Trois ans jour pour jour après l’enlèvement de 276 jeunes lycéennes à Chibok, une localité dans le nord-est du Nigeria, 195 d’entre elles sont toujours portées disparues. Mais cet enlèvement de masse semble aujourd’hui être tombé dans l’oubli. Cette question suscite peu d’intérêt des Nigérians, qui sont davantage préoccupés par la récession qui les affecte au quotidien.
A Lagos, le groupe local du collectif #BringBackOurGirls est pile à l’heure ce jeudi pour son rendez-vous avec le gouverneur Akinwunmi Ambode. Tout de rouge vêtus, ils ont convergé vers le quartier d’Alausa, le siège de l’Etat de Lagos.
« On nous a informés qu’il fallait patienter un peu. Que quelqu’un allait sortir. Nous sommes là, nous chantons, nous parlons. C’est très important, parce que pour nous les enfants sont précieux, vraiment précieux », confie Habiba Balogun, à la tête du cortège.
L’accès au palais du gouverneur est bloqué par un cordon de policiers en tenue et des barrières métalliques. Des agents en costume se rapprochent, talkie-walkie à l’oreille.
Puis arrivent deux émissaires du gouverneur de Lagos. Habiba les interpelle : « Je sais que vous ne nous considérez pas comme des criminels. Mais qu’est-ce qui fait que maintenant on ne nous donne plus accès au gouverneur comme auparavant ? »
L’un des deux hommes transmet le message officiel du gouverneur. « Notre sincère sympathie, en tant qu’Etat confédéré, va aux familles de ces filles. Et cela me conduit à vous dire, que le gouvernement fédéral et spécialement sous la présidence de Muhammadu Buhari n’a pas économisé ses efforts pour leur libération », assure Seye Oledejo, commissaire aux affaires spéciales.
Dans les rangs des manifestants, Ayo Obe est cependant loin d’être convaincue. Elle est mobilisée depuis trois ans pour la libération des lycéennes de Chibok.
« Quand vous n’avez pas de réseau, quand vous êtes pauvre, le message est vous devriez disparaître. Vous devriez emporter avec vous vos problèmes et ne pas déranger les autorités. Ce gouvernement pense que cette affaire va être mise sous le tapis. C’est la même chose que sous le gouvernement précédent », dénonce-t-elle.
Un manque d’informations
Trois ans après l’enlèvement des lycéennes de Chibok, c’est avec amertume que les familles de victimes tentent de sensibiliser les Nigérians. Pendant une semaine, le collectif #BringBackOurGirls était ainsi en campagne à Abuja, Lagos et Maiduguri. Ce vendredi, le collectif organise une conférence avec l’émir de Kano, très sensible au sort des jeunes disparues.
Mais de manière générale, « nous n’avons pas d’informations sur les filles kidnappées par Boko Haram », affirme Allen Manasseh, un des membres du mouvement. Ce manque d’information pèse sur les familles de victimes, laissant place à une série d’interrogations et de doutes.
« Les 21 lycéennes libérées en octobre dernier sont enfermées par les services secrets qui continuent de les interroger », dénonce un membre du collectif. Ce père de famille déplore le manque de communication des autorités autour de leur santé physique et morale. « Comment vont-elles ? Quel type d’éducation leur inculque-t-on ? » s’interroge cette source.
De son côté, Amnesty International profite de ce triste anniversaire pour interpeller le gouvernement sur la sécurité de ces nombreuses autres jeunes filles enlevées de force par Boko Haram. L’ONG a documenté 41 cas d’enlèvements massifs depuis 2014. Des enlèvements qui n’ont, selon Amnesty, pas du tout été médiatisés et peu évoqués par les autorités nigérianes.