par Collectif Ni Una Menos
Au sein des mouvements sociaux s’opposant au gouvernement argentin, qui met en place des attaques ultra-libérales, les mouvements féministes font entendre une voix particulière faisant le lien entre le poids de la dette qui pèse sur les femmes et les violences sexistes qu’elles subissent.
Après l’appel à la grève des femmes du 8 mars, le mouvement Ni Una Menos appelle à se mobiliser devant la banque centrale pour dénoncer le nouveau cycle d’endettement provoqué par les politiques du gouvernement dirigé par l’Alliance Cambiemos.
À relire ici nos articles sur la dette.
Pourquoi la Banque Centrale ?
Le 10 mai, alors que nous faisions corps, collectivement, sur la Place de Mai pour manifester notre contrepouvoir contre l’impunité des crimes du terrorisme d’Etat, le gouvernement argentin de l’Alliance Cambiemos a engagé la vie des générations futures en contractant une dette de plusieurs milliards de dollars. De même que la dernière dictature civilo-militaire s’était autorisée à le faire au prix du sang, en perpétrant torture, enlèvements, disparitions, exterminations et vols d’enfants. Les génocides et leurs complices faisaient taire toutes les voix dissidentes, et en usurpant le gouvernement ils endettaient le pays, confisquaient la force de travail et de production au service du capital financier. Au moment même où nous dénoncions l’impunité des génocidaires défendue par le gouvernement actuel, il nous endettait à nouveau. Cette simultanéité de faits nous oblige à crier : la dette est une autre forme de violence qui met nos vies en danger.
Depuis que le Gouvernement de l’Alliance Cambiemos est arrivé au pouvoir en Argentine en décembre 2015, un nouveau cycle d’endettement a commencé, approchant les 77 milliards de dollars. On estime que le montant extravagant de cette dette représentera 60% du PIB à la fin 2017.
Nous, femmes, apprenons au quotidien ce qu’être endettées veut dire, et nous le savons parfaitement. Nous savons que les dettes nous empêchent de dire non quand nous voulons dire non. Nous savons que la dette de l’Etat finit toujours par retomber sous forme d’assujettissement sur nous. Sur nos enfants. Sur nos petits-enfants. Et qu’elle nous expose à une précarité encore plus importante et à de nouvelles violences.
Afin de contracter cette dette, l’Etat promet plus de flexibilité dans le travail et une nouvelle réduction des dépenses publiques, ce qui retombe singulièrement sur les femmes. De plus, nous sommes usagères, que l’on le veuille ou non, du système financier : on nous a poussées à ouvrir des comptes en banque de manière compulsive au cours des dernières années, au point que les allocations sociales sont devenues des ressources pour le système financier. En tant que responsables de familles, nous occupons une place centrale dans l’organisation et l’autogestion des réseaux de coopération.
Les corporations financières exploitent ces économies communautaires en faisant payer des commissions sur les allocations et les salaires, et en appliquant des taux d’intérêt exorbitants pour des emprunts, des cartes de crédit ou des microcrédits. Mais c’est cette carte de crédit qui nous permet de fêter un anniversaire, avec cet emprunt qu’on peut faire une nouvelle chambre, ou avec ce microcrédit que nous cherchons à monter un projet qui nous permette de survivre. Et ainsi nous passons nos soirées à faire nos comptes. Cette comptabilité quotidienne, c’est ce que les politiques financières tendent à rendre abstrait ; mais nous les femmes engageons notre corps à chaque fois que nous devons jongler pour arriver à la fin du mois.
Obligées de payer la dette sous peine de tout perdre, comment pourrait-on dire stop à la violence machiste quand le moindre déséquilibre dans la fragile structure économique qui est la nôtre nous jette dans une tempête ? Si nous allons dans un lieu d’accueil pour échapper à une situation de violence et survivre, comment paierons-nous nos factures le lendemain ? Le système financier, à travers la dette, constitue une forme d’exploitation directe de la force de travail, de la puissance vitale et de la capacité d’organisation des femmes chez elles, dans leurs quartiers, sur les territoires. La violence machiste s’exerce avec d’autant plus de force avec la féminisation de la pauvreté et le manque d’autonomie économique entrainé par l’endettement.
Le mouvement de femmes s’est renforcé comme un acteur social solidaire dynamique et transversal capable de mettre en scène les différentes formes d’exploitation économique. Nous ne sommes pas de simples victimes justement parce que nous pouvons rendre compréhensibles les formes d’exploitation qui s’exercent sur nous et les modes d’action collective contre ces dépouillements. Avec les deux grèves de femmes que nous avons réalisées en moins d’un an, en lien avec les femmes syndicalistes, nous sommes parvenues à mettre à l’ordre du jour et à relier entre elles les revendications pour un travail formel et celles des mouvements de chômeuses, celles des économies populaires et la revendication historique de la reconnaissance des tâches non rémunérées que nous réalisons, nous les femmes, ainsi que la politisation du soin avec la reconnaissance du travail autogéré.
Dans ce cadre, il nous semble nécessaire de rendre compte des formes renouvelées d’exploitation qui appauvrissent nos conditions de vie et précarisent nos existences, et qui constituent le cadre dans lequel le chiffre de féminicides a été multiplié par deux. Ces deux chiffres sont intimement liés.
Pour donner corps à ce cri, nous proposons de réaliser une action à la porte de la Banque Centrale, ayant pour objectif de faire connaitre le conditionnement de nos vies qu’implique l’endettement, et de dénoncer les politiques financières que le gouvernement de l’Alliance Cambiemos est en train de mettre en place, clairement allié au capital financier. Ces revendications s’articulent avec celles portant sur les conditions de travail des travailleuses bancaires. Cette alliance est un point clé : on fait corps justement entre les travailleuses du système bancaire et ses usagères, ce corps que l’argent prétend ne pas avoir. L’entrée de la Banque Centrale sera fermée de manière symbolique, et une banderole sera déployée portant le slogan « DesendeudadasNosQueremos ». Par ailleurs nous distribuerons des tracts au même endroit, afin de faire connaitre les conséquences de ces politiques financières. Le lendemain, lors de la manifestation du 3 juin, nous projetterons les chiffres actualisés de la dette sur les bâtiments publics de Buenos Aires.
#DesendeudadasNosQueremos : Nous nous voulons, nous nous aimons désendettées.
Traduction : Marie Bardet