Les récents évènements en Corée du Sud ont fait la une des médias mondiaux. Intérêt justifié par l’ampleur des manifestations de rejet de masse de la Présidente. Pour autant les motifs de cette opposition massive et pacifique sont-ils convaincants ?

Cette question surgit nécessairement quand on constate que les forces de police sud-coréennes supérieurement équipées et allant facilement au contact et souvent de façon assez rude avec les manifestants sont restées très discrètes. Les manifestations seraient donc une réaction à des accusations de corruption de la présidente et de son entourage.

Or, tous les observateurs impartiaux, tous les diplomates étrangers en poste à Séoul savent que la corruption est consubstantielle avec le miracle économique sud-coréen qui a fait d’un petit pays agricole pauvre en 1953 la douzième économie mondiale. Les Chaebols, ces grandes entreprises, les Hyundai, Daewwo, LG, Samsung, Hanjin et autres qui vendent aujourd’hui dans le monde entier ont un pouvoir d’influence considérable sur le gouvernement sud-coréen quelles que soient ses orientations. Très exactement un capitalisme monopoliste d’Etat où l’Etat au service des monopoles capitalistes nationaux.

Dans ce contexte une accusation de corruption qui soudainement crée une crise politique au plus haut niveau, est-elle un évènement inattendu, un mouvement d’humeur incontrôlé dans une société disciplinée ? Lors de la campagne électorale pour les présidentielles de 2012 tant Mme Park que son adversaire de centre gauche avaient annoncé une ferme volonté d’agir contre la corruption.

Pour tenter de répondre à cette question il convient de revenir sur la personne de la présidente destituée et sur son histoire.

Elle est la fille de Park Chung Hee. Ce militaire issu d’un milieu modeste commence sa carrière dans l’armée japonaise au Mandchoukouo. Sorti de formation en 1944, il est libéré après la capitulation le 2 septembre 1945 avec le grade de sous-lieutenant. Il a 28 ans. Il travaille dans la police puis rejoint l’armée coréenne. Mais lorsque la ligne de démarcation au 38° parallèle est mise en place il est chassé de l’armée car il est à l’époque adhérent au parti sud-coréen des travailleurs et donc considéré comme communiste. Mais il est réintégré dès  le début de la guerre dans l’armée sud-coréenne et suivra aux Etats-Unis une formation militaire d’un an pendant la guerre. Il en ressort avec le grade de général de brigade.

Ce jeune général a des ambitions politiques. A la suite du renversement du président /dictateur Syngman Rhee par d’imposantes manifestations étudiantes, un gouvernement est élu. D’abord restée passive, l’armée renverse ce gouvernement et Park Chung Hee s’attribue bientôt tous les pouvoirs. Il gouverne le pays d’une main de fer pendant 18 ans de 1961 à 1979. Il lance un programme d’industrialisation sous l’état d’urgence, réprimant tous les troubles sociaux engendrés par la brutalité du processus de développement. Il s’agit d’un programme national sous des barrières douanières élevées et avec une forte limitation des libertés publiques, y compris syndicales. Il va finir assassiné par Kim Jae Kyu le chef des services secrets de la KCIA, la CIA coréenne. Pas un assassinat clandestin et commandité, non, des coups de revolver au milieu d’une réunion de travail de l’équipe présidentielle, comme un règlement de comptes entre mafieux.

La mort du général Park Chung Hee débouche sur une brève période de libéralisation mais, quelque mois plus tard, l’homme fort éliminé est remplacé par un autre homme fort, le général Chun Doo Hwan, qui poursuit la même politique. La population sud-coréenne, très sévèrement encadrée, n’intervient pas dans ces troubles violents circonscrits au sein de la direction politique d’un pays sous influence d’une armée étrangère sur puissante qui, même si elle est concentrée le long du 38° parallèle, reste une armée d’occupation effectuant chaque année avec l’armée sud-coréenne des manœuvres imposantes destinées à impressionner les pays voisins et en priorité la République Populaire et Démocratique de Corée (RPDK), sa voisine du Nord.

La fille du général Park est présente sur les lieux de l’assassinat de son père, comme elle l’était quatre ans plus tôt, le jour de l’assassinat de sa mère Yuk Young Soo, par un « sympathisant » nord-coréen rapidement jugé et exécuté. Depuis la mort de sa mère elle joue auprès de son père le rôle de « première dame ». L’accession de Madame Park Geun Hye à la présidence de la République de Corée en 2012 est celle d’un personnage du sérail accoutumé à ses violences, internes et externes, et parfaitement informé des rapports de force internationaux dans lesquels son pays est inséré, bon gré mal gré.

Elle a inévitablement une idée sur les raisons de la liquidation de son père et elle sait que la partition de la Corée est le déterminant principal de la position du tuteur étasunien. Or, il se trouve que vient d’arriver à la Maison Blanche un nouvel occupant, Jimmy Carter, dont la mission principale telle qu’elle lui a été confiée par l’oligarchie capitaliste dominante qui s’exprime au sein du Council of Foreign Relations est de tourner la page après la défaite vietnamienne, c’est-à-dire de donner à la politique impériale un visage moins martial. La Corée du Sud du général Park qui a envoyé au Vietnam plus de 300 000 soldats combattre aux côtés de l’armée Us y a été l’allié le plus fidèle et le plus engagé de Washington. Cette image avait donc besoin d’être gommée…

Les faits et gestes de Madame Park Geun Hye comme ceux de tout président sud-coréen ont été suivis avec la plus extrême attention par l’ambassadeur des Etats-Unis à Séoul et par le département d’Etat. Or, elle commet de leur point de vue un premier faux pas : une visite officielle à Beijing en 2013 où elle est accueillie par le Président Xi Jinping, qui fait ainsi progresser la politique chinoise à l’égard de la Corée. Il s’agit d’une politique qui pourrait être qualifiée d’équidistante. La Chine a pris conscience du fait qu’elle ne peut faire progresser la réunification de la Corée dans l’arène internationale que si elle ne s’appuie pas que sur la seule République Populaire et Démocratique de Corée. Ses liens avec celle-ci demeurent évidemment très étroits, mais toute solution diplomatique à la partition suppose l’établissement de liens confiants avec la Corée du Sud. Ils le sont déjà avec les Chaebols qui ont beaucoup investi en Chine, ils doivent être étendus à la sphère politique.

C’est tout le sens de la visite de Madame Park Geun Hye à Beijing. Message bien reçu à Washington dont les inquiétudes vont être confirmées et accrues par la participation de la présidente sud coréenne devant les caméras du monde entier à l’immense manifestation pékinoise de commémoration de la victoire des alliés en 1945 contre les puissances de l’Axe : Allemagne, Italie et Japon en Septembre 2015. A cette occasion Madame Park exprime le sentiment profond du peuple coréen, qu’il soit du sud ou du nord, face au colonisateur japonais qui est le facteur le plus décisif d’une future réunification.

Ce jour-là, la présidente a certainement franchi une ligne rouge diplomatique nettement tracée à Washington. Le temps n’étant plus aux assassinats directs de dirigeants politiques en voie de dissidence, Madame Park Geun Hye n’allait pas comme son père être abattue par un de ses collaborateurs. Il fallait donc mettre en place un dispositif de renversement de présidente de type brésilien, une crise « interne » manipulée avec des ingrédients spécifiques : d’abord la corruption qui bien qu’endémique et même constitutive du système sud-coréen peut toujours servir; puis l’apparition de l’élément maléfique, et en même temps très « people » : l’amie, la conseillère influente, la femme de l’ombre, corruptrice et corrompue elle-même, qui peut être réelle mais n’est connue que d’un cercle très étroit et n’est livrée en pâture à l’opinion publique par des médias bien soumis que sur décision prise au plus haut niveau.

Arguments destinés à masquer le motif profond de son élimination : la conférence de presse du 12 Janvier 2015 au cours de laquelle la présidente affirme qu’elle est prête à rencontrer Kim Jong Un sans conditions pour parler de l’avenir commun, ce qui est dans le droit fil de la politique chinoise et à l’exact opposé de celle d’Obama. La presse occidentale rappela alors que Madame Park Geun Hye s’était rendue à Pyongyang en 2002 pour y rencontrer Kim Jong Il alors qu’elle n’était que simple députée. Elle sentait déjà le soufre …

La couverture médiatique mondiale des manifestations hostiles à Madame Park Geun Hye qui vont déboucher sur sa destitution est là pour confirmer le déroulement d’une opération de remplacement de dirigeant « imposée par la rue », rue sud-coréenne à qui serait accordée soudainement une formidable liberté d’expression et de manifestation. Laquelle évidemment, on l’aura compris, ne saurait s’étendre à la question de la réunification du pays, sujet tabou.

 

Source : Comaguer, Bulletin n° 330- semaine 52 – 2016

Crédits : http://www.investigaction.net/quarrive-t-il-a-madame-park-geun-hye/