Dans cet entretien, le collectif espagnol des Humanistes pour le Revenu de Base Universel nous éclaire sur sa position par rapport à cette proposition, dont on parle de plus en plus chaque jour et dans un plus grand nombre de pays.

« Les Humanistes pour Le Revenu de Base Universel » est une des organisations les plus actives en ce moment pour la défense du RBUI.

Qu’est-ce que le RBUI ?

Nous nous alignons sur la définition donnée par le BIEN (Basic Income Earth Network) et avec eux, nous souhaitons différencier radicalement ce revenu des autres types de revenus, qui sont appelés également Revenus de Base, comme les revenus minima, les revenus d’insertion, etc. Le RBUI s’en différencie, par-dessus tout, par son caractère d’inconditionnel et d’universel.

Un RBUI est une contribution économique de la part de l’administration à tous les résidents d’un territoire déterminé. Elle se doit d’être inconditionnelle, individuelle, universelle, et suffisante. Selon la définition établie lors du dernier congrès du BIEN (Séoul juillet 2016), « le RBUI sera suffisamment élevé pour que, en combinaison avec les autres services sociaux, il contribue à une stratégie politique, déterminée à éliminer la pauvreté matérielle, et à faciliter la participation sociale et politique de chaque individu. Nous nous opposons à le voir comme un remplacement des services sociaux, car qui dit remplacement dit aggravation de la situation de la population » [1].

Pour les Humanistes, le RBUI est un droit de tout être humain, par le seul fait d’être né dans un milieu social qui a suffisamment de ressources pour garantir l’existence de tous. C’est de plus un outil pour la redistribution des richesses, lesquelles sont le fruit de l’accumulation des efforts de générations et générations d’êtres humains.

Quel sera le coût de sa mise en place ? Est-il possible de le financer ?

Chaque fois que nous parlons du coût de quelque chose, nous tenons pour acquis que nous nous référons à un coût économique. D’un point de vue humaniste, ce qui est réellement important c’est le coût humain. Nous pourrions plutôt nous demander quel serait le coût en vie et en souffrance de la non mise en place du RBUI : quel coût en termes d’angoisse et de maladies si on renonce au meilleur vaccin contre la pauvreté ? Nous sommes habitués à tout mesurer d’un point de vue mercantile et matérialiste, mais de notre point de vue, la cohérence personnelle et la solidarité avec les autres sont plus précieuses. Il y a plus d’intérêt à se demander comment nous voudrions être traités si nous nous retrouvons en état de pauvreté et de précarité.

En ce qui concerne sa viabilité économique, son coût serait tout à fait gérable en ce moment, selon l’étude réalisée pour le royaume d’Espagne par des économistes du Réseau du Revenu de Base [2]. Il suffirait d’une réforme de l’impôt sur le revenu, en supprimant avant tout les déductions fiscales, établissant un impôt unique de 49%, ce qui produirait un transfert de capital des 20% les plus riches vers les 80% restants. Avec ceci, les riches resteraient riches (peut-être un peu moins) et les pauvres cesseraient de l’être. En termes comptables, cela signifierait augmenter le recouvrement de 35 000 millions d’euros, rien à voir avec les chiffres exorbitants avancés par les opposants du RBUI. Pour nous faire une idée, 35 000 millions d’euros c’est moins que ce qu’a coûté le sauvetage des banques, cela représente une augmentation de 3,5% des recettes fiscales par rapport au PIB. Rappelons-nous que l’Espagne a un niveau de  recettes fiscales de 8 points inférieur à celui de l’Europe, ce qui laisse une certaine marge d’action. Ceci est une proposition financière, il peut y en avoir d’autres, sans parler de l’économie que constituerait l’élimination de la fraude fiscale et des paradis fiscaux. De ce fait, la viabilité du RBUI est plus une question de changement des mentalités et de la société et une décision politique, qu’une question économique.

Jusqu’à présent, ont pesé lourd sur les partis politiques tant la crainte de possibles coûts électoraux que la pression des pouvoirs économiques, lesquels logiquement feront tout ce qui est en leur pouvoir pour s’opposer à sa mise en place. Pouvoirs qui actuellement, n’hésitent pas à utiliser leurs partis politiques et leurs moyens de communication fantoches pour discréditer le RBUI et rassembler contre lui l’opinion publique. De notre point de vue, le coût de la confrontation politique qu’entrainerait une lutte pour le RBUI mérite d’être assumé, pour l’économie qu’elle nous permettra de faire en termes de souffrance sociale.

Une critique adressée au RBUI est qu’il inciterait les gens à cesser de travailler

Ceci, plus qu’autre chose, est un préjugé. La réponse apportée par les personnes interrogées sur leur intention de cesser de travailler s’ils percevaient le RBUI est pour le moins curieuse : la majorité répond que même si elle recevait le RBUI, elle n’arrêterait pas de travailler, mais pense néanmoins que les autres arrêteraient de travailler. Le fait que la plupart des personnes répondent qu’ils continueraient de travailler vient du fait que le RBUI est compatible avec un travail rémunéré (c’est à dire, qu’on continue de le percevoir même si on travaille), alors que les revenus conditionnés s’arrêtent dès que l’on retrouve un emploi.

En tout état de cause, il convient de se poser la question si pour 650€, on arrêterait de travailler. Et on devrait aussi se demander ce que l’on entend par travail.

Si par travail, on veut parler de toute activité que nous entreprenons dans ce monde pour le transformer et le rendre meilleur, nous approcherions de quelque chose de fondamental comme le sens de la vie humaine, alors de ce point de vue il est absurde de penser qu’on resterait toute la journée dans son canapé pour 650 €, renonçant à interagir avec le monde et avec les autres.  En fait, on renoncerait à être heureux. Ce que nous obtenons avec le RBUI c’est la liberté d’accepter ou non certains emplois et d’en négocier les conditions. De ce fait, nous obtenons une plus grande liberté de choisir un emploi qui corresponde à nos goûts, ou de nous associer avec d’autres personnes en coopératives ou autres modèles de travail associatif, parce que nous avons la sécurité offerte par le RBUI. Et enfin, recevoir le RBUI nous permettrait de prendre le temps d’avoir des activités créatives, bénévoles ou associatives, nécessaires pour soi et pour la société, sans pour autant être rémunérés.

Un autre thème source de crainte, avant tout parmi les plus haut placés, est la question de savoir qui occuperait les emplois les plus pénibles et les moins bien rémunérés. Ceci, d’un point de vue moral, est inacceptable, car en exigeant que d’autres fassent le travail que personne ne veut faire nous sommes en présence d’un régime de semi-esclavagisme. C’est de l’exploitation de maintenir des personnes dans l’impossibilité de changer d’emploi et de refuser des salaires si faibles. Avec le RBUI, beaucoup de ces travaux de merde disparaitraient, certains effectués par des machines et pour ceux qui ne pourraient être automatisés, il faudra mieux les répartir ou leur attribuer une meilleure rémunération. Ensuite, il y a ceux qui pensent qu’en échange du RBUI, les personnes devraient exécuter une quelconque prestation pour la société, règlementée par l’Etat. Pour nous, cela démontre un total manque de confiance en l’être humain, propre aux idéologies totalitaires d’autres époques.

Est-ce qu’établir un revenu de base universel et inconditionnel pourrait signifier la suppression d’autres droits sociaux, tels que l’éducation et la santé gratuites, comme le suggèrent certains économistes et entrepreneurs liés aux startups de la Silicon Valley?

En effet, plusieurs entrepreneurs liés aux startups de la Silicon Valley, dans la perspective d’un avenir sans emploi, soutiennent l’attribution d’un revenu de base pour tous les individus, mais en retirant toutes les autres allocations, telles que celles de chômage, aides contre l’exclusion sociale, pour l’éducation, la sante, etc [3]. Autrement dit, le RBUI serait le seul versement mensuel que les personnes recevraient et elles devraient payer de leur poche tous les autres frais. Nous, au contraire, adhérons à la définition établie par le BIEN dans son congrès de juillet 2016 à Séoul, que nous avons rappelée dans notre réponse à la première question : « Qu’est-ce que le RBUI ? ». C’est à dire que dans notre conception, le RBUI ne va pas se substituer aux autres dépenses sociales de l’Etat-providence, telles que la santé ou l’éducation publique et gratuite. De fait, pour son financement, le RBUI ne touche à aucun budget dédié aux autres charges sociales, mais passe par l’augmentation de la fiscalité.

Si le RBUI bénéficie également aux immigrés, est ce qu’il n’y aura pas un afflux vers l’Espagne ?

En premier lieu, nous devons dire que personne ne quitte sa terre et ses proches sans une extrême nécessité. Dans un deuxième temps, nous reconnaissons le droit à la libre circulation des personnes et le droit à obtenir un refuge, qui assure à chacun une existence matérielle et le respect de leurs droits fondamentaux. Plutôt que d’un effet d’appel, on devrait parler d’un effet coup de pied, parce que les gens sont expulsés de leur terre par les effets de la guerre et de la pauvreté. De ce fait, nous devrions envisager une solution à ce problème séparément de la question du RBUI. Il est hypocrite de parler des bénéfices qu’obtiendraient les immigrés, alors qu’en réalité les lois actuelles les empêchent de bénéficier des mêmes droits que ceux qu’ils obtiendraient s’ils devenaient des nationaux. Avant de se demander si les immigrés doivent ou non percevoir le RBUI, nous devrions considérer comment modifier les lois pour qu’elles respectent les droits de la personne, et comment modifier les relations de pillage de leurs pays d’origine, pour les transformer en relations internationales de collaboration. D’un autre côté, nous pensons que le RBUI devrait être instauré dans tous les pays, parce qu’ainsi les personnes n’auraient pas besoin de quitter leur terre d’origine pour des motifs de grave carence matérielle.

N’est-il pas injuste que les riches perçoivent aussi le RBUI ?

Le RBUI doit être considéré comme un droit fondamental et universel  et il cesserait de l’être si nous devions discriminer une partie de la population pour quelque raison que ce soit. Dans ce cas, nous ne ferions que donner des arguments à ceux qui le critiquent et augmenter les difficultés de sa mise en place. D’un autre côté, nous ne devons pas oublier qu’avec la proposition de financement du RBUI, 20% de la population la plus riche transférerait du capital en faveur des 80% restants. Plus les gens seront riches, plus ce transfert sera important. Des 35 000 millions d’euros, plus ou moins, que coûterait son financement, 21 000 millions seraient fournis par les 5% les plus riches, sans pour autant cesser d’être très riches.

Est-ce que la mise en place du RBUI n’entrainerait pas la fuite des capitaux ?

Une autre crainte qui surgit est celle de la possible fuite des entreprises et des capitaux vers d’autres zones plus profitables. C’est exactement ce qui se passe en ce moment, alors que le RBUI n’est pas en place, justement parce que la valeur du capital prévaut sur le bien-être des personnes. Cette objection, en plus d’être d’une immoralité radicale, ne pourra pas être avancée longtemps, puisque les conditions de travail et d’investissement s’égalisent partout, et bientôt il ne restera plus de sites plus rentables où transférer le capital. D’autre part, il n’est pas démontré que cette tendance pourrait s’accentuer avec le RBUI, puisque nous avons connu des périodes où les impôts étaient bien plus importants qu’aujourd’hui. Par exemple, après la seconde guerre mondiale, les États-Unis ont imposé jusqu’à 90% les grandes fortunes, et cependant il n’y eut pas de fuite de capitaux parce que les perspectives commerciales étaient très bonnes. De plus, il est impératif d’augmenter les moyens de contrôler l’évasion fiscale et de légiférer pour la disparition des paradis fiscaux.

Pourquoi dit-on que le RBUI donnera plus de liberté ?

Pour nous, la liberté est la possibilité de pouvoir choisir entre différentes situations, et le RBUI permet aux personnes de décider ce qu’elles veulent faire de leur vie. Sans le RBUI, pour de nombreuses personnes les options se limitent à choisir entre mettre toute son énergie à survivre ou à se laisser mourir. Si nous éliminons la pauvreté et la peur de tomber dans la pauvreté, qui est une des plus grandes craintes de l’être humain, les possibilités de choix s’améliorent énormément. Avec le RBUI, le travailleur a davantage le choix de refuser des emplois inhumains ou de négocier les conditions de son travail. Pour les femmes victimes de maltraitances, il leur permettra de s’émanciper. Il permettra de réduire les inégalités entre les sexes, et donnera aussi aux femmes la liberté d’envisager de faire ce qu’elles veulent de leur vie. Pour les jeunes, surtout pour les plus défavorisés d’entre eux, il leur donnera la liberté de pouvoir choisir ce qu’ils veulent étudier et quand ils veulent le faire, en plus de leur permettre d’opter pour un emploi dans de meilleures conditions. Le RBUI mettrait fin sans délai à la pauvreté, et aux contraintes qu’elle implique, en plus de réduire de façon significative la délinquance, comme l’ont montré toutes les expérimentations pilotes qui ont été menées. Finalement, de notre point de vue humaniste, le RBUI fournirait à l’être humain les conditions pour envisager un sens à sa vie.

En définitive, nous aurions une société plus saine, plus humaine et plus heureuse.

On dit que le RBUI améliorerait le monde où nous vivons…

En plus d’éradiquer la pauvreté et de construire une société plus égalitaire et plus juste, le RBUI entrainerait la suppression de la violence économique, qui est mère de beaucoup d’autres formes de violence, telle que la violence physique, psychologique, raciale, sexuelle, etc. La violence à tous les niveaux est le plus grand handicap dont a souffert et continue de souffrir l’humanité et qui l’empêche d’avancer vers un monde adapté aux besoins de chacun. De plus, l’augmentation croissante de la violence met en péril la vie et le futur de toute notre espèce. Il est urgent d’adopter des mesures contre la violence économique, physique, raciale, religieuse, psychologique, morale, sexuelle, etc…, y compris toute atteinte à la vie sur notre planète, si nous voulons avancer vers un état plus évolué du genre humain.

 

Article traduit de l’espagnol par Trommons.com. Révision de Jean-Marc Dunet.

 


[1] BIEN’s Clarification of UBI, 29 octobre 2016, par Toru Yamamori.

[2] “Un modèle de financement du Revenu de Base pour l’ensemble du Royaume d’Espagne : c’est possible et raisonnable”, par Jordi Arcarons, Antoni Domènech, Daniel Raventós et Lluís Torrens. Et aussi : “Le Revenu de Base inconditionnel et comment on peut le financer. Commentaires pour les amis et ennemis de la proposition”, par Jordi Arcarons, Daniel Raventós et Lluís Torrens.

[3] “Pourquoi dans la Silicon Valley on envisage le revenu de base (et pourquoi c’est logique)”.