Un exercice intéressant sur ce qu’est le bonheur consiste d’abord à se remémorer un mauvais moment, et de voir comment était la communication avec les autres, comment nous voyions l’avenir et si nous avions confiance en nous-mêmes et dans les autres ; puis se remémorer un moment agréable et observer les mêmes paramètres.
Il s’avère que les mauvais moments étaient mauvais parce que nous nous sentions isolés, l’avenir était incertain ou fermé et nous manquions de confiance en nous-mêmes et dans les autres, et les moments agréables étaient agréables parce que la communication était au mieux, l’avenir était ouvert et nous avions confiance en nous-mêmes et dans les autres.
Un sentiment d’appartenance et un objectif clair qui se projette dans l’avenir, même au-delà de son existence individuelle, sont liés au sentiment que la vie a un sens ; un thème amplement développé par Silo dans ses écrits et dans l’application de sa pensée révolutionnaire nonviolente à la construction d’un monde différent, un monde humanisé.
A une époque où la déshumanisation semble étendre ses tentacules partout sur la planète, beaucoup se demandent comment atteindre le bonheur, cet état idéal qui, selon les valeurs du système actuel, ne peut être atteint autrement qu’avec beaucoup d’argent et de biens matériels. Sexe et pouvoir viendraient comme produits dérivés de la richesse.
Cependant, pour beaucoup le bonheur reste hors d’atteinte, malgré leur « succès », et l’industrie du bonheur fait la promotion de toutes sortes de remèdes pour l’âme, méditation, régimes alimentaires, gourous et médicaments en vente libre qui agissent sur le mental, proposant leurs marchandises comme les conquistadors offraient du marbre et des morceaux de miroirs aux autochtones désemparés des Amériques.
Qu’il soit nécessaire que sa vie ait un sens pour être heureux n’est pas vraiment nouveau, cela a été dit et redit depuis l’antiquité par toutes sortes d’individus et de courants philosophiques ; mais en quelque sorte « l’argent comme seul moyen d’atteindre le bonheur » semble ancré, aujourd’hui plus que jamais, comme une croyance ou un mythe.
Depuis que le pharaon Akenathon a dit que « l’homme est le plus heureux quand il donne le bonheur aux autres », il y a environ 3 500 ans, la règle d’or qui consiste à traiter les autres comme on aimerait être traité a toujours été réaffirmée (et ignorée) par toutes les générations.
Viktor Frankl, après avoir survécu aux camps de concentration nazis qui avaient tué sa famille, a créé la logothérapie avec ce concept révolutionnaire : la solution à la névrose est de trouver un sens à la vie.
Les sociétés qui promeuvent la solidarité plutôt que l’individualisme, comme celles basées sur Ubuntu en Afrique du Sud ou les anciennes civilisations andines, intègrent la valeur de l’harmonie collective pour créer un sens.
Si un magnat de la télé(ir)réalité, raciste, sexiste, peut devenir l’homme le plus puissant sur terre et déterminer la direction de l’humanité, alors pour beaucoup la vie paraît ne pas avoir de sens. Le problème, c’est qu’il a été élu par des gens qui pensaient que la classe politique avait déjà vidé de tout sens la société. Sauter de la fenêtre du dixième étage d’un immeuble en feu, c’est ce qui me vient à l’esprit.
Apprendre que personne, sinon nous-même, ne peut nous sauver du non-sens d’un système injuste et violent, a été à nouveau découvert par l’ancien diplomate Carne Ross, qui a ensuite créé la fondation Diplomate Indépendant pour aider les opprimés de la politique internationale ; il a continué sa transformation en devenant « l’anarchiste involontaire », une invitation aux personnes à la base à devenir les protagonistes des changements nécessaires pour sortir de cette situation malsaine.
Plus récemment, un discours TED nous dit : « Notre culture est obsédée par le bonheur, mais que se passe-t-il s’il y a une voie plus épanouissante ? Le bonheur va et vient, dit l’auteure Emily Esfahani Smith, mais avoir un sens dans sa vie – accomplir une chose qui va au-delà de soi-même et développer ce qu’il y a de meilleur en soi – nous permet de nous accrocher à quelque chose ».
George Monbiot nous invite à « sortir des ruines » par la politique de l’appartenance, encore une fois avec le sens et le but à travers la communauté.
Alors, si tant de gens découvrent et redécouvrent le chemin d’une vie plus sensée, comment se fait-il que la majorité des gens croient encore en l’argent comme source de bonheur ? Peut-être que ces réponses humoristiques peuvent nous aider à comprendre.
Manolito, un personnage du dessin animé argentin Mafalda, de Quino, nous dit : « Je sais que l’argent ne peut pas m’acheter le bonheur, mais j’aime la manière qu’il a de l’imiter ». Et qu’en est-il du comédien britannique Spike Milligan, qui nous manque cruellement : « Tout ce que je demande, c’est la chance de prouver que l’argent ne peut pas me rendre heureux ».
Bien que nous reconnaissons le pouvoir de la publicité d’induire de telles anti-valeurs, nous devons également reconnaître notre propre niveau de conscience qui nous rend sensible aux images hypnotisantes. En d’autres termes, nous vivons notre vie comme un rêve et nous croyons aux rêves qui flottent autour de nous.
S’éveiller à un niveau de conscience plus élevé qui nous immunise contre eux demande un peu de travail, car faire attention est un acte intentionnel qui demande un peu d’effort, mais cela est facilité par la création d’un environnement dans lequel les autres font le même effort, et se le rappellent les uns aux autres. En d’autres termes, acquérir la conscience de soi est en fait une initiative communautaire. Et dans un tel état, il devient possible de percevoir des sens qui ne peuvent pas être appréhendés tout en poursuivant les sens provisoires du sexe, de l’argent et du prestige.
Il est clair que la décision d’ouvrir sa conscience à des niveaux supérieurs est un choix personnel, mais la question : à partir d’où faisons nous un tel choix ? ressemble à une impasse. C’est pourquoi les moments d’échec, lorsque les sens provisoires s’effondrent, sont si importants. Ce moment est là quand il devient possible de dire : je veux, je dois changer. Quels sont mes choix ? Qui d’autre construit une nouvelle réalité ? Et à partir de ces nouvelles réalités, qui construit un sens non seulement pour quelques-uns, mais pour toute l’humanité ?