Pressenza présente en 8 parties la publication « L’Assemblée générale de l’ONU ouvre la porte à un traité d’interdiction des armes nucléaires ». Voici la quatrième partie : Les conséquences
Le but est de comprendre :
- Pourquoi 123 Etats sont arrivés à obtenir la tenue en 2017, d’une conférence ayant pour objectif la négociation d’un instrument juridiquement contraignant visant à interdire les armes nucléaires en vue de leur élimination complète.
- Comment la majorité des Etats, réunit derrière « l’initiative humanitaire », est arrivée à faire voter la résolution L41.
- Les objectifs de ce futur traité : redynamiser le processus multilatéral sur le désarmement nucléaire ; combler le vide juridique qui entoure les armes nucléaires ; renforcer les normes de non prolifération.
- Les conséquences sont nombreuses – outre l’interdiction de l’arme nucléaire – les industriels et les banques seront impactés par cette norme, tout comme les Etats non signataires.
Par Jean-Marie Collin, Chercheur associé GRIP – Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la sécurité.
Cette publication a été réalisé avec le GRIP (*).
Liens aux parties déjà publiées :
1. L’initiative humanitaire, une approche « étape par étape »
3. Les objectifs d’un futur traité
5. Les votes des puissances nucléaires
6. Les votes des membres de l’OTAN et des États bénéficiant d’une dissuasion nucléaire élargie
8. Les pressions diplomatiques
4. Les conséquences
S’il aboutit, ce processus de désarmement multilatéral aura comme première conséquence de renforcer le TNP et non de le diminuer comme le pensent ses détracteurs. Le TNP fournit un cadre dans lequel le P5 est maître du jeu et interprète comme il l’entend sa possession quasi indéfinie de l’arme nucléaire. Dès lors on comprend la posture de la France, qui « s’oppose à l’interdiction des armes nucléaires, qui ne lui permettrait plus d’arguer de la légitimité prétendument conférée à ces armes par le TNP 35». Il est intéressant de noter aussi le débat qui existe entre les partisans et les opposants de ce futur instrument juridique à l’égard du TNP. La France s’exprimant au nom des États-Unis et du Royaume-Uni, a réitéré « qu’une interdiction des armes nucléaires risque d’affaiblir le processus d’examen du TNP en rendant le consensus impossible, créant ainsi un monde beaucoup moins sûr ». Or, il faut remarquer que le consensus – donc l’adoption d’un document final – n’a été atteint que lors des RevCon de 1995, 2000, 2015 ; celles de 2005 et 2015 étant des échecs. Mais, même quand il y a « succès », on peut s’interroger sur celui-ci, car les mesures acceptées ne sont pas respectées36.
Le rapport de l’OEWG est précis concernant le lien entre le futur traité d’interdiction et le TNP : « Le OEWG a en outre estimé que la recherche de telles mesures, dispositions et normes devait compléter et renforcer le régime du désarmement nucléaire et de la non-prolifération, y compris les trois piliers du Traité. » La L.41 reprend cette assertion « réaffirme l’importance du TNP » et « par conséquent, les arguments et les craintes que le processus mine le TNP sont injustifiés et infondés », a pris soin d’indiquer l’ambassadeur de Malaisie37.
Mais on notera surtout les conséquences que ce traité aura sur l’Alliance atlantique (OTAN). L’impact sera réel sur la politique de dissuasion nucléaire menée par l’OTAN. Ce n’est pas l’existence de cette organisation qui est visée, mais bien sa politique nucléaire, comme en atteste un document38 diffusé par les États-Unis. Washington prouve ainsi bien l’efficience de ce traité en indiquant que
9 des 21 éléments proposés (du rapport de l’OEWG) « pourraient avoir un impact direct sur la capacité des États-Unis à respecter leur engagement de dissuasion élargie sur les membres de l’OTAN (comme d’Asie et du pacifique) » comme « sur celles [France et Royaume-Uni] des autres États dotés d’armes nucléaires ». Autre effet, cela « pourrait rendre impossible la planification nucléaire, la formation nucléaire, le transit lié aux armes nucléaires dans l’espace aérien comme sur les mers territoriales ». Ainsi, la question se posera pour les États-Unis de savoir comment transporter les futures B61-12 qui sont destinées à être stockées en Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Italie et Turquie ! Ce document note que ce traité impactera à la fois les signataires et non-signataires. Ce futur instrument juridique semble donc bien cohérent – contrairement aux dires des opposants – avec le TNP, dont l’article VI demande à ses membres de s’engager « à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces » !
Cette législation enfin, concernera également les institutions bancaires et les industriels de l’armement :
Avec cette nouvelle norme, les institutions financières devront adapter leur politique d’investissement du secteur de la défense. C’est une obligation pour ces institutions si elles veulent respecter leur politique de responsabilité sociétale des entreprises ; un argument aujourd’hui majeur en terme d’image et de création de business.
Des législations nationales pourraient naître pour interdire les investissements dans les entreprises d’armement nucléaire. L’exemple norvégien pourrait ainsi être suivi. Depuis 2004, l’adoption de directives déontologiques à l’intention du Fonds de pension de l’État norvégien39 fait que dix sociétés internationales ont été exclues en raison de leur implication dans la fabrication de composants d’armes nucléaires.
Comment les industriels de défense trouveront-ils des prêts bancaires, si les banques prennent en compte cette norme ? Par exemple, le groupe Safran qui est impliqué dans la production du système propulsif du missile intercontinental français M51, s’est vu accorder des prêts par des banques allemandes (Deutsche Bank Allianz, Commerzbank), hollandaises (ABP, ING Group) et suisse (UBS) situées dans des États susceptibles d’adhérer à cette future norme. Même si les principaux flux d’argent viennent de banques américaines et françaises pour Safran, il est évident que cet industriel sera confronté à des difficultés nouvelles.
L’interdiction des armes nucléaires rendra incontestablement ce marché plus compliqué pour les industriels et donc par effet domino le maintien ou le développement des arsenaux plus difficiles pour les États.
Notes
- « Deux questions à Marc Finaud », Lettre d’information n° 6 PNND/Obsarm.
- Salander Henrik, « Reviewing a Review Conference: Can there ever be a successful NPT RevCon? » European Leadership Network.
- Intervention du 11 octobre 2016.
- ICAN « US pressured NATO states to vote no to a ban », 1er novembre 2016.
- Par sa taille, c’est le deuxième fonds souverain du monde, qui accueille les surplus d’actifs norvégiens issus du pétrole et du gaz naturel.
(*) Le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) est un centre de recherche indépendant fondé à Bruxelles en 1979.
Composé de vingt membres permanents et d’un vaste réseau de chercheurs associés, en Belgique et à l’étranger, le GRIP dispose d’une expertise reconnue sur les questions d’armement et de désarmement (production, législation, contrôle des transferts, non-prolifération), la prévention et la gestion des conflits (en particulier sur le continent africain), l’intégration européenne en matière de défense et de sécurité, et les enjeux stratégiques asiatiques.
En tant qu’éditeur, ses nombreuses publications renforcent cette démarche de diffusion de l’information.
En 1990, le GRIP a été désigné « Messager de la Paix » par le Secrétaire général de l’ONU, Javier Pérez de Cuéllar, en reconnaissance de « Sa contribution précieuse à l’action menée en faveur de la paix ».