Le 12 octobre est célébrée la Journée internationale de solidarité avec les peuples amérindiens. Décrétée en 1977 par les organisations amérindiennes rassemblées à l’ONU, elle entend célébrer les peuples autochtones présents sur le continent américain avant la colonisation européenne, au XVème siècle. En cette occasion, France Libertés présente un bilan d’ensemble de la situation des peuples amérindiens, non exhaustif et tiré en partie d’un article en espagnol de Deutsche Welle.
Vivant en petites communautés, essayant de récupérer leurs territoires et luttant contre de grosses multinationales, certains groupes font face à des menaces quotidiennes en Amérique du Sud. Voici une liste non exhaustive de la situation de ces communautés dans certains pays d’Amérique, qui ont tous ratifié la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) sur les peuples autochtones, datant de 1989, ainsi que signé la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) de 2007.
Colombie
Environ 87 communautés autochtones vivent en Colombie, principalement dans les régions de Cauca, Nariño et la Guajira. Sur les 1 450 000 autochtones recensés en 2005, 1 million craignent pour le respect de leurs droits.
Les indiens Nasa possèdent 600 000 hectares de terres montagneuses, donc incultivables, dans le Cauca (Andes colombiennes). Face à l’accaparement de leurs terres par le gouvernement, qui les revend ensuite à des industriels du minerai, du pétrole, de la banane, du sucre et de l’huile de palme, les communautés sont parquées dans de petites réserves.
Autochtones Kogui dans la Sierra Nevada de Santa Marta, Colombie.
Dans la péninsule de la Guajira, ce sont les communautés Wayuu qui se heurtent aux grands industriels du charbon. Une mine à ciel ouvert, censée être « responsable », est en réalité une menace majeure pour l’environnement et a déjà causé 5000 morts. Ses conséquences sont dévastatrices : expulsions de communautés, pollutions de l’air, des eaux, des sols, augmentation de la pauvreté et de malnutrition due à un appauvrissement des sources de subsistance. L’entreprise Anglo American responsable de l’exploitation de la mine a d’ailleurs été nominée en 2015 pour le Prix Pinocchio par Les Amis de la Terre, pour dénoncer ses activités néfastes sur l’environnement et les droits humains. Les opposants à ce projet, bien que criminalisés, ont réussi à faire remonter leur mobilisation jusqu’à l’ONU. La justice colombienne a suspendu temporairement le projet de déviation d’un cours d’eau requis pour la mine, et doit se prononcer sur les risques à la sécurité alimentaire, le droit à l’eau et le droit à la consultation préalable des habitants.
Ce cas d’extractivisme (c’est-à-dire d’exploitation effrénée des ressources naturelles) n’est qu’un exemple parmi tant d’autres projets similaires dans le monde, qui mettent à mal les droits de l’environnement et des communautés locales. En effet, l’extraction des matières premières a des conséquences sociales, environnementales et sanitaires considérables. Les entreprises agissent de concert avec les gouvernements, qui favorisent souvent l’accroissement de ces pratiques. France Libertés dénonce ces violations des droits humains dans sa brochure Stop aux zones de sacrifice : pour des alternatives à notre système prédateur des ressources naturelles, et y propose des alternatives à notre système extractif.
Pour en savoir plus sur les travaux de France Libertés contre l’extractivisme et pour la défense des Droits des peuples autochtones, découvrez notre web documentaire : Exploitation intensive des ressources naturelles : refaire des choix de société.
Équateur
En territoire Yasuni (parc national situé en Amazonie), 3 000 indiens Waorani, Tagaeri et Taromemane sont en danger, du fait de l’extraction pétrolière dans les camps d’Ishpingo, de Tambococha et de Tiputini. Initié en 2007, le projet du gouvernement de renoncer à l’extraction pétrolière a échoué. Les peuples autochtones qui y vivent sont gravement menacés d’extinction.
Indiens Huaorani dans le Parc national Yasuni, en Équateur
Dans la même réserve, environ 40 000 indiens Shuar ont été expulsés de leurs territoires qui ont été brulés. José Tendetza, leader et activiste shuar, a lancé des actions de protestation, soutenues par sa communauté. En novembre 2014, il a été retrouvé mort portant des marques de torture.
Les associations sont aussi ciblées. Accion Ecologica, un partenaire historique de France Libertés qui travaille contre l’activité pétrolière en Équateur, a été menacée de fermeture pour avoir publiquement exprimé des inquiétudes sur la mine géante sur le territoire des indiens Shuar. L’association soupçonne le consortium minier chinois EXSA de pressions sur le gouvernement, qui travaille souvent main dans la main avec les entreprises pétrolières.
A plusieurs reprises, la Cour interaméricaine a pris parti pour les peuples autochtones équatoriens. Un de ses arrêts, datant de 2012 est particulièrement emblématique : jugeant l’État équatorien coupable pour avoir accordé une concession à une entreprise pétrolière sur le territoire des Sarayaku sans leur consentement, il reconnaît l’obligation étatique de la consultation préalable, libre et éclairée des peuples autochtones avant tout projet pouvant avoir un impact sur eux.
Il faut rappeler ici que l’Équateur est pourtant un des seuls pays à avoir reconnu les droits de la nature dans sa Constitution (datant de 2009). Le tableau dans ce pays n’est pas entièrement noir, comme le rappelle Patricia Gualinga, leader Sarayaku, dans une interview donnée à France Libertés en octobre 2017. Elle nous parle de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et de son bilan dix ans après, qu’elle voit comme positif en Équateur. Les autochtones se sont en effet « saisis des droits des peuples autochtones comme outil pour défendre leur territoire national, dans la sphère politique ou médiatique, ainsi que devant la justice ». Toutefois, elle se méfie des gouvernements, qui continuent de privilégier les intérêts économiques aux droits des peuples autochtones.
Pérou : assassinés pour avoir luttés contre l’exploitation forestière
Au Pérou vivent environ 97 500 indiens Ashaninka. Un de leurs leaders, Edwin Chot, a été assassiné, ainsi que plusieurs autres membres de sa communauté Soweto. Vivant dans la forêt amazonienne, il luttait contre l’exploitation forestière et l’abattage illégal d’arbres.
Il n’est pas le seul à résister : Maximà Acuña Chaupe a reçu le prix Goldman (prix mondial qui récompense les leaders locaux défendant l’environnement). Depuis 2011, elle se bat contre l’entreprise d’extraction d’or Yanacocha, dont une des concessions se superpose à ses terres. Ayant refusé de quitter leurs terres, sa famille et elle furent victimes de menaces, de persécutions et d’un procès pour usurpation de terres qu’elle a gagné en 2014. L’État a fortement réprimé les mobilisations sociales, causant morts et blessés, et a militarisé la zone.
Ce combat est devenu un symbole de résistance à l’extractivisme. France Libertés a soutenu cette mobilisation et aidé à porter la parole de plusieurs opposants au projet dans à l’ONU, grâce à son statut consultatif. La fondation salue donc cette récompense justement méritée, qui valorise le combat des communautés de Cajamarca, mais tient à rappeler que même ce prix, aussi prestigieux soit-il, ne peut protéger les défenseurs des droits humains et de l’environnement. Berta Caceres, leader hondurienne et titulaire de ce prix, a été assassinée l’année dernière.
Argentine : la criminalisation des activistes mapuche
Les Mapuche vivent sur un territoire s’étendant de l’Argentine au Chili. Un tiers d’entre eux, soit environ 115 000, se trouvent dans la province argentine de Neuquén, sur un total de 550 000 habitants. Ils sont considérés comme des « rebelles » car ont avec succès résisté aux conquistadores et préservé leur indépendance. Ils sont toujours en conflit avec les autorités.
Les Mapuche voient la terre comme une part de leur identité, et dépendent en grande partie de la terre et de l’eau. Or, ces deux éléments sont menacés par l’extraction du gaz, du pétrole et du gaz de schiste. Tant en Argentine qu’au Chili, les Mapuche se battent aussi contre le consortium italien Benetton qui possède environ 900 000 hectares de la Patagonie depuis 1991. Ces terres, revendiquées par les Mapuche, sont principalement utilisées par le géant de la mode pour l’élevage de moutons afin de produire de la laine.
Manifestations en Argentine suite à la disparation de Santiago Maldonado.
France Libertés soutient depuis de nombreuses années les combats des Mapuche, par le biais de manifestations, de déclarations écrites par les Mapuche et déposées à l’ONU, et par l’appui à leurs lettres ouvertes, notamment celle de la chef communautaire Lonka Juana Kalfuano contre le harcèlement des communautés mapuche. La fondation tente aussi de sensibiliser l’opinion publique : les Mapuche sont un des huit peuples autochtones présents dans le jeu Otoktonia, dont le but est de présenter les peuples autochtones, les menaces auxquelles ils font face mais aussi les solutions qu’ils développent et les combats qu’ils mènent.
Paraguay – Brésil : la souffrance des Guarani
Les Guarani vivent à cheval sur plusieurs États et notamment au Brésil et au Paraguay.
Au Paraguay, il existe un cadre normatif reconnaissant les peuples autochtones et leurs droits. Mais il ne s’est pas traduit en termes législatifs, entraînant une absence générale de protection des Guarani et de leurs droits sur leurs terres et ressources.
ous la dictature du général Alfredo Stroessner (1954-1989), les peuples autochtones ont été victimes de graves violations de leurs droits humains, d’attaques civiles et militaires, et d’accaparement de leurs territoires. Le rétablissement de la démocratie n’a pas rendu justice aux Guarani, qui tentent de faire cesser les violences à leur encontre. Ils sont particulièrement victimes de travail forcé, d’exploitation sexuelle, d’entrave à la liberté de déplacement et à d’autres droits basiques.
Indiens guaranis au Paraguay, du village d’Itaguasú
Le Paraguay doit respecter et mettre en œuvre les décisions des organismes internationaux, qui accordent aux Guarani la propriété de leurs terres ancestrales.
Coté brésilien, les Guarani-Kaiowa se battent pour récupérer leurs terres, face à l’industrie agraire, les consortiums de l’énergie hydraulique, la déforestation illégale et les narcotrafiquants. Dans le Mato Grosso do Sul, 95% des arbres ont disparu, résultat de l’abattage intensif que font les multinationales du soja et du bétail, mettant gravement en danger la survie de 580 000 Guarani-Kaiowa. Ils sont violemment expulsés de leurs territoires, voire assassinés par des pistoleros engagés par des grands propriétaires terriens.
A cette situation dramatique des Guarani liés au non-respect de leurs droits à la terre vient s’ajouter une autre problématique qui est celle de la biopiraterie,c’est-à-dire la privatisation du vivant et des savoirs traditionnels sur la biodiversité, notamment par le biais de brevets. France Libertés, avec d’autres associations, a dénoncé le vol des connaissances des Guaranis sur les propriétés sucrantes de la Stévia. Ces capacités édulcorantes de la Stévia sont connues et utilisées depuis des siècles par les Guarani. Or, de grandes entreprises se sont accaparées ce savoir, sans partager les bénéfices avec ce peuple ni même demander leur consentement à la divulgation de leur savoir. Par le biais d’une grande campagne internationale et la production d’un rapport « Stévia, une douceur au goût amer », France Libertés accompagne les Guarani pour obtenir justice face aux multinationales.
Indiens Kaiowá au Brésil
Brésil : les actions menées par les Ashaninka
Dans l’État d’Acre vivent 1 300 indiens Asháninka, menacés par des groupes d’exploitation forestière illégale et des organisations de narcotrafiquants. Benki Piyako, membre de cette communauté, a été menacé de mort à plusieurs reprises. Par invitation de France Libertés, il est venu porter son message plusieurs fois en France, notamment en 2010 puis en 2013. Il est particulièrement actif sur le projet Yoreka Atame (un programme de protection des savoirs de la forêt et des connaissances traditionnelles, pour lequel France Libertés a travaillé avec les Asháninka), la lutte contre la biopiraterie et la résolution des conflits sociaux dans la région.