Le 15 août 1947 accèdent à l’indépendance deux nations asiatiques : l’Union Indienne et le Pakistan. Elles ouvrent la voie au processus de décolonisation, c’est à dire au démantèlement des empires coloniaux européens et singulièrement au premier d’entre eux, l’empire britannique. Elles marquent aussi les premiers pas sur la scène internationale de peuples comptés comme quantité négligeable depuis des générations par les colonisateurs européens. Elles ouvrent aussi une douloureuse fracture entre Hindous et Musulmans du sous-continent indien, fracture toujours non refermée. Mais elles couronnent néanmoins trois décennies de lutte non-violente et ouvrent alors un immense espoir pour tous les peuples encore colonisés.
Il est paradoxal en apparence de parler de deux jeunes nations à propos de l’Inde et du Pakistan. En effet, ces deux états naissent à l’intérieur des frontières historiques et culturelles d’une des plus anciennes civilisations humaines, la civilisation indienne. En effet la civilisation de l’Indus s’épanouit entre le IIIe et le IIe millénaire avant notre ère sur les bords du fleuve Indus dans ce qui est aujourd’hui le Pakistan. Les envahisseurs aryens développent ensuite la civilisation védique, ancêtre de l’hindouisme, qu’ils étendent progressivement jusqu’au sud de la péninsule du Dekkan ( la pointe sud du sous-continent indien ).
Pourtant ce sont bien deux jeunes nations qui apparaissent ce 15 août 1947 avec l’indépendance des deux états indien et pakistanais. On assiste bien ainsi à une rupture dans l’histoire du sous-continent indien, jusque-là dominé par l’empire britannique. Cette évolution est en même temps en phase avec l’évolution de l’histoire mondiale. En effet, dans l’ordre international tel qu’il s’est constitué depuis la fin des guerres napoléoniennes, puis tout au long du XIXe siècle, l’émergence de l’état-nation est un des faits marquants, avec le développement croissant du capitalisme industriel, et la domination des puissances européennes sur l’Asie et l’Afrique.
Depuis 4000 ans le sous-continent indien a alterné les périodes de fragmentation avec les périodes de quasi-unification. Jusque-là tantôt divisé en états rivaux, tantôt quasi-unifié sous l’autorité d’un empire, le peuple indien a lentement pris conscience de lui-même alors qu’il se trouve dans le giron de l’empire britannique depuis la fin du XVIIIe siècle. Pour la première fois de son histoire en effet, l’ensemble du sous-continent indien est gouverné par un seul pouvoir, l’empire britannique. La prise de conscience de l’identité commune des populations vivant à l’intérieur des frontières de cet état, par delà les différences ethniques ou religieuses, s’est accélérée avec le développement des revendications en faveur de l’égalité de traitement entre Indiens et Britanniques puis en faveur de l’autonomie et enfin de l’indépendance. Les revendications politiques se cristallisent avec la création du parti du Congrès en 1885, puis de la Ligue Musulmane en 1906.
Au début du XXe siècle, le jeune avocat indien Mohandas Gandhi s’est fait connaître pour sa défense de la communauté indienne d’Afrique du Sud face au pouvoir colonial britannique. Après son retour en Inde en 1915, Gandhi devient progressivement le leader du mouvement indépendantiste indien grâce à sa détermination, son courage, sa grande spiritualité, son sens aigu des rapports de force, et surtout la profonde originalité des moyens de lutte mis en œuvre. En effet le combat pour l’indépendance prend un caractère particulier avec la mise en pratique de l’Ahimsa, la doctrine de la Non-violence. Les grandes campagnes de 1920-1922 puis de 1929-1930 (« la marche du sel ») amènent les britanniques à la table de négociation. Une loi est adoptée par le parlement britannique en 1935, le « Government of India Act », créant des assemblées législatives, élues au suffrage universel, dans les provinces de l’empire des Indes. C’est un pas vers plus d’autonomie vis-à-vis du gouvernement de Londres. En 1937, le parti du Congrès remporte ainsi les élections dans 7 des 11 provinces, signe de sa popularité grandissante.
Si de nombreux musulmans collaborent avec leurs compatriotes indiens au sein du parti du Congrès, d’autres préfèrent s’investir dans la Ligue Musulmane, un parti qui défend leurs revendications propres. Ils considèrent que dans une future Inde indépendante majoritairement hindoue, les musulmans se retrouveraient en situation de minorité opprimée. Pour éviter ce scénario ils souhaitent créer un état pour les musulmans indiens, séparé du reste de l’Inde. Le poète Muhammad Iqbal donne un nom au rêve de ces musulmans indiens : le Pakistan. Le mot signifie « Pays des purs » en langue ourdou et il est formé comme un acronyme construit avec le nom de certaines provinces du pays : le Punjab, l’Afghania, le Kashmir, l’Indus–Sind et le Baloutchistan. Mais c’est la figure de Muhammad Ali Jinnah, leader de la Ligue Musulmane, qui incarne la lutte sans relâche pour la concrétisation de cet objectif.
Le Mahatma Gandhi considère l’Inde comme la mère de tous ses enfants quelque soit leur confession ou leur caste. Pour lui, l’éventualité d’un partage de l’empire britannique des Indes en deux états, l’un hindou, l’autre musulman, serait dramatique. Il parle à ce propos de « vivisection » du pays. Mais rien n’y fait. Jinnah poursuit son combat avec obstination. Les divisions entre hindous et musulmans font bien sûr le jeu des intérêts britanniques qui en profitent pour repousser les revendications indépendantistes. Quand éclate la Seconde Guerre Mondiale, le parti du Congrès refuse de soutenir les Britanniques dans leur effort de guerre alors que la Ligue Musulmane accepte de collaborer avec eux. En 1942 Gandhi lance la campagne « Quit India » demandant le départ immédiat des Britanniques. Les dirigeants du Congrès sont alors emprisonnés jusqu’à la fin de la guerre. Jinnah continue d’appuyer les autorités coloniales moyennant la reconnaissance de son parti comme l’unique représentant des musulmans indiens.
En 1945, les données ont profondément évolué. La revendication indépendantiste s’est largement diffusée dans la population indienne. L’empire britannique, qui sort tout juste des 5 années de la Seconde Guerre Mondiale, est en piteux état financièrement. Imposer par la force le maintien de l’empire est hors du champ de ses possibilités. Le gouvernement travailliste de Clement Attlee et Ernest Bevin préfère choisir la voie de l’indépendance négociée. L’indépendance qui survient en 1947 est aussi synonyme de partition car la Ligue Musulmane a obtenu satisfaction : la création d’un état pour les musulmans, le Pakistan. Le partage de l’ancien empire britannique des Indes entre Inde et Pakistan, signifie un gigantesque échange de population, probablement un des plus considérables de l’Histoire, entre les deux nouveaux états. 10 à 15 millions de personnes quittent les régions qu’ils habitent depuis des générations pour ne pas se retrouver minoritaires dans le nouvel état qui englobe leur foyer : Hindous fuyant le futur Pakistan vers l’Inde, Musulmans fuyant la future Inde vers le Pakistan. Cet exode s’accompagne d’une grande vague de violence qui coûte la vie à 1 million de personnes. Les transferts de populations, et les affrontements les plus violents, ont lieu principalement au Bengale et au Pendjab, provinces très peuplées et coupées chacune en deux par le partage.
A l’échelle internationale, les indépendances de l’Inde et du Pakistan sont les premières d’une longue série, qui aboutira au terme de deux décennies à la fin du plus vaste empire de l’Histoire. Le monde ne sera plus jamais comme avant. S’il est vrai que les territoires britanniques peuplés majoritairement de colons européens tels l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande ou gouvernés par des colons européens minoritaires, comme l’Union Sud-Africaine, avaient acquis une quasi-indépendance depuis 1931, il en allait tout autrement pour les territoires dont la population était majoritairement africaine ou asiatique. C’est le commencement de la fin pour l’ordre mondial dominé par les empires coloniaux européens. Au cours des trente années qui suivent, les empires coloniaux néerlandais (1949), belge (1960), français (entre 1954 et 1962), portugais (1975), connaîtront le même sort que l’empire britannique.
Évidemment l’indépendance ne règle pas tout pour les populations indiennes et pakistanaises. De nombreuses questions restent en suspens pour les deux états. Et elles sont épineuses : sur le plan intérieur, comment gérer la question des castes et celle des minorités, comment organiser les rapports entre le gouvernement central et ceux des provinces, comment sortir de la pauvreté accablante la majorité des populations et donc quel modèle de développement adopter ; sur le plan extérieur, comment se positionner dans la confrontation Est-Ouest qui partage alors le monde. En outre, les relations entre Inde et Pakistan démarrent avec un lourd passif, ne serait-ce qu’avec la difficile question du Cachemire. Pourtant la lutte non-violente menée par le Mahatma Gandhi et ses partisans a bel et bien porté ses fruits. Le pouvoir colonial a dû finalement céder. Pour la première fois un peuple asiatique a conquis son indépendance.