1ère partie : Sergio Zamora, une vie d’engagement et d’exil forcé
C’est au milieu d’une matinée timidement ensoleillée du mois de Novembre, que Sergio Zamora et moi nous sommes retrouvés à proximité de la Place de la Bastille.
A l’origine, nous devions nous rencontrer pour parler exclusivement de l’activité littéraire de Sergio Zamora, mais le déroulé de l’entretien fait rapidement voler en éclats mon plan initial. J’ai donc décidé de partager avec vous le fruit de cette conversation en deux parties :
- La première décrit brièvement l’histoire personnelle de Sergio Zamora : Son engagement social, politique et son exil forcé.
- La deuxième concerne son travail littéraire, ses sources d’inspiration, ses histoires magiques et ses personnages.
Les deux parties que vous allez découvrir sont forcément liées, mais j’ai pris le parti qu’en vous proposant de les lire séparément, vous allez mieux les apprécier.
L’origine de son engagement social et politique
Sergio Zamora est né à Santiago du Chili en 1948. Il grandit au sein d’une famille de classe moyenne entouré de ses parents et de ses deux sœurs.
A partir de 1965, le Chili traverse une période de fortes agitations. C’est le résultat d’une situation économique et sociale extrêmement précaire. Une bonne partie de la population chilienne vit dans des conditions sous-humaines. Cette situation insoutenable fait naître une prise de conscience sociale et un esprit de révolte au sein d’une partie de la population, principalement de la jeunesse, qui se concrétise en 1970, avec l’arrivée à la présidence de Salvador Allende.
C’est dans ce contexte d’ébullition sociale, que la vie militante de Sergio Zamora démarre à l’âge de 18 ans. Initialement il s’engage dans l’un des nombreux groupuscules de gauche, avant d’adhérer en 1969 au parti socialiste.
Un espoir collectif qui tourne au chaos
Avant même l’élection de Salvador Allende, les membres du parti socialiste sont au courant d’une forte présence américaine sur le territoire chilien. Ils savent par exemple, que “El Mercurio”, l’un des journaux de référence du pays fonctionne sous influence directe et rapprochée des Etats-Unis. Ces informations sont même confirmées quelques années plus tard par la CIA grâce à des documents déclassifiés.
En 2013, Sergio Zamora écrit un livre sur ce sujet : Histoire d’une trahison 11 septembre 1973, coup d’Etat au Chili (Yvelinédition, 2013)
En 1973, au moment du coup d’état perpétré par Augusto Pinochet, Sergio Zamora travaille comme « permanent » du parti socialiste à Santiago. A cette époque, la plupart des dirigeants politiques de gauche sont persécutés, assassinés, ou détenus dans des camps de concentration où règne une barbarie sans nom. Ceux qui parviennent à échapper aux mailles du filet sont condamnés à l’exil.
Pour tenter de survivre dans ce nouveau contexte politique, le parti socialiste met en place une nouvelle direction qui opère dans la clandestinité. L’objectif est de reconstruire le parti et d’établir une opposition ferme au parti de Pinochet. Sergio Zamora prend les rênes de la cellule en charge de la ville de Santiago du Chili.
Ces équipes ne mènent pas des actions violentes, mais tentent par tous les moyens de résister et de dénoncer les atrocités de la dictature en place. Ces activités sont néanmoins jugées “subversives”, et le 15 Mai 1975, Sergio Zamora est arrêté, emprisonné et sauvagement torturé par la DINA, la direction nationale d’intelligence, l’un des services secrets de Pinochet. Seulement 7 heures après sa détention, il parvient miraculeusement à s’évader de son lieu de rétention.
Pendant un mois, Sergio Zamora est caché et protégé par les responsables des églises Luthérienne et Catholique qui négocient, auprès du gouvernement en place, son départ du Chili. Le 15 Juin 1975, Sergio, sa femme et sa fille de 9 mois quittent la capitale chilienne avec un aller simple en direction de Paris.
Tous les détails sur sa détention et son évasion, sont consignés dans son livre Sept heures entre les mains de la Dina (Editions Florent Massot, 1993).
Les débuts difficiles de son exil forcé
A son arrivée en France, Sergio se sent émotionnellement affaibli. Sa vie et celle de sa famille est certes hors de danger, mais ses deux dernières années de clandestinité dans son propre pays ont laissé des traces indélébiles. Il se souvient avec effroi de ce climat d’atrocité, où tous les jours des personnes innocentes étaient soit portées disparues, soit assassinées.
Par ailleurs, Sergio ressent une profonde tristesse. La nostalgie liée à l’éloignement forcé de son propre pays grandit de jour en jour et perturbe son esprit.
Ces deux facteurs rendent le processus d’adaptation à son pays d’accueil encore plus difficile (et ceci sans tenir compte du changement de culture ou de l’apprentissage d’une nouvelle langue), mais Sergio, éternel optimiste, a cette capacité à toujours regarder dans l’adversité le verre à moitié plein, et il trouve finalement l’énergie nécessaire pour surmonter ces obstacles dans le travail, car il n’a pas d’autre choix que de répondre aux besoins élémentaires de sa famille.
Il retrouve même son goût de l’engagement, et poursuit pendant son exil des actions militantes. Il cherche entre autres, des moyens financiers et humains pour continuer à soutenir les activités du parti socialiste au Chili. C’est seulement au début des années 80 que ses activités commencent à diminuer jusqu’à s’estomper définitivement au milieu de la décennie.
Le début d’une nouvelle vie
Avec les années, les priorités de la vie de Sergio Zamora changent. D’une part, sa famille s’agrandit avec la naissance de son premier fils, puis de sa deuxième fille et ensuite de ses petits-enfants. De l’autre, des changements politiques importants au Chili permettent au pays de retrouver une certaine stabilité. Sergio décide donc de concentrer de plus en plus de temps et d’énergie à son travail d’écriture.
Tout au début, il puise dans sa mémoire et tente de documenter son histoire et celle de son pays, pour ensuite explorer des chemins de traverse qui l’amènent à la publication de nouvelles remplies d’histoires magiques, où règnent entre autres, l’exil, l’ubiquité, le rêve et la folie.
Nous rentrerons plus en profondeur dans le travail littéraire de Sergio Zamora dans la deuxième partie de cette conversation.