Alors que la Corée du Nord continue de défier la communauté internationale, l’une des étapes clés pour prévenir la prolifération des armes nucléaires et renforcer le processus de désarmement nucléaire reste l’entrée en vigueur du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE). La France a un rôle crucial et une voix particulière sur ce sujet.
Plus de vingt ans après son dernier essai nucléaire, le 27 janvier 1996, la France doit désormais s’emparer pleinement de ce dossier et convaincre les Etats, et particulièrement les Etats-Unis, qui restent pour le moment au bord de la route.Après 210 essais nucléaires (50 atmosphériques, 160 souterrains) réalisés dans le Sahara et en Polynésie, le 6 avril 1998, la France devenait la première puissance nucléaire, avec le Royaume-Uni, à ratifier le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE). Dans la foulée, la France était la première puissance nucléaire – et la seule à ce jour – à démanteler irréversiblement son site d’essais.
Ce Traité, aboutissement d’années d’efforts de la communauté internationale comme étape cruciale de la non-prolifération et du désarmement nucléaires, a célébré ses vingt ans sans pour autant être entré en vigueur. À qui la faute ? Probablement aux négociateurs bien intentionnés qui entendaient inclure dans l’interdiction les 44 pays clés dotés d’une capacité nucléaire, mais qui ont ainsi fait cadeau d’un droit de veto à ses détracteurs. En effet, afin que le Traité puisse juridiquement entrer en vigueur, manquent toujours à l’appel la ratification des Etats-Unis, de la Chine, de l’Égypte, de l’Iran, d’Israël, de l’Inde, du Pakistan et de la Corée du Nord.
Nombre d’experts sont d’avis que la ratification par les Etats-Unis serait de nature à faire jouer la théorie des dominos et entraîner celle de la Chine. Pour le Moyen-Orient, une ratification simultanée de l’Egypte, de l’Iran et d’Israël est réaliste, et Lassina Zerbo, le Secrétaire exécutif de l’Organisation du Traité pour l’interdiction complète des essais nucléaires (OTICE), s’y emploie. Resteraient le cas de l’Asie du Sud (qui serait facilité par une ratification américaine et un geste de Washington à l’égard du Pakistan pour compenser l’accord de coopération nucléaire américano-indien), et celui, plus problématique, de la Corée du Nord, qui ne se règlera pas uniquement à coup de sanctions, mais dans le cadre de négociations multilatérales sur le modèle réussi de l’accord avec l’Iran.
Les Etats-Unis sont à l’origine de la déclaration (Washington, 26 septembre 2016) des cinq Etats dotés de l’arme nucléaire parties au Traité de Non-Prolifération nucléaire (TNP), dans laquelle ils s’engagent « à œuvrer en faveur d’une ratification et d’une entrée en vigueur rapides du [TICE] et [demandent] instamment à tous les États qui ne l’ont pas fait de signer et ratifier [ce] traité ». L’administration Obama, comme celle de Bill Clinton, qui avait signé le TICE en 1996, était favorable à sa ratification, mais elle s’est heurtée à la majorité républicaine du Sénat, qui lui reste hostile. Avec le président Trump, le défi de la ratification sera encore plus difficile à surmonter, mais, en joignant ses efforts à ceux du Royaume-Uni, la France ne saurait laisser passer une occasion de convaincre la nouvelle administration.
Les arguments en faveur d’une telle ratification ne manquent pas. Les craintes des Républicains, au-delà des réticences idéologiques envers toute approche multilatérale, portent sur les capacités du système de vérification du Traité. Or, grâce aux contributions des pays signataires, y compris des puissances nucléaires dont les Etats-Unis (et même la Chine), l’OTICE a démontré son aptitude à détecter avec précision et à analyser les essais de la Corée du Nord, seul pays à défier encore la norme d’interdiction. En effet, le Système de surveillance international appuyé sur le Centre international de données et des inspections sur place a apporté la preuve de son efficacité : sur les 321 stations de contrôle prévues, 284 (soit 90%) sont certifiées et opérationnelles et 51 sont en cours d’installation ou planifiées. La France y contribue au moyen de 16 stations (sismiques, à infrasons, hydroacoustiques et à radionucléides), de 4 dispositifs à gaz nobles, et d’un laboratoire à radionucléides, couvrant ainsi tout le spectre des technologies disponibles de détection. Ce système de vérification concourt aussi à la stabilité régionale en contribuant sensiblement à instaurer un climat de confiance.
Dans les colonnes du Monde il y a un an, le Secrétaire exécutif de l’OTICE lançait un appel à la France afin qu’elle use de son influence auprès des huit pays clés qui bloquent toujours l’entrée en vigueur du Traité. Si, comme l’affirmait le président François Hollande dans son discours d’Istres du 19 février 2015, la « première priorité [de la France] demeure l’entrée en vigueur au plus tôt du [TICE] », alors elle se doit de redoubler d’efforts pour convaincre principalement les Etats-Unis « que la renonciation complète, irréversible aux essais nucléaires [est] compatible avec le maintien d’une dissuasion crédible ». Washington doit donc être une priorité pour la France, non seulement pour ses diplomates et ses militaires, mais aussi pour ses experts et ses parlementaires, qui doivent distiller ce message auprès de leurs pairs. La France doit expliquer et faire valoir son expérience pour créer une pression positive, remplissant par là-même ses obligations, puisque, selon le TNP, le désarmement et la non-prolifération nucléaires sont une tâche globale et une responsabilité collective.
La France est donc un acteur clé de ce processus, comme le montre son rôle actif dans la négociation du Traité et au sein de l’OTICE. Parmi les arguments qu’elle doit développer avec vigueur figure celui de la simulation. Cette technologie avancée permet de garantir la sûreté et la fiabilité des ogives nucléaires sans recourir à des essais grandeur nature dont l’histoire a montré les dangers pour les populations et l’environnement. Les Etats-Unis, comme la France, maîtrisent suffisamment cette technologie pour pouvoir renoncer définitivement aux essais explosifs.
Le renforcement de la norme d’interdiction des essais nucléaires constitue l’une des étapes généralement considérées comme les plus réalistes vers le désarmement nucléaire. Une avancée de Washington vers l’entrée en vigueur du TICE ne permettra pas, à elle seule, de parvenir à un monde libéré des armes nucléaires. Mais ce pas décisif permettra, peut-on espérer, de faciliter le dialogue entre les puissances nucléaires et le reste de la communauté internationale, qui s’apprête à négocier, aux Nations unies d’ici juillet 2017, un traité d’interdiction des armes nucléaires.
Une Tribune que j’ai signée avec Marc Finaud, Ancien diplomate français, Conseiller principal du Centre de Politique de Sécurité de Genève (GCSP).