Le congrès du réseau mondial pour le revenu de base, le BIEN, s’est tenu du 25 au 27 septembre 2017 à Lisbonne, au Portugal. Près de 400 personnes venues du monde entier se sont rassemblées pour ce temps fort autour du revenu de base.
De la Corée du Sud au Brésil, de la Finlande au Canada, plus de 35 pays étaient représentés lors de ce congrès. D’éminent·e·s chercheurs·euses, des militant·e·s actifs·ves, des philosophes, économistes, des journalistes se sont rencontrés dans les couloirs du Parlement portugais, puis au sein de l’Institut supérieur d’économie et de gestion de l’université de Lisbonne pour débattre des avancées et du potentiel du revenu de base à travers le monde.
Une délégation française a participé à cet événement international pour représenter le MFRB. L’occasion d’en savoir plus sur ce qui se fait dans les différents pays, et aussi de créer des convergences, s’inspirer des expériences passées et travailler ensemble à faire du revenu de base une réalité.
Le revenu de base : une vague grandissante qui s’étend dans le monde entier
Lors du congrès du BIEN, chaque participant·e a pu constater que l’idée du revenu de base se développe dans de nombreux pays.
L’augmentation soudaine du nombre d’expérimentations lancées ou en préparation en est un bon indicateur, témoignant de l’intérêt grandissant pour le revenu de base à travers le monde. Des représentant·e·s des expérimentations les plus avancées étaient présent·e·s et en ont énoncé les contenus, permettant ainsi de constater les variations d’un projet à l’autre, tant en termes d’objectifs que de modalités de mise en place et même de discours.
La Finlande, dont le projet-pilote a été lancé en janvier 2017 pour une durée de deux ans par le gouvernement de centre-droite, se focalise essentiellement sur la relance de l’emploi, en ne ciblant que des personnes au chômage et en âge de travailler.
Le gouvernement de l’Ontario, qui a initié une série d’expérimentations dans différents États (Hamilton, Thunderbay, Lindsay), semble quant à lui se concentrer sur la lutte contre la pauvreté et sur la santé. Des chercheur·euses canadien·nes ont d’ailleurs révélé que 20 % des frais de santé étaient directement liés à la pauvreté. Les 4 000 personnes qui recevront le revenu de base seront elles tirées au sort et sélectionnées sous conditions de ressources. De plus, un quatrième projet est en préparation dans une réserve indienne.
En Californie, un projet lancé par Y Combinator se prépare à Oakland. Cette organisation, présidée par un riche (et jeune) entrepreneur de la Silicon Valley, Sam Altman, se positionne plutôt par rapport à l’anticipation des évolutions liées à l’automatisation. Il vise avant tout les jeunes qui seraient touché·e·s par la perte d’emplois automatisés, qui sont pourtant les premiers·ères consommateurs·trices des produits high-tech souvent créés dans cette région.
Au Kenya, l’ONG GiveDirectly prévoit également une expérimentation, qui sera certainement la plus longue jamais réalisée puisqu’elle prévoit de se tenir sur une durée de 12 ans dans plus d’une quarantaine de villages.
L’Asie n’est pas en reste, puisque divers mouvements émergent à Taïwan, en Corée du Sud ou encore au Japon où l’île d’Okinawa prévoit l’organisation d’un référendum sur la question du revenu de base l’année prochaine.
Des ateliers pour faire avancer concrètement l’idée
Le congrès du BIEN a favorisé la rencontre entre personnalités reconnues dans l’univers du revenu de base. Était par exemple présente Evelyn Forget, chercheuse canadienne qui a évalué l’expérimentation MINCOME au Canada plusieurs années après la fin de sa mise en oeuvre dans les années 1970. Pour elle, trois éléments fondamentaux permettent à l’idée du revenu de base d’émerger :
- Des preuves scientifiques, afin de démontrer sa faisabilité (simulations, expérimentations, etc.),
- Des retours d’expériences, donc des données qualitatives,
- Et un « narratif de changement » (narrative of change), permettant de proposer une issue, une solution à la situation actuelle : en quoi le revenu de base peut-il permettre de répondre à un certain nombre de problèmes actuels ?
La Banque centrale européenne à la rescousse ?
Stanislas Jourdan, membre fondateur du MFRB et directeur de Positive Money Europe, a présenté l’idée d’un Quantitative easing for People. Selon cette proposition, la Banque Centrale Européenne utiliserait son pouvoir de création monétaire pour distribuer de l’argent directement aux citoyens, plutot que refinancer systématiquement le secteur financier.
Bien que cette solution ne soit pas permanente et donc différente d’un revenu de base, elle pourrait être une façon pragmatique pour amorcer rapidement une politique sociale commune et réduire les inégalités entre États membres de l’UE. A terme, cela ouvrirait la voie vers l’instauration pérenne d’un Eurodividende, une proposition de revenu de base partiel européen qui pourrait venir en complément des modèles nationaux de protection sociale.
Sécuriser le revenu des paysan·ne·s pour favoriser une agriculture durable
Côté MFRB, un groupe de travail a préparé un papier de recherche sur l’impact potentiel d’un revenu de base dans le monde agricole, vu comme un instrument destiné à promouvoir la transition vers des systèmes alimentaires plus durables et justes.
En effet, dans le discours dominant, le revenu de base est présenté comme l’outil qui va permettre d’atténuer rapidement la profonde transformation du monde du travail dû à la robotisation et permettre d’en finir avec la stigmatisation des aides. En somme, un discours qui s’adapte bien au monde du salariat.
En revanche, les questions du futur du travail et de la pauvreté se posent différemment en ce qui concerne le monde agricole, et les défenseurs·euses du revenu de base auraient tout intérêt à développer leurs réflexions autour de ce secteur auquel est consacré 40 % du budget européen. C’est ce qu’Elena Ambühl a présenté (à partir de la 20e minute, vidéo ci-dessous) lors de la session sur la décroissance et les systèmes d’alimentation durable, à la suite de la présentation de l’américain Michael W. Howard sur la décroissance.
Renforcer les liens entre chercheurs·euses et militant·e·s
Le réseau européen UBIE a, pour sa part, organisé un atelier “revenu de base, chercheur·euses et militant·es” pour réfléchir à la meilleure manière de collaborer ensemble. De fait, les universitaires, qui prennent le temps d’étudier dans les détails les informations, les données chiffrées, les modalités de financement, détiennent un savoir précieux.
Les militant·e·s, quant à eux·elles, sont sur le terrain où ils peuvent appréhender les réactions du grand public, mais ils sont aussi au contact d’organisations, de politiques et d’autres acteurs·trices influent·e·s dans le débat.
Les deux forces sont complémentaires mais ne travaillent pas toujours en concertation même si, dans ce domaine, de nombreux chercheurs se considèrent comme étant également militant·e·s actifs·ves. Un groupe de travail s’est constitué afin de poursuivre la réflexion.
Pour le Portugal, l’organisation du congrès à Lisbonne a sans aucun doute eu un impact positif et permis d’initier une nouvelle dynamique dont nous verrons probablement les résultats dans les mois et années à venir. Le mouvement portugais prévoit d’ailleurs déjà l’organisation d’un nouvel événement l’été prochain, sur le thème des expérimentations.
Le prochain congrès du BIEN se tiendra en août 2018 en Finlande (Tampere) et
le suivant aura lieu en Inde en 2019 !