Gandhi, le père de l’Inde contemporaine, est surtout connu en Occident pour sa méthode de lutte originale en faveur de l’indépendance de son pays, la doctrine de la non violence. Cependant, au-delà des objectifs politiques tels qu’obtenir l’indépendance de l’Inde et maintenir l’unité du pays par le dialogue entre Hindous et Musulmans, la vision gandhienne est beaucoup plus large et profonde. Ses différentes facettes peuvent être mises en relation avec les idées modernes du développement durable telles qu’elles ont émergées depuis les années 70 et le rapport du club de Rome.
Les fondements de la pensée de Gandhi
La philosophie gandhienne s’inspire d’une expérience de vie basée sur une mise en pratique quotidienne de principes moraux mais aussi d’idées venues de la civilisation indienne – jaïnisme, bouddhisme, hindouisme – comme de la civilisation occidentale – Thoreau, Ruskin, Tolstoï.
Elle repose sur 5 principes, le Satyagraha englobant les autres notions :
- Le Swaraj / self-rule
La recherche de l’auto-gouvernance, la démocratie
- Le Swadeshi / self-sufficiency
La recherche de l’indépendance économique/ l’autosuffisance nationale et locale
- Le Sarvodaya/ Unto this last
La prospérité pour tous, la recherche de l’équité économique et sociale
- Le Satyagraha/ Truth force
La « Force de la Vérité », l’intégrité
- L’Ahimsa/ non violence
L’innocuité envers les être vivants, le souci de l’autre/des autres
De la pensée gandhienne au Développement Durable
Rappelons qu’aux 3 piliers traditionnels du Développement Durable que sont les piliers Economique, Social et Environnemental peuvent se rajouter les piliers de la Gouvernance, du Culturel et enfin celui de la dimension Nord-Sud.
Les cinq points de la doctrine de la Non Violence peuvent être mis en relation avec les 6 piliers du Développement Durable. Ils touchent en effet aux divers champs de la vie humaine en société :
– au champ social avec l’attention accordée aux dalits « intouchables » (sans remettre cependant en cause le système des castes, à la différence du Dr Ambedkar, défenseur des dalits et lui-même dalit), mais aussi aux femmes, par l’inclusion de ces dernières dans l’action politique et économique en faveur de l’indépendance.
La notion de Sarvodaya renvoie à la préoccupation envers les plus démunis et à la recherche de la parité dans les rapports de genre :
– au champ économique avec la recherche non seulement de l’indépendance économique du pays mais aussi de l’autonomie économique des communautés locales par la recherche de l’autosuffisance alimentaire, énergétique, etc.
La notion de Swadeshi peut être mise en relation avec la question de la souveraineté alimentaire voire avec celle de l’économie circulaire :
– au champ environnemental par la recherche de la sobriété matérielle et de la préservation des ressources.
La notion d’Ahimsa peut être rattachée à la recherche de l’innocuité maximale envers le Vivant et donc à celle de la préservation de l’environnement et des ressources naturelles :
– au champ de la gouvernance ou du politique par la valorisation d’une forme d’autogestion locale, de la recherche de la participation de toutes les minorités (religieuses, sociales et sexuelles) à la prise de décision et à la gestion des affaires publiques.
La notion de Swaraj renvoie à l’intégration des parties prenantes et à la responsabilité sociale de l’entreprise d’une part mais aussi à la démocratie participative :
– au domaine culturel/éthique avec la promotion de la responsabilité de chacun envers tous, une morale de l’action profondément intériorisée et vécue au quotidien dans tous les actes de la vie.
La notion de Satyagraha peut être rapprochée de la philosophie contemporaine dire du « Care » dans sa dimension large, c’est-à-dire dans le sens de prendre soin de l’autre/ des autres non seulement par rapport à ses/leurs besoins, physiquement, mais aussi en tant que personne(s) c’est à dire moralement, psychologiquement, émotionnellement :
– au champ des rapports Nord-Sud par la revendication de l’indépendance politique et de la justice dans les relations économiques internationales.
On retrouve ici les cinq notions précédentes.
Un humanisme radical
Le matérialisme et l’individualisme sont rejetés par Gandhi. Il insiste sur la responsabilité de chacun envers la Vie, la Création, phénomènes selon lui d’origine divine, l’interdépendance entre tous les êtres humains et au-delà entre tous les êtres vivants. Il existe ainsi une relation de réciprocité entre les humains et le monde vivant et entre ce-dernier et le monde en général. Les être humains ont une responsabilité les uns envers les autres du fait de l’interdépendance entre eux. Cette responsabilité s’applique entre contemporains mais aussi vis-vis des êtres humains à venir.
La vision gandhienne constitue une critique radicale du modèle de développement occidental, basé sur l’idée de progrès, celui-ci étant identifié à la croissance infinie des biens matériels et à l’extension, elle aussi infinie, de la liberté individuelle, dont la contrepartie serait la création, à son tour infinie, de « besoins », constituant autant de nouveaux enchaînements.
En ce sens il se sépare de la vision économique dominante chez Nehru (futur Premier ministre indien) et la majorité des dirigeants du parti du Congrès, adeptes d’un socialisme industrialiste et du progrès technique.
Une spiritualité non dogmatique pour l’époque actuelle
La pensée de Gandhi acquiert aujourd’hui une portée universelle. Elle entre en effet en résonnance avec les préoccupations contemporaines autour des grandes questions de la démocratie, de la justice économique et sociale, de la solidarité internationale, du dialogue interculturel et interreligieux, de la préservation de l’environnement.
Elle comporte un fondement spirituel d’origine œcuménique dans lequel peuvent se retrouver les croyants de toutes les confessions mais aussi les personnes athées ou agnostiques. Indépendamment de cet aspect spirituel auquel chacun est libre d’adhérer ou pas, elle peut inspirer légitimement toute personne impliquée dans la construction d’un monde économiquement viable, socialement équitable et écologiquement durable.
Quelques éléments biographiques : |
1869 – Naissance de Mohandas Karamchad Gandhi dans une famille jaïn du Gujarat, province du NW de ce qui est alors l’empire britannique des Indes |
1885 – Mort de son père |
1888 – M.K. Gandhi part étudier le Droit en Grande-Bretagne |
1893 – Départ pour l’Afrique du Sud alors colonie britannique et ou vit une importante communauté indienne |
1904 – La lecture de « Unto this last », de John Ruskin, bouleverse sa conception de l’économie. Il crée une communauté appelée « la Ferme Tolstoï » en hommage à l’écrivain russe, promoteur de la non violence, et avec qui il correspond |
1906 – Gandhi organise la 1ere campagne de désobéissance civile de la communauté indienne envers le pouvoir colonial |
1913 – Il organise une marche des femmes indiennes et une grève des mineurs |
1915 – Gandhi retourne en Inde |
1918 – Il organise la 1ère campagne de résistance civile dans son pays natal, avec les paysans du Champaran (Bihâr) contre les grands propriétaires terriens. |
1921 – Il devient le dirigeant du Parti du Congrès, principale organisation militant pour l’indépendance de l’Inde |
1922 – Après une nouvelle campagne de désobéissance civile, il est emprisonné deux ans par le pouvoir britannique |
1925 – Il fonde l’association des tisserands pour promouvoir l’indépendance économique |
1930 – Il organise « la marche du sel », à la fois boycott du monopole britannique sur la vente du sel, et moyen de démonter la possibilité de la souveraineté économique indienne. |
1933 – Gandhi jeûne en faveur de l’intégration dans le parti du Congrès des dalits (aussi dénommés « Intouchables » par les Occidentaux), qu’il appelle « Harijans » (« enfants de dieu »). Il s’oppose au leader de ces derniers, Bhimrao Ramji Ambedkar qui réclame une politique de « discrimination positive » envers cette minorité opprimée |
1942 – Il lance la campagne « Quit India » pour réclamer l’indépendance immédiate et est emprisonné jusqu’à la fin de la 2e guerre mondiale |
1947 – Indépendance de l’Inde et du Pakistan. Gandhi n’a pu empêcher la Partition de l’empire britannique des Indes entre un état à majorité hindou (l’Union Indienne) et un état à majorité musulmane (le Pakistan) |
1948 – Assassinat par un militant ultranationaliste hindou |