que j’ai une communication avec mon enfant intérieur. Les enfants ne font jamais ce qu’ils ne veulent pas faire. Et je suis comme un petit garçon. Avant j’avais peur mais je n’avais rien à faire parce que mon enfant intérieur, celui qui ne fait rien qu’il n’aime pas, s’amuse à être député ».
Traduction de l’espagnol : Ginette Baudelet