Le paysage politique actuel est confus, c’est le moins qu’on puisse dire. L’ancien cadre avec la gauche et la droite semble s’effondrer sous nos yeux. Aux États-Unis, la classe ouvrière qui souffre a voté massivement pour un multi-milliardaire qui se consacre à la réduction des impôts pour les riches et à la réduction de la couverture médicale pour les pauvres. Au Royaume-Uni, l’extrême droite a travaillé main dans la main avec l’extrême gauche pour pousser au Brexit un public mal informé sur la base de la xénophobie. En Grèce, la population a mis sa confiance dans l’ « extrême » gauche, mais s’est retrouvée trahie par ses dirigeants apparemment impuissants, et enchaînée à des sanctions budgétaires encore plus cruelles et dégradantes. Le panorama est différent d’un pays à l’autre, mais la confusion entre gauche et droite est endémique.
Alors, qu’est-ce qui caractérise la gauche et la droite ?
C’est là le point ; il n’ y a pas de définition vraiment solide parce que les priorités et les conditions politiques sont différentes d’un endroit à l’autre. Pour certains la droite se caractérise par la croyance dans le dogme économique de la « liberté des marchés », la compétition comme moteur économique, la reconnaissance de l’importance du capital comme générateur de progrès social, la liberté personnelle sans limite, un patriotisme indéfectible, etc. Si on reste dans le même schéma de pensée la gauche croit dans la régulation gouvernementale de l’économie, la coopération comme moteur économique, la reconnaissance de l’importance du travail comme générateur de progrès social, la responsabilité sociale et la solidarité avec les plus faibles, les droits de l’homme, etc.
Il y a beaucoup d’autres thèmes, dont l’immigration, l’avortement, le mariage homosexuel, les armes nucléaires, l’environnement, qui peuvent tous être vus du point de vue de la gauche ou de la droite. Et les politiciens se limitent à définir des programmes basés sur ce qu’un parti pense être un ensemble de propositions qui résonnera le plus fortement auprès de l’électorat à travers le filtre des médias. Ainsi, un parti peut présenter un manifeste avec quelques propositions de gauche, quelques propositions de droite et quelques unes avec un point de vue plus « centriste ». Le résultat est qu’il n’y a donc pratiquement pas de gauche pure et pas de droite pure et en fait comme dans le Brexit, les vues de l’extrême droite résonnent parfois avec les vues de l’extrême gauche.
Le paysage social, culturel et historique
Il faut comprendre que la politique se développe dans un paysage social, culturel et historique, un contexte dans lequel certaines croyances et certains paradigmes ne sont pas remis en question parce qu’ils sont considérés comme évidents et inamovibles. Dans des époques précédentes, ces croyances non contestées comprenaient : le droit divin des rois, la planéité de la Terre, la foi aveugle en Dieu et la croyance que les femmes étaient inférieures aux hommes. Au fil du temps, la plupart de ces idées ont été révisées et de nouveaux paysages se sont installés.
Une partie de notre paysage qui est devenu prédominant au fil des ans, à mesure que le pouvoir financier a pris de plus en plus de contrôle sur nos vies, est la croyance en l’argent comme une entité qui « naturellement » a la capacité de croître du jour au lendemain lorsqu’elle est déposée dans une banque ; l’usure. Ceci n’est pas remis en cause dans la politique d’aujourd’hui. C’est une partie du paysage que nous regardons rarement, comme le bleu du ciel. C’est là, mais on ne le remet pas en question.
À toutes fins utiles, l’argent est devenu la valeur la plus importante dans notre société. Si nous considérons d’autres valeurs telles que le savoir, la santé, la sécurité, la famille ou la liberté, il est clair que l’argent est la valeur la plus importante parce que si vous avez de l’argent, vous pouvez accéder à toutes les autres. Quelles que soient nos valeurs personnelles, la valeur la plus élevée de la société est l’argent, et maintenant l’être humain sous toutes les latitudes se retrouve dans la quête permanente de cet argent.
Mais ce système de valeurs, comme les vêtements que nous portions à l’adolescence, ne nous va plus. Il se déchire aux coutures et n’est plus adapté aux desseins de l’humanité.
Et pour être clair, le problème n’est pas l’argent en soi, parce qu’une monnaie pour l’échange de biens et de services a presque toujours été nécessaire pour faire progresser l’humanité. Ce système permet aux uns de consacrer leur temps à cultiver la nourriture dans les champs avec toute leur passion, tandis que d’autres peuvent consacrer leur temps à pratiquer la chirurgie cardiaque avec autant d’enthousiasme. Ni le chirurgien sans nourriture, ni l’agriculteur atteint d’une maladie cardiaque, ne tiendraient pas longtemps sans l’autre. Non, le problème n’est pas l’argent, ce sont les intérêts accumulés comme par magie qui menacent de détruire notre paysage actuel.
En plus de cette propriété mythique de l’argent de croître spontanément du jour au lendemain, il a été ajouté un concept de « marché », qui a également des propriétés magiques. Le « marché » décide que la Grèce paie des taux d’intérêt dix fois plus élevés que l’Allemagne, par exemple. C’est comme si aucun être humain n’était là pour décider ce qu’un pays doit ou ne doit pas payer ! Au moment où vous avez besoin d’aide pour rembourser un prêt personnel, ou les paiements par carte de crédit, ou la dette nationale de votre pays, la banque arrive et vous fait payer des intérêts encore plus élevés parce qu’elle est animée par un « marché ».
Mais le pouvoir de ces deux composantes apparemment figées de notre paysage, qui semblent avoir été si utiles au développement de la société occidentale jusqu’à présent, à savoir les marchés et l’usure, commencent maintenant à être hors de contrôle et nous détruisent.
Un nouvel axe politique peut émerger
Dans ce contexte et en cette période de crise globale où d’importantes composantes de notre paysage social, culturel et historique commencent à s’effondrer et à se révéler obsolètes, nous devrions prendre un moment pour réévaluer l’axe politique qui a tenté de distinguer soigneusement la gauche et la droite et nous demander s’il reflète réellement nos valeurs profondes.
Si un segment de la société, héritier de facto des propriétaires terriens, des rois et des banquiers d’autrefois, a imposé ses marchés et son usure à la société humaine au point où la société humaine croit qu’ils font partie de la nature – c’est à dire qu’ils ne peuvent pas être changés – alors aujourd’hui, des mouvements politiques comme DiEM25 ont la chance de remettre en question ce qui est naturel et de travailler ensemble avec d’autres pour construire un nouveau paysage basé sur un nouveau système de valeurs.
Humanisme et anti-humanisme
Si dans ce système politique les concepts de droite et de gauche ne sont plus valables parce que la ligne s’est courbée sur elle-même au point que l’extrême-gauche et l’extrême-droite sont capables de se serrer la main et de travailler ensemble, formant ainsi un cercle sur un plan, avec deux axes x et y, sur lequel les différents sujets peuvent être regardés du point de vue de la droite ou de la gauche, alors aujourd’hui les mouvements progressifs ont la possibilité d’avancer sur un troisième axe : l’axe z.
Et quelle est la caractéristique de cet axe z ? Nous pouvons le qualifier d’un côté d’humanisme et de l’autre d’anti-humanisme. Et qu’est-ce que l’humanisme ? C’est mettre la vie humaine comme valeur centrale ; toutes les vies, en tout lieu, pas seulement les vies en occident, toutes les vies.
Ce futur paysage sera caractérisé non seulement par un système économique juste qui permettra des échanges équitables de biens et de services dans le monde entier, mais aussi par le respect de l’environnement et la reconnaissance du fait que nous n’avons qu’une seule planète, et qu’elle doit nous servir pendant des millions de générations supplémentaires d’êtres humains, voire plus. Elle sera caractérisée par des droits humains bien plus profonds que ceux énoncés dans la Déclaration des droits de l’homme de 1948. Elle sera caractérisée par une éducation et des services de santé de qualité et gratuits. Elle sera caractérisée par la possibilité pour chacun de participer au monde du travail avec des droits, des responsabilités et des opportunités égaux et de recevoir une juste compensation pour les efforts consentis pour améliorer la vie de ceux qui nous entourent. Elle sera caractérisée par la liberté pour chacun de chercher son bonheur là où il le souhaite sans avoir besoin d’un passeport. Elle sera caractérisée par la coopération entre les groupes humains et non par la compétition pour la survie. Finalement, elle sera caractérisée comme Démocratique, les gens participant à des processus réellement démocratiques et pas seulement des processus démocratiques formels comme ceux dans lesquels nous nous faisons aujourd’hui piéger.
Mais plus que tous ces objectifs, l’humanisme qui fera avancer l’humanité se caractérisera par une compréhension croissante du fait que la violence est la cause de la douleur et de la souffrance humaines et que ses formes ne sont pas seulement physiques mais aussi économiques, psychologiques, sexuelles, morales, etc. C’est une sensibilité de plus en plus présente dans les nouvelles générations. De nouveaux mouvements, qu’ils le reconnaissent ou non, s’inscrivent dans une nouvelle sensibilité non-violente qui émerge, et rejettent la violence comme moyen de résolution des conflits.
De cette façon, toutes leurs positions peuvent être vues sous un nouvel angle.
Pourquoi favorisent-ils un nouveau modèle économique ? Parce que le système économique actuel est caractérisé par la violence et crée de la souffrance humaine.
Pourquoi se soucient-ils de la démocratie réelle ? Parce que l’imposition de la volonté d’une minorité sur la grande majorité est de la violence et cause de la souffrance humaine.
Pourquoi se soucient-ils de l’environnement ? Parce que nous n’avons qu’une seule planète pour vivre et que nous devons la faire durer, et la détruire cause de la souffrance humaine, etc.
Ainsi, nous pouvons de même élargir notre vision pour inclure les droits humains, l’éducation, la santé, la défense et la sécurité, et bien d’autres thèmes qui seront nécessaires lorsque les mouvements commenceront à converger vers une nation humaine universelle. Si nous voyons tout sur ce nouvel axe z où la vie humaine est valorisée, cela rend la définition de la politique beaucoup plus claire, parce que nous rejetons immédiatement toute politique qui signifie que la violence de certains est imposée à d’autres. Par nécessité, cela signifie aussi que nous regardons au-delà de nos propres frontières et que nous cherchons non seulement à promouvoir la démocratie en Europe, par exemple, mais une démocratie planétaire qui diffuse les mêmes valeurs humanistes vers tous les autres peuples du monde.
Ainsi, nous pouvons voir que de nouveaux mouvements politiques évoluent sur l’axe z avec de nombreuses autres organisations et des réseaux qui vont dans la même direction et travaillent dans des domaines différents : campagnes environnementales, campagnes anti-guerre, campagnes de soutien aux réfugiés, droits des femmes, droits des LGBT, campagnes anti-pauvreté, et bien d’autres, tous se déplacent dans cette nouvelle direction parce qu’ils ressentent tous que les êtres humains sont terriblement mal traités et souffrent des effets de la violence sous ses diverses formes dans un système qui ne les valorise pas.
Et tous ces mouvements sont des expressions de l’humanisme et sont l’essence même de cette règle d’or telle qu’elle est apparue dans d’innombrables cultures, religions et moments historiques, dans les moments où la vie humaine était valorisée : traite les autres comme tu voudrais être traité.
Ainsi. une nouvelle sensibilité apparaît et elle commence à redessiner le paysage dans plusieurs domaines intéressants, et si il s’agit de transformer réellement le paysage politique, les mouvements centrés sur un thème particulier devront tendre la main à d’autres mouvements qui vont dans le même sens mais travaillent dans des champs différents.
Et dans cette coopération et cette collaboration, dans cette convergence de la diversité, la question ne sera plus de savoir si vous êtes de gauche ou de droite ; la question sera alors : êtes-vous humaniste ou anti-humaniste ?
Traduit de l’anglais par Jean-Marc Dunet