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Les faveurs de la ministre fédérale Mélanie Joly envers Netflix sont en train de susciter une onde de mécontentement sans précédent contre le gouvernement Trudeau. Pendant ce temps, une autre firme transnationale cherche à obtenir des privilèges indus en ralliant la population québécoise à sa cause : Uber. Dans un cas comme dans l’autre, l’heure est venue de redonner à l’État un rôle de défenseur de l’intérêt collectif et non celui d’un laquais d’actionnaires étrangers venus parasiter le travail des gagne-petit d’ici. Pour y parvenir, pas besoin de dire non aux avancées technologiques : il suffit de confier leur développement à des coopératives d’ici.

Uber continue de faire les manchettes au Québec (et bien au-delà). Dans ce que plusieurs interprètent comme une stratégie de négociation dans laquelle Uber cherche à reprendre l’initiative de la joute qui l’oppose à la législation québécoise, la firme transnationale menace de carrément quitter le Québec. Certains se réjouissent de cette éventualité alors que d’autres montent au créneau pour défendre la position d’Uber. L’issue pourrait dépendre de la rapidité avec laquelle se dissipe la poudre aux yeux que lance à nouveau cette entreprise qui ne respecte rien ni personne.

La stratégie de Uber est désormais bien connue. L’entreprise débarque sans avertissement et utilise ses moyens financiers gigantesques pour subventionner massivement des conducteurs et ainsi affaiblir sérieusement l’industrie locale de taxi. Elle pratique ensuite un lobbying intense sur les élus pour faire changer les lois en sa faveur et lui permettre de dégager un niveau de rentabilité élevé. Au passage, elle rallie à sa cause de nombreuses personnes dont le support est indispensable à sa réussite, notamment des « hipsters sans conscience sociale », pour reprendre les mots d’un éditorialiste du Devoir..

Pourtant, Uber, ce n’est déjà plus aussi cool que ce l’était. On pourrait même dire que Uber et son plan d’affaires qui consiste à se moquer de tout le monde appartient désormais au passé. Pour trois raisons : une compétition régionalisée et vigoureuse, des villes qui ne sont pas dupes et des alternatives prometteuses.

Uber n’est plus seul

Finie l’époque où Uber faisait pratiquement cavalier seul et conquérait sans rival des parts de marché partout dans le monde. C’était prévisible : l’entreprise pompe tout simplement de l’argent sur le travail des autres et envoie cet argent à San Francisco à l’aide d’une infrastructure informatique relativement légère. Et qui peut donc être reproduite par d’autres. Qui plus est, l’entreprise a pour modèle d’affaires de contourner des lois et des règlements partout dans le monde, elle manœuvre et expédie offshore jusqu’à 98% de ses revenus nets et n’honore guère ses responsabilités de « citoyen corporatif ». Sans compter une très longue liste de scandales qui mêlent le harcèlement sexuel, la violation de la vie privée, l’intimidation de journalistes, le vol de technologie ainsi que des condamnations à répétition pour avoir trompé ses employé·e·s sur leur rémunération. Des études ont aussi montré qu’il y avait un problème de racisme avec Uber.

Ainsi, Uber (qui vaut 70G$) a plié bagage en Chine où elle a laissé le champ libre à Didi Chuxing (qui vaut 50G$), son plus important compétiteur. En échange de son retrait, Uber a reçu des parts de Didi. En ex-URSS, elle a également scellé une entente avec le concurrent local Yandex. En Inde, Uber se bute désormais à Ola et au Moyen-Orient, son développement est freiné par Careem. Les succès de ses concurrents constituent également une menace pour Uber à l’Ouest alors que Didi s’est allié avec une entreprise estonienne pour s’implanter en Europe de l’Est, en Afrique ainsi que dans des villes telles que Londres et Paris. Bien que l’image de ces concurrents ne peut être pire que celle de Uber, ces start-up ressemblent néanmoins à Uber dans leurs fondements et n’offrent pas de contre-modèle intéressant.

Des législations tiennent le coup

Des grandes villes aussi ont simplement dit « non » à Uber. C’est le cas de Vancouver qui ne s’en porte pas plus mal en dépit des assauts répétés de Uber et de ses alliés. Parmi ces derniers, le parti Vert de Colombie-Britannique. Les Verts de cette province sont entrés récemment au gouvernement en coalition avec le NPD, qui lui est opposé aux firmes comme Uber ou son compétiteur nord-américain, Lyft. On verra si les élus Verts parviendront à changer les lois en faveur de Uber. En attendant, selon certains, l’absence de la multinationale délinquante aurait permis le développement rapide d’alternatives d’autopartage et de covoiturage.

Au Québec, des environnementalistes de marché aussi volent au secours de Uber et dénoncent la réglementation gouvernementale. C’est le cas de Pierre-Olivier Pineau de HEC ou d’Équiterre qui ont une bien étrange définition de « l’acceptabilité sociale des entreprises », le genre de concept de marketing contemporain dont ils se gargarisent et qu’on imagine pourtant difficilement conciliable avec le modèle d’affaires de Uber.

Au Japon, les tactiques visant à mettre les autorités devant le fait accompli a suscité le dégoût et l’entreprise peine à décoller dans ce pays où l’on trouve pourtant une population particulièrement branchée sur les nouvelles technologies. L’industrie du taxi japonaise cherche pendant ce temps à évoluer afin de rendre Uber moins attractif.

Enfin, il y a deux semaines, Uber été banni de Londres pour l’ensemble de son œuvre par l’agence de transport de cette métropole. Le maire Sadiq Khan a défendu cette décision qui a causé tout un émoi. Uber indique maintenant vouloir tout mettre en œuvre pour réintégrer la ville. Elle a déjà fait un acte de contrition, lancé une pétition et reçu l’appui de la première ministre conservatrice Theresa May.

Uber, version socialiste

Mais si le cas britannique est particulièrement intéressant, c’est qu’il survient dans un pays où plusieurs ont déjà commencé à revendiquer la mise en place de plateformes réellement coopératives plutôt que soumises aux diktats d’actionnaires qui n’ont pour seul intérêt que de maximiser des dividendes à court terme.

En d’autres mots, on pourrait avoir le meilleur des deux mondes : les avantages des avancées technologiques et un secteur économique intelligemment et justement aménagé. Ainsi, en Angleterre, la New Economics Foundation a réagi à l’annulation de la licence de Uber en proposant la mise en place d’une plateforme numérique contrôlée par les travailleurs du taxi. Cette proposition fait écho au « manifeste de démocratie numérique » mis de l’avant en 2016 par le chef du Labour, Jeremy Corbyn.

Les Londonien·ne·s pourraient par ailleurs s’inspirer de l’épisode de Austin aux États-Unis. En mai 2016, Uber et Lyft ont quitté cette ville du Texas après un référendum où la population s’était prononcée pour une nouvelle règlementation visant à accroître la sécurité des taxis. Deux semaines après la désactivation locale de Uber et Lyft, d’autres applications prenaient le relais, à commencer par RideAustin, une entreprise à but non lucratif développée par les locaux pour remplir l’espace laissé vacant. L’environnement social y est favorable : Austin est la ville qui croit le plus vite aux États-Unis et l’industrie des nouvelles technologies y est foisonnante.

Quelques mois plus tard, le gouverneur républicain de l’État du Texas a renversé la décision de la ville d’Austin et les géants Uber et Lyft sont revenus hanter la ville. Leur retour a considérablement affaibli les initiatives locales.

Est-ce que le Québec ne pourrait pas développer ses propres applications plutôt que de s’agenouiller devant Uber ? En avril dernier, l’événement Transformer Montréal prenait de front ce type d’enjeu. Il y a quelques semaines, c’était à Toronto que se réunissaient des développeurs de plateformes coopératives dans un événement subventionné par Desjardins. Et après tout, le Québec n’a-t-il pas développé un vaste écosystème de coopératives au sein du grand ensemble de l’économie sociale et solidaire ? Pourquoi ne pas se baser sur ce savoir pour répondre aux besoins des citoyen·ne·s tout en nous débarrassant des créatures détestables comme Uber ?

Tout ce qu’il manque pour passer du point A au point B en matière de transport intelligent, c’est la volonté politique de prendre la bonne direction.

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