Les manifestations récentes des Péruviens, ces derniers jours, en réponse à l’amnistie accordée pour des raisons « humanitaires » à l’ancien président Alberto Fujimori, soulignent le sentiment général de colère face à la farce et à l’abus du mot « réconciliation » par l’ancien président condamné. Les protestations des Péruviens sont une démonstration claire de ce à quoi la réconciliation ne ressemble pas. Si, toutefois, nous voulons voir ce qu’est réellement la réconciliation, comment un dictateur ou un dirigeant cruel pourrait l’invoquer, et dans quelles circonstances nous pourrions commencer à en discuter, alors ce serait certainement une tâche difficile. Parce que c’est un processus tout à fait nouveau.
Est-ce que quelqu’un qui a commis des meurtres, ou qui est responsable de disparitions collectives, ou de l’exercice généralisé de la violence, est habilité à parler de réconciliation ? Le fait d’être condamné à 25 ans de prison, comme dans le cas de Fujimori, suffirait-il pour que les gens se réconcilient avec ses terribles actes ? Et Fujimori lui-même ? 25 ans de punition lui suffisent-ils pour se réconcilier avec le côté sombre de son existence ?
La réconciliation ne peut se faire que lorsqu’elle est souhaitée. Elle peut se faire tôt ou tard, mais elle doit être souhaitée. Aucun processus de réconciliation ne peut commencer lorsque l’une des parties impose le temps du pardon et de la réconciliation à l’autre. Donc, si Fujimori n’abuse pas du mot « réconciliation » et de sa signification, quel pourrait être le cadre dans lequel les deux parties pourraient parler de ce processus ?
Fujimori a un long chemin à parcourir. Cela ne fait aucun doute. Je me demande si, au cours de l’histoire, il y a eu un dictateur ou un dirigeant violent qui ait reconnu ses propres crimes. Y a-t-il jamais eu un leader qui ait expliqué publiquement les circonstances dans lesquelles il a commis de telles atrocités et exercé une telle violence avec ampleur ? Accepter ses crimes, sans aucune espèce de justification, pourrait être un début. Il n’ y a aucun « intérêt national » qui puisse justifier la torture ou le meurtre.
Quant aux survivants et aux familles des victimes, il est important que l’auteur des crimes établisse un dialogue suivi. Et s’ils ne veulent pas d’un tel dialogue ? Dans ce cas, qu’il s’agisse d’un dialogue ouvert et suivi uniquement de sa part. D’autres actions et projets pour la population sont nécessaires. S’il y a des richesses accumulées depuis l’époque de sa gouvernance, il doit trouver un moyen de les investir en faveur de la communauté, en faveur de la réconciliation. Nous parlons de projets d’aide sociale, de monuments qui rappellent pourquoi de telles actions ne devraient pas se reproduire, du financement de groupes qui œuvrent pour la démocratie directe et d’autres moyens démocratiques de prendre des décisions, de la nonviolence.
Qu’un dirigeant repenti écrive des lettres aux dirigeants violents d’aujourd’hui est aussi une manière d’agir en faveur de la réconciliation. Mettre en lumière les forces qui cherchent à imposer de tels dirigeants dans le monde pour servir leurs intérêts particuliers est une autre voie vers la réconciliation. Écrire un livre basé sur des faits réels, un livre sur les ordres qu’il a donnés pour des exécutions massives pourrait aussi être un processus de rédemption et un apport pour toute l’humanité.
Tout ce qui précède pourrait être fait par la personne condamnée alors qu’elle est encore en prison. Si elle veut réellement comprendre le côté sombre qui l’a poussée à faire de telles actions horribles, le fait que sa liberté soit restreinte ne l’arrêterait pas.
Et si prendre des initiatives telles que celles mentionnées ci-dessus ne suffisait pas à convaincre les gens de prendre avec lui le même chemin de la réconciliation ? Une chose serait sûre : son propre processus vers la réconciliation aurait commencé, malgré le fait que les autres ne l’acceptent pas. Nous parlons après tout de ceux qui ont été confrontés à la torture, aux victimes, aux disparitions. Eh bien, même ces personnes doivent faire quelque chose avec ce fardeau et doivent trouver un moyen de faire face à ce qui leur est arrivé si elles ne veulent pas continuer à envenimer les générations futures. Même si Fujimori était maintenu en prison parce que justice est rendue, cela n’arrêterait pas le venin.
Le processus de réconciliation est long. Parfois, cela prend des années ou toute une vie, même avec des actes moins barbares que le meurtre et la torture. La société identifie de manière erronée la justice avec la vraie réconciliation, laissant les blessures ouvertes tout en pensant qu’elles sont guéries. Mais qu’il y ait justice ou amnistie, c’est la conscience de chacun qui sait si le moment de l’adieu à cet espace et à ce temps sera amer ou doux. Et seule la conscience le sait.