Cette course sans lendemain, vers ces frontières décomposées: qu’elles soient de vrais murs pour les trafiquants  mais des passe-murailles pour les réfugiés.

Quand je vois ces migrants, la compassion me gagne. Je mesure ma faute. Mais j’ai hâte, bien sûr, et d’une voix bien haute, de dénoncer bien fort, l’attente et l’inaction. Ils sont là silencieux, depuis de longues heures déjà. Leurs mots n’ont plus de force contre le monde.

Ils restent penchés sur leurs souvenirs. Ils les gardent pour eux, qui en voudrait ? Le navire à son flanc, attend près du môle. Les hôtes inconnus s’en iront dès ce soir. Étranges voyageurs, épuisés, leurs yeux éteints disent qu’ils ont marché bien des jours, bien des nuits. Ils traînaient des enfants demi-nus, leurs femmes les suivaient. Étranges étrangers, vous êtes de la ville, vous êtes de sa vie, même si mal en vivez, même si mal en mourrez. Il est à vous ce passeport, pour tous les peuples, avec toutes les langues que vous voulez, vous pouvez entrer et sortir sans crainte. Vous voulez juste voir grandir vos gosses loin de la misère et juste réaliser ce pourquoi ils sont nés : vivre. Chaque parcelle de terre appartient à chacun. Migrants, peut-être le serons-nous demain.

Et nous aussi, nous voudrons alors, vivre.
Vivons et laissons vivre,
Aimons et donnons de notre amour,
Commençons dès aujourd’hui,
Avec ces quelques vers,
Qui dénoncent la haine et l’indifférence,
Pour mieux vivre et aimer.

 

Mon entretien avec Cecile Le Dreau, traductrice de ce projet :

Quelles sont les thématiques fondamentales du recueil de poèmes Moi l’étranger ?

Ce recueil a pour principale thématique la migration, le déplacement des peuples, peu importe d’où viennent les personnes, peu importe quand et pourquoi. L’important est l’espoir accordé à la nouvelle terre et à ceux qui nous accueillent. Et je dis « nous », car « nous » pouvons tous être concernés, peu importe la raison.

Pourquoi le titre Moi l’étranger ?

J’ai moi-même vécu à l’étranger et même si c’était mon choix, j’étais une émigrante et je ne me sentais pas traitée de la même manière que d’autres étrangers venant de pays de l’est ou d’Afrique. Je n’ai jamais trouvé ça normal. Ces différences pouvaient aller dans mon sens mais aussi dans le leur. Alors, pourquoi traiter les émigrants différemment selon le pays de provenance ? C’est pour cela que j’ai voulu intituler le recueil « Moi » et utiliser le mot « étranger » qui reste général et permet d’atteindre un grand nombre de personnes, peu importe d’où ils viennent et pourquoi ils en sont venus à être des étrangers.

Quelles langues avez-vous choisies pour la traduction et pour quelle raison ?

J’ai choisi le portugais et l’espagnol, qui, avec le français, représentent plusieurs pays où ces langues sont parlées. Pays dont les habitants ont dû émigrer à un moment donné dans leur histoire et qui aujourd’hui sont des pays d’accueil. On a tendance à oublier l’histoire et le fait que nous avons tous eu besoin d’une terre d’accueil. Moi, y compris, quand j’ai simplement voulu vivre l’expérience de l’étranger. Encore une fois, peu importe la raison.

Comment on peut lutter contre le racisme et la discrimination avec la poésie ?

Peu importe le style, l’important est de vouloir transmettre un message et ses valeurs. Dans le cas de la poésie, la forme permet de jouer encore plus sur les mots et d’insister davantage sur le caractère dramatique du phénomène, tout comme sur l’espoir que nous avons voulu répandre. Certes, les poèmes choisis sont centrés sur la dureté et l’inhumanité de la migration, mais, j’ai souhaité insister également sur des mots d’espoir. En effet, je crois qu’en rappelant le caractère inhumain de ce qu’il se passe en ce moment, sur les chemins de ce monde dont nous formons tous partie et, où nous pourrions tous nous retrouver un jour, je toucherai la sensibilité de ceux qui liront ce recueil. Cependant, il me semblait important d’aller plus loin. Toucher, oui, mais il faut agir. Et c’est là que la poésie joue le mieux son rôle. Sa forme en vers permet de jouer sur les mots et les sentiments. Et pour cela, j’ai choisi de jouer et de miser sur l’espoir. L’espoir pour agir. On a tendance à penser que la poésie, tout comme l’art, devrait être systématiquement reliée à la notion du beau. Je la relie dans ce recueil à l’espoir.

Est-ce que la poésie est vraiment intraduisible ? Qu’en pensez-vous en tant que traductrice ?

Je ne pense pas qu’on puisse dire intraduisible mais on ne peut pas non plus parler de traduire littéralement. On doit traduire un sens mais aussi une émotion et respecter l’aspect socioculturel de la langue cible pour cela. Ainsi que le vécu et l’histoire du pays que la langue représente, c’est traduire plus que des mots. C’est transmettre une émotion qui doit atteindre les cœurs. Dans mon cas, je souhaite que l’espoir en l’humanité et en un monde meilleur devienne universel, non pas par la poésie, mais par les langues. Les langues sont traduisibles dans le but de traverser les frontières et d’aller à la rencontre de ces migrants. De communiquer avec eux et de les écouter. De nous écouter. Et de faire ce chemin ensemble, sans obstacles, sans murs, sans barrières, pas même celle de la langue.

Pour ProMosaik, l’étranger n’existe pas, seul l’être humain existe ? Comment affirmer cela dans une Europe de plus en plus nationaliste ?

Selon moi, l’étranger existe, et il peut être défini par la combinaison de l’être humain et de sa diversité, qu’il partage avec l’humanité. Il apprend des autres et intègre cette diversité de par sa curiosité pour l’inconnu. L’étranger fait peur et résulte de plus en plus associé avec la notion de peur. Mais c’est seulement un être humain qui traverse les terres et les océans qui n’appartiennent à personne ; seulement à l’humanité entière. L’étranger fait peur car il a eu le courage de partir, (encore une fois, peu importe ce qui le motive), de prendre une décision qui est loin d’être facile, dans le but de partager sa diversité et, animé par sa curiosité mais aussi, certainement parfois par un instinct de survie. Cependant, le but est le même, découvrir et s’intégrer. L’étranger fait peur car il représente l’inconnu aux yeux de tous ceux qui n’ont pas eu ce courage de partir sur ce chemin sans fin avec au bout, une seule image, floue, de ce qui l’attend. Ceux qui en ont peur, ont perdu la foi en l’être humain et l’humanité. L’humanité ? Un ensemble d’étrangers curieux à la recherche de la diversité. Il y a de plus en plus de nationalistes. Il y a de plus en plus d’étrangers. Qui gagnera ? L’humanité ou la peur ? J’ai envie de croire que l’espoir envahira les cœurs et se transformera en une barrière contre la peur. Après tout, ne sommes-nous pas tous un peu des étrangers ?

 

par Milena Rampoldi, ProMosaik.

L’article original est accessible ici