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Au Chili, l’élection présidentielle prévue le 19 novembre 2017 pourrait déboucher sur un nouveau basculement à droite. Après plus de 20 ans de gouvernements de la « Concertation des partis » puis de la « Nouvelle majorité » – alliances de centre–gauche toutes les deux –, avec la parenthèse de 4 ans (2010-2013) du gouvernement de droite de Sebastián Piñera, les contours des forces en compétition se dessinent peu à peu.
En février dernier, pendant l’été austral, le pays a affronté une énième catastrophe naturelle. Des incendies ravageurs ont fait disparaître des massifs forestiers entiers, et ils ont mis à l’épreuve le gouvernement de Michelle Bachelet qui n’avait pas besoin de cette nouvelle crise. La Présidente était revenue au pouvoir en 2013 pour un deuxième mandat de quatre ans après avoir terminé le premier avec un taux de popularité dépassant le 80 % – du jamais vu auparavant – et avoir ensuite assumé avec brio la direction exécutive de l’entité des Nations unies ONU Femmes [1].
D’emblée, elle avait cependant dû faire face à une situation nouvelle : l’irruption de la corruption comme thème central de la vie politique. Un choc pour la société chilienne qui croyait que le pays était différent de ses voisins de la région, souvent déstabilisés par des scandales en tout genre. Elle découvrait que les élus – de quelque bord qu’ils soient – étaient souvent à la solde de groupes financiers et industriels qui, de fait, contrôlaient la politique du pays. Depuis des mois l’actualité politique est occupée par ces scandales, et les juges convoquent régulièrement des élus qui tentent avec plus au moins de succès, d’expliquer leurs agissements. La réputation de l’ensemble de la classe politique est tombée au plus bas, et la méfiance vis à vis des dirigeants s’est installée pour longtemps dans les esprits.
Au sein de la Nouvelle Majorité, l’alliance des formations politiques créée en 2013 pour prendre la relève de la Concertation et porter la deuxième candidature de Michelle Bachelet, plusieurs personnalités ont fait acte de candidature à l’investiture. A la surprise générale, les plus connues – l’ancien président de la République Ricardo Lagos, l’ancien ministre des relations extérieures et de l’intérieur pendant les trois premiers gouvernements de la Concertation, José Miguel Insulza, ou encore Isabel Allende, alors présidente du Parti socialiste et fille de Salvador Allende – n’ont pas décollé dans les intentions de vote.
Plus surprenant encore, au début de l’année 2017, les préférences allaient à un outsider : Alejandro Guillier. Entré en politique depuis peu de temps, élu pour la première fois sénateur indépendant en 2013 en représentation d’une des régions du nord du Chili, ce journaliste, sociologue de formation, est néanmoins un visage connu des Chiliens parce qu’il a été présentateur des journaux télévisés pendant plusieurs années.
Guillier caracolait dans les sondages semaine après semaine, et rien ne semblait pouvoir l’arrêter dans sa recherche de l’investiture de la Nouvelle Majorité. Interrogés sur ce cas atypique, nombre d’observateurs pensaient que ce phénomène n’allait pas durer, qu’il s’agissait seulement d’une réaction des citoyens aux scandales de corruption qui ébranlent depuis des mois le système politique. Pour eux, cet homme sans expérience, alors seulement soutenu par un petit parti membre de la Nouvelle Majorité, ne tiendrait pas le choc lorsque les politiques chevronnés entreraient dans la course à La Moneda.
Prenant le contre-pied de cette analyse, d’autres spécialistes affirmaient que le manque d’expérience et de soutiens de poids du candidat déclaré n’avait aucune importance, dans la mesure où son plus grand mérite était justement d’être « nouveau », de ne pas faire partie de cette classe politique tant décriée, et de ne pas être impliqué dans des affaires de corruption. Et, à leurs yeux, cela suffisait largement à faire de lui le favori des progressistes pour la prochaine élection. C’est dans ce contexte de méfiance d’un niveau jamais atteint auparavant que les Chiliens se préparent à élire leur futur président.
Parmi les réformes de fond lancées par le gouvernement Bachelet – et sans qu’on lui en reconnaisse toujours le mérite –, il en est une dont les retombées restent inconnues. C’est la nouvelle loi électorale, promulguée le 5 mai 2015, qui a définitivement éliminé le système dit « binominal » [2] et l’a remplacée par la représentation proportionnelle. Elle a été complétée par une modification profonde des textes régissant les partis : la loi organique constitutionnelle des partis politiques entrée en vigueur le 15 avril 2016. Celle-ci impose la révision complète des registres d’adhérents des partis traditionnels et oblige les nouveaux à déclarer un nombre minimum des militants dans chaque région pour pouvoir exister au niveau national.
Les partis traditionnels de la droite (Rénovation nationale et Union démocratique indépendante), du centre (Démocratie chrétienne) et de la gauche (Parti pour la démocratie, Parti socialiste, Parti radical, Parti communiste, Parti progressiste) ont eu le plus grand mal à mobiliser leurs troupes. Les difficultés ont été encore plus grandes pour les nouveaux mouvements de droite, du centre, de gauche, et pour des indépendants ne se situant pas sur ce registre : Evopoli, Parti régionaliste indépendant, Révolution démocratique, Mouvement autonomiste, Nouvelle démocratie, Parti humaniste, Parti écologiste vert, Amplitud, Union patriotique, etc.
Ces partis ont dû déployer jusqu’au dernier moment des efforts considérables pour remplir les exigences de la loi, présenter des registres avec le nombre exigé de militants, et ainsi exister au niveau national. C’est là un enjeu majeur car seules les organisations présentes dans tout le territoire peuvent présenter des candidats à l’élection présidentielle. Pendant le processus de réinscription des partis, les principales figures de l’ancienne Concertation ont dû abandonner la course à l’investiture, faute de soutiens suffisants parmi les militants des partis qui auraient dû les parrainer. D’autres visages, plus jeunes, moins compromis dans des affaires de corruption se font connaître, et le paysage politique chilien commence à changer…
Actuellement, trois coalitions sont prêtes à s’affronter en novembre 2017 : Chile Vamos, Nueva Mayoria et Frente Amplio. Les deux premières – celle de la droite traditionnelle et celle de centre-gauche – occupent tout l’espace politique depuis le début de la période de transition vers la démocratie initiée à la fin de la dictature en 1990. C’est la troisième, une nouvelle coalition de gauche formée par les jeunes partis nés des mouvements étudiants, qui devient la nouveauté de cette période électorale. D’autres partis indépendants seront aussi présents lors de cette élection.
L’alliance Chile Vamos (Allons le Chili) représentant la droite traditionnelle, et où l’on retrouve des nombreux anciens soutiens du régime militaire, a déjà fait élire fin 2009 le seul président de droite des 25 dernières années, Sebastián Piñera. Elle se prépare maintenant à revenir au pouvoir avec le même candidat Piñera. D’autres prétendants à l’investiture de la droite qui s’étaient présentés à la primaire du 2 juillet dernier n’ont pas été élus.
Le centre-gauche, au pouvoir pendant plus de 20 ans, devait se regrouper au sein de la Nueva Mayoria (Nouvelle Majorité), la coalition créée en 2013 pour porter Michelle Bachelet à la Présidence de la République pour un deuxième mandat. Héritière de l’ancienne Concertation des partis, prise dans le tourbillon des scandales de corruption, l’alliance de centre-gauche a éclaté à quelques semaines des primaires du 2 juillet dernier. Ainsi, au moins deux candidats issus de cette alliance – Alejandro Guillier, soutenu par l’aile gauche, et Carolina Goic, candidate de la Démocratie chrétienne – vont s’affronter directement au premier tour de l’élection présidentielle le 17 novembre.
La troisième coalition, et la surprise de cette nouvelle période électorale, est le Frente Amplio (Front élargi), dont les contours ne sont pas totalement définis. Composés essentiellement de mouvements qui ont été à la tête des mobilisations des étudiantes depuis 2011, plusieurs de ces regroupements se sont transformés en partis politiques, et leurs principaux représentants sont entrés à la Chambre des députés lors des élections législatives de novembre 2013. Même si les plus connus d’entre eux semblaient trop jeunes pour pouvoir se présenter à l’élection présidentielle, le Frente Amplio avait inscrit deux candidats à la primaire du 2 juillet : Alberto Mayol et une jeune journaliste, Beatriz Sánchez, qui l’a finalement emporté.
Le panorama politique du Chili s’est éclairci après les primaires qui se sont tenues le 2 juillet dernier. Sebastián Piñera sera le candidat de la droite et Beatriz Sánchez la seule candidate du Frente Amplio. Le gouvernement Bachelet dispose encore de quelques mois pour consolider et promouvoir les avancées – indiscutables – de son deuxième mandat, et que la Présidente a revendiquées avec fierté lors de son rapport sur l’état de la nation prononcé devant le Parlement le 1er juin dernier.
Si l’on en croit les sondages, le pays pourrait élire un deuxième président de droite après la dictature. Dans tous les cas de figure, se posera la question de la composition du parlement élu en même temps que le nouveau président.
La nouvelle loi électorale a non seulement supprimé le système binominal, mais a également modifié la carte politique du Chili en réduisant le nombre de districts, qui passent de 60 à 28, et le nombre de députés (120 au lieu de 155). Le nombre de sénateurs augmente de 38 à 50. Par ailleurs, les Chiliens ne seront plus obligés de se rendre aux urnes puisque le vote obligatoire a été supprimé. Ceux résidant à l’étranger voteront pour la première fois. La parité devient une obligation. Beaucoup d’incertitudes donc sur le scrutin de novembre, la principale portant sur la capacité des candidats à mobiliser les électeurs…