Il existe des moments positifs dans l’histoire, qui restent en raison des images marquantes qui les accompagnent, comme le premier alunissage, la chute du mur de Berlin et la libération de Nelson Mandela. Il existe d’autres moments, tout aussi historiques, qui ne sont pas aussi photogéniques, comme la découverte de médicaments contre les rétrovirus et de traitements contre différents cancers, la découverte de la fécondation in-vitro et du boson de Higgs, par exemple. La rédaction et l’approbation de traités d’interdiction d’armes de destruction massive fait sans doute partie des moments les moins éblouissants dans l’histoire. Mais aujourd’hui, dans une salle de conférence au sous-sol des Nations Unies à New York, un tel moment historique s’est produit avec l’approbation d’un traité qui dispose que :
« Chaque État partie s’engage à ne jamais, en aucune circonstance, développer, essayer, produire, manufacturer, ou par d’autres moyens acquérir, posséder, stocker des armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires explosifs, » ni « utiliser ou menacer d’utiliser des armes nucléaires ou d’autres dispositifs nucléaires explosifs. »
Plus de 130 États ont pris part à ces négociations, qui ont fait suite à la pression soutenue exercée par une poignée d’États n’entendant plus laisser le futur précaire de l’humanité dans les mains de ceux qui possèdent le pouvoir de nous infliger à tous l’Armageddon.
Comme pour les armes chimiques, les armes biologiques, les armes à sous-munitions et les mines terrestres, le discours amenant à l’interdiction s’est trouvé modifié en se concentrant sur l’impact humanitaire. Cela n’a pas été facile du tout, sachant que la dernière utilisation d’armes nucléaires en temps de guerre s’est produite en 1945 et que bien peu de survivants de Hiroshima et Nagasaki sont encore là pour témoigner. Les victimes des essais nucléaires, appartenant pour la plupart à des communautés indigènes isolées dépourvues des ressources nécessaires pour lancer des campagnes soutenues par des acteurs de Hollywood et autres célébrités, ont aussi lutté pour faire entendre leur voix malgré d’incroyables difficultés.
Le Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires a été dénoncé par les pays qui possèdent des armes nucléaires et leurs amis, comme étant irréaliste, inutile, contre-productif et irrationnel. Nikki Haley, l’ambassadrice américaine, a déclaré qu’en tant que mère, fille et épouse, elle ne pouvait soutenir le texte du traité, ignorant allègrement le fait qu’en tant que femme, elle et toutes celles de son genre, seront disproportionnellement affectées par toute détonation nucléaire.
Dans la première résolution des Nations Unies, le problème des armes nucléaires fut inscrit à l’agenda. En 1970, 25 après, il y a 47 ans, les Nations Unies avaient finalement un traité ouvrant la voie au désarmement et prévenant la prolifération vers d’autres pays (qui a échoué sur les deux tableaux). Ce Traité de Non-Prolifération dispose dans son article VI:
« Chacune des parties au traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace. »
Le traité d’interdiction est indépendant du traité TNP, et comme il n’est pas nécessaire d’être signataire de l’un pour participer à l’autre, il s’insère bien dans le vide juridique décrit ci-dessus, parce que si l’interdiction des armes nucléaires n’est pas une mesure efficace, alors rien ne peut l’être.
Ne soyons toutefois pas naïfs. Nous bannissons ces armes (et l’interdiction entre en vigueur dès lors qu’un 50ème pays ratifie le traité), mais à court terme aucune arme nucléaire ne sera désarmée par l’effet du traité. Mais sa valeur réside dans la stigmatisation qu’il entraîne.
Lors de la récente réunion préparatoire du TNP à Vienne, la Russie a répété l’argument fallacieux utilisé par de nombreux États nucléaires depuis 1970, selon lequel le TNP rend la possession de l’arme nucléaire en quelque sorte licite. Même la Cour Internationale de Justice, dans son avis consultatif de 1996, a trouvé une faille de la taille d’un camion par lequel les États nucléaires peuvent justifier la possession continue de ces armes, en déclarant que l’utilisation d’armes nucléaires pourrait être légale en cas de menace sur « la survie même d’un État. »
Le traité abolit les armes nucléaires en toutes circonstances et comble tous les vides existants.
La société civile (ceux qui ne participent pas à la société militaire) a lutté si longtemps pour que cela se produise. Parmi d’autres, Abolition 2000 et, plus récemment, la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires ont travaillé pratiquement sans ressources et poussé pour que cela arrive, mais ironiquement c’est maintenant que le vrai travail commence.
Ce Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires, qui comble le vide juridique ainsi que l’a expliqué l’Autriche lors de la conférence de Vienne sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires, est l’une des étapes que peuvent entamer les pays non nucléaires sans implication des États nucléaires.
A présent, la société civile et les gouvernements qui ont fait pression pour que vienne ce jour devront trouver de nouveaux moyens de pression.
Il est certain que des campagnes de désinvestissement comme « Don’t Bank on the Bomb » de PAX, seront des outils importants. Des campagnes visant à mettre un terme au conflit entre l’Inde et le Pakistan (ainsi que la Chine), au moyen orient et dans le nord-est asiatique seront d’autres lieux d’expression de la pression internationale.
Et au niveau domestique, la reconnaissance par le traité de « l’importance de l’éducation à la paix et au désarmement, dans tous ses aspects, et de l’éveil de l’intérêt sur les risques et conséquences des armes nucléaires pour les générations actuelles et futures, » peut encourager des initiatives intéressantes, non seulement dans les salles de classe de par le monde, mais aussi dans le champ des médias et de la culture, dont la tâche de création d’une conscience globale abhorrant les armes nucléaires aura un rôle très important à jouer.
Mais tout cela est pour demain. Aujourd’hui nous pouvons profiter de ce jour historique, nous félicitons les militants et organisations qui se sont lancés dans cette lutte, nous saluons les pays dont les politiciens et diplomates nous ont permis d’aller jusque-là, nous nous réjouissons que ce David métaphorique a pu vaincre un insolent Goliath et nous fêtons la nouvelle que, 72 ans après l’enfer nucléaire sur la population du Japon, aucun pays ne pourra plus justifier légalement la possession d’une arme ayant le pouvoir de détruire la civilisation humaine et virtuellement toute vie sur la planète.
Traduit de l’anglais par Serge Delonville