Par Emile Lanoë
Le slogan aura agi tel un mantra : les CP en éducation prioritaire limités à 12 élèves par classe dès la rentrée 2017 pour atteindre l’objectif de 100% de réussite. A l’heure de la mise en œuvre très concrète de la mesure phare du programme éducation macronien, il n’est pas inutile d’en analyser les rouages, tant ils révèlent à la fois une méthode brutale et des finalités contestables.
Réformer l’éducation par ordonnance
Le nouveau gouvernement veut agir vite pour reprendre en main la refondation de l’éducation nationale. C’est donc dans une précipitation inédite que les directions académiques annoncent ces derniers jours les mesures concrètes pour atteindre l’objectif de « 100 % de réussite en CP ». Syndicats, associations de parents d’élèves (voir ici) et enseignants sont mis devant le fait accompli. Cette célérité n’est évidemment pas sans poser de nombreux problèmes tant au niveau de la méthode que des finalités et surtout préfigure ce que pourrait être la marque de fabrique d’une nouvelle gouvernance à marche forcée.
Casser ce qui était déjà en marche
Les enseignants se voient dans l’obligation de renoncer à un précédent dispositif, le « plus de maîtres que de classes ». Toutes les écoles REP+ (réseau éducation prioritaire renforcé) et une majorité des écoles REP s’étaient vues attribuer un professeur des écoles en surnuméraire pour accompagner les classes et intervenir en fonction des besoins au sein de celles-ci. Ces enseignants « pollénisateurs» permettaient de décloisonner les classes et d’encourager l’innovation et la réflexion pédagogique au sein d’équipes enseignantes, souvent jeunes et inexpérimentées dans ces écoles prioritaires. Or, en Seine-Saint-Denis où plus de 500 écoles sur 830 sont en éducation prioritaire, la totalité de enseignants PDMQDC ((plus de maîtres que de classes) des écoles REP+ vont disparaître à la rentrée prochaine. Tout est donc « balayé d’un revers de main », sans réflexion, sans bilan et sans égards pour les professionnels investis (voir pétition). Le directeur académique, M.Wassenberg, l’a annoncé vendredi dernier et a même ajouté qu’une partie des nouveaux postes affectés aux brigades de remplacement (75 postes sur 190 pour être précis) serait ponctionnée pour concrétiser la promesse des CP à 12 . Le non remplacement des enseignants absents, véritable fléau dans ce département, a donc toutes les chances de revenir en force dès l’automne prochain.
Pour Rachel Schneider, secrétaire départemental du syndicat majoritaire SNUIPP93, le problème est même plus vaste. Baisser les effectifs sur le seul niveau CP pose de nombreuses questions. Aucun poste supplémentaire n’a en effet été prévu et budgété pour une réforme qui de fait n’entrait pas dans les plans de la précédente majorité. Baisser les effectifs en CP, dans un contexte de hausse démographique, impliquera donc nécessairement une augmentation des effectifs dans tous les autres niveaux de classe. Comme un aveu, l’administration prévoit d’ailleurs d’en ouvrir 46 en seine-Saint-Denis à la rentrée prochaine mais dans le même temps en fermerait 47. Les syndicats du département appellent donc à la grève vendredi 23 juin (voir ici).
Un slogan ne fait pas une politique
Les finalités sont aussi problématiques. Le slogan « 100 % de réussite en CP » est certainement opérant pour gagner des élections mais beaucoup moins pour vaincre l’échec scolaire. Une telle promesse, digne d’un commercial tout droit sorti de l’ESSEC, fait porter une responsabilité particulièrement lourde sur les seules épaules des enseignants de CP. Outre le fait que cela induit que certains enseignants auraient pu avoir par le passé comme objectif de faire échouer leurs élèves, qu’adviendra-t-il si l’objectif n’est pas atteint ? Comment vont réagir les familles à qui on fait cette promesse si par malheur leur enfant n’est pas devenu lecteur-expert à la fin du CP ?
Par ailleurs, M. Blanquer avait promu la méthode Syllabique à 100 % pour l’apprentissage de la lecture lorsqu’il était directeur général de l’enseignement scolaire des ministres de Robien et Darcos. Or, cette méthode, pour Rachel Schneider, « déjà mise en œuvre par 100 % des professeurs des écoles », ne suffit pas pour atteindre un plein niveau de maîtrise de la lecture. Il faut selon elle y « adjoindre de éléments de compréhension de l’écrit ». Or ce deuxième niveau d’apprentissage demande du temps et justifie à lui seul l’existence des cycles (en l’occurrence le cycle 2 qui englobe le CP, le CE1 et le CE2). Cette progressivité est totalement niée par le slogan du ministère et risque donc fort de pousser les enseignants de CP à recentrer à nouveau les apprentissages sur la seule méthode syllabique pour répondre à la commande institutionnelle, or savoir déchiffrer et lire un texte ne suffisent pas à le comprendre. Les enfants des milieux défavorisés, contrairement à ceux issus de milieux plus privilégiés, lisent des mots qui n’éveillent pas toujours en eux d’images mentales.
A l’école du paravent
Enfin, le problème des locaux, très tôt soulevé par la communauté éducative, est solutionné de manière expéditive. Partout où des salles inoccupées existent, tout va bien, mais ailleurs, soit dans la grande majorité des cas, les enseignants devront partager leur salle avec un collègue. La proposition de la fraîchement élue député Anissa Khedher d’installer des paravents dans les classes (voir ici) est sérieusement envisagée par plusieurs communes de Seine-Saint-Denis nous dit Véronique Decker, directrice d’école à Bobigny et auteur de « l’école du peuple ». Elle ajoute que « notre ministre comme M. le président ne connaissent pas les écoles publiques et encore moins celles des quartiers populaires, eux qui sont passés par des établissements privés ». Ce serait « leur non-attachement à cette école publique » qui expliquerait selon elle qu’ils considèrent comme opérant que deux professeurs enseignent à deux classes dans la même salle pour apprendre à lire. Ou alors, et ce ne serait pas le moindre des paradoxes à l’heure où l’autonomie et l’expérimentation sont célébrées par notre nouveau ministre, cela reviendrait finalement à maintenir le principe des PDMQDC sans le dire, mais en les assignant d’autorité à la seule classe de CP.
Nous l’aurons compris, le nouveau gouvernement veut aller vite, y compris dans le domaine éducatif pour lequel, on le sait, seul le temps long permet de juger de l’efficacité des réformes mises en œuvre. Mais dans le cas de cette mesure des CP à 12 et surtout de la promesse des 100 % de réussite en CP, nul besoin d’attendre pour savoir qu’on est déjà en marche… vers la déception et la contestation.