Pressenza présente en 8 parties la publication « L’Assemblée générale de l’ONU ouvre la porte à un traité d’interdiction des armes nucléaires ». Voici la première partie : 1. L’initiative humanitaire, une approche « étape par étape »

Le but est de comprendre :

  • Pourquoi 123 Etats sont arrivés à obtenir la tenue en 2017, d’une conférence ayant pour objectif la négociation d’un instrument juridiquement contraignant visant à interdire les armes nucléaires en vue de leur élimination complète.
  • Comment la majorité des Etats, réunit derrière « l’initiative humanitaire », est arrivée à faire voter la résolution L41.
  • Les objectifs de ce futur traité : redynamiser le processus multilatéral sur le désarmement nucléaire ; combler le vide juridique qui entoure les armes nucléaires ; renforcer les normes de non prolifération.
  • Les conséquences sont nombreuses – outre l’interdiction de l’arme nucléaire – les industriels et les banques seront impactés par cette norme, tout comme les Etats non signataires. 

 

Liens aux parties déjà publiées :

 

2. La résolution L.41.

3. Les objectifs d’un futur traité

3. Les objectifs d’un futur traité

4. Les conséquences

5. Les votes des puissances nucléaires

6. Les votes des membres de l’OTAN et des États bénéficiant d’une dissuasion nucléaire élargie

7. Le reste du monde

8. Les pressions diplomatiques

 

Par Jean-Marie Collin, Chercheur associé GRIP – Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la sécurité.

Cette publication a été réalisé avec le GRIP (*).

 

Résumé

Pour la première fois depuis deux décennies, la communauté internationale s’est retrouvée à la Première commission de l’ONU pour adopter ou rejeter une proposition concrète de résolution destinée à faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire.

Une large majorité d’État – issue du mouvement de l’initiative humanitaire – soutenue par la société civile a ainsi proposé qu’en 2017, un instrument juridique pour interdire les armes nucléaires soit négocié et ce, malgré une forte opposition des puissances nucléaires. C’est ainsi une véritable bataille argumentaire sur les objectifs et les conséquences de cette résolution instituant ce futur traité qui a été réalisée, par les différentes parties, durant cette 71e Assemblée générale de l’ONU.

 

Introduction

On observe depuis vingt ans une absence criante d’avancée concrète dans le processus du désarmement nucléaire multilatéral avec, comme causes principales, le blocage de la Conférence du désarmement (CD) – l’organe principal du désarmement de l’ONU – et la non-mise en œuvre des engagements pris dans le pilier désarmement du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Comme chaque année, la Première commission « Désarmement et sécurité internationale » de l’Assemblée générale de l’ONU (AGNU) a siégé pour adopter des résolutions de travail. Au total, ce sont 25 textes ayant trait aux armes nucléaires qui ont été soumis aux 193 États membres. Outre la traditionnelle résolution sur la « Création d’une zone exempte d’armes nucléaires dans la région du Moyen-Orient » (adoptée sans vote), il faut relever la résolution (L.65) déposée par le Canada, l’Allemagne et les Pays-Bas (« Traité interdisant la production de matières fissiles pour la fabrication d’armes et autres dispositifs explosifs nucléaires »). La L.65 crée un processus, qui apparaît parallèle aux travaux de la CD, pour 2017-2018 avec un groupe préparatoire d’experts chargé de préparer ce futur Traité. Si cette résolution a été approuvée (177 pour, 10 abstentions, 1 contre), les interrogations (Irlande notamment) furent nombreuses, notamment sur le caractère peu inclusif du groupe (25 États sur 193) et donc sur la faible transparence dans laquelle se dérouleront ces travaux.

Et comme c’est le cas depuis 20121, des résolutions2 ont été déposées par le mouvement dit de « l’Initiative humanitaire ». Ces résolutions appellent « clairement à la poursuite d’un instrument juridique pour interdire » les armes nucléaires, comme l’a souligné l’Ambassadeur de France A. Guitton3. Cette demande d’interdiction est matérialisée par la résolution « L.41 – Faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire » dont le but est d’ouvrir en 2017 la négociation d’un traité d’interdiction des armes nucléaires.

Cette résolution très nettement a focalisé les débats entre les partisans d’un traité d’interdiction et les tenants d’une approche traditionnelle4. En effet, 70 ans après la toute première résolution de l’ONU dont l’une des mesures phares était « d’éliminer, des armements nationaux, les armes atomiques », elle marque sans aucun doute un moment historique du désarmement nucléaire.

 

1.  L’initiative humanitaire, une approche « étape par étape »

Depuis 2010, les États non dotés d’armes nucléaires manifestent l’intention de peser dans le jeu des négociations en vue de parvenir à un monde exempt d’armes nucléaires. Cette volonté diplomatique (notamment du Mexique, de l’Autriche, du Costa Rica, de l’Afrique du Sud et de l’Irlande) s’est traduite dans le document final de la 8e Conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (RevCon) de 2010 qui mentionne « la Conférence se dit vivement préoccupée par les conséquences catastrophiques sur le plan humanitaire qu’aurait l’emploi d’armes nucléaires ». Ces mots ont ouvert la porte au mouvement de « l’Initiative humanitaire ».

Ces États ainsi que la société civile ont engagé un vaste mouvement de prise de conscience du lien entre le danger de la détonation d’une arme nucléaire et ses conséquences humanitaires. Ce premier acte s’est traduit par des conférences intergouvernementales5 successives (Oslo6 en 2013, Nayarit7 et Vienne en 2014) et par une réaffirmation du droit de tous les États à mettre en œuvre le désarmement nucléaire, comme l’a rappelé en 2014 le ministre des Affaires étrangères S. Kurz : « Le désarmement nucléaire est une tâche globale et une responsabilité collective. Comme État membre engagé dans le Traité de non-prolifération nucléaire, l’Autriche veut réaliser sa part pour atteindre les objectifs de ce traité »8. Le deuxième acte fut l’annonce à la Conférence de Vienne9 de « l’Austrian Pledge » (Engagement autrichien) devenu le « Humanitarian Pledge »10 (Engagement humanitaire) pour lui donner une portée internationale.

L’objectif de ce texte est d’étendre l’impératif humanitaire dans toutes les enceintes de l’ONU, d’encourager les États parties au TNP à réaffirmer leur engagement en faveur de ce traité et de réfléchir à la manière de combler le vide juridique qui entoure actuellement les armes nucléaires. Une centaine d’États cosigna ce texte au cours de la 9e RevCon (mai 2015). Tout aurait pu se « terminer » lors de cette RevCon, si un document final faisant la part belle à cette initiative – que laissaient présager les premiers drafts11 – avait été accepté. Mais l’impossibilité de trouver ce consensus sur un document final signa un nouvel échec12 du TNP. Dès lors, les membres de « l’Initiative humanitaire » vont faire avancer leur stratégie à la 70e AGNU et ouvrir un troisième chapitre.

En décembre 2015, la résolution 70/33 « Faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire »13 est votée par 135 voix à la 70e AGNU. Ce texte crée sur l’année 2016 un Groupe de travail à composition non limitée14 (OEWG). La notion « non limitée » signifie que les sessions15 sont ouvertes à tous les États (contrairement à la CD qui n’est ouverte qu’à 65 États) et à la société civile. Cet OEWG va étudier « sur le fond les mesures juridiques concrètes et efficaces » et « les dispositions et normes juridiques nécessaires à l’instauration d’un monde exempt à jamais d’armes nucléaires ».

Avec plus de cent États par session, cet OEWG fut un succès en terme de participation. Le paragraphe n° 67 est la principale recommandation de son rapport – soutenue par 107 États16, soit une nette majorité17. Il « recommande, avec le soutien d’un grand nombre de pays, la convocation en 2017 par l’Assemblée générale d’une conférence ouverte à tous les États et à laquelle participeraient et contribueraient les organisations internationales et la société civile, afin de négocier un instrument juridiquement contraignant interdisant l’arme nucléaire de manière à aboutir à leur totale élimination18 ». Ce paragraphe est issu des documents de travail19 (WP14, WP17, WP36) déposés et des nombreuses interventions nationales ou faites au nom de différents groupes.

Pour les partisans de la dissuasion, cette recommandation signe un échec de leur action. Le P5, lui, s’est discrédité une fois de plus en pratiquant la politique de la chaise vide (notons aussi l’absence de l’Inde, du Pakistan, d’Israël et de la Corée du nord). Ce sont les États-Unis en premier qui manifestèrent leur opposition à cette recommandation et au rapport en général qui fut transmis à la 71e AGNU : « C’est pourquoi nous rejetons le rapport de l’OEWG qui a récemment achevé ses travaux. Les États-Unis appellent tous les États à rejeter les efforts irréalistes visant à interdire les armes nucléaires »20. Le P5 a fait aussi par la suite une déclaration commune exprimant sa « profonde préoccupation face aux efforts visant à poursuivre les approches du désarmement nucléaire qui méconnaissent le contexte stratégique mondial21. »

La recommandation n° 67 étant l’aboutissement de « l’Initiative humanitaire », ses membres ont logiquement ouvert un nouveau chapitre en octobre 2016, à la 71e AGNU : celui de l’interdiction totale et complète des armes nucléaires.

Notes 

  1. La Nouvelle-Zélande a déposé le 21 octobre 2013 (68e session AGNU) la résolution « Les conséquences humanitaires des armes nucléaires » soutenue par 125 États. Pour rappel en 2012 la Suisse déposa la résolution « Dimension humanitaire du désarmement nucléaire » (soutenue par 35 États) lançant le mouvement aujourd’hui connu sous le nom « d’Initiative humanitaire ».
  1. 23, Conséquences humanitaires des armes nucléaires, L24, Engagement humanitaire pour l’interdiction et l’élimination des armes nucléaires.
  1. Explication de vote de la France au nom des États-Unis, du Royaume-Uni, 27 Octobre 2016
  1. Les puissances nucléaires et les États bénéficiant d’une dissuasion élargie.
  1. Il faut noter aussi les débats dans les parlements et organisations interparlementaires (OSCE, UIP) permettant de nourrir la réflexion et de créer une confrontation entre le niveau législatif et exécutif, comme au Pays-Bas et en Norvège.
  1. Collin Jean-Marie, « L’impact humanitaire des armes nucléaires : un nouveau forum du désarmement ? », 2013, Note d’Analyse du GRIP.
  1. Collin Jean-Marie, « Conférence de Nayarit sur l’impact humanitaire des armes nucléaires : un point de non-retour ! », 2014, Note d’Analyse du GRIP.
  1. Kurz Sebastian, « Paradigm Shift in Nuclear Disarmament is overdue », 13 février 2014.
  1. Collin Jean-Marie, « 3e conférence sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, un nouveau cycle d’actions », 2015, Note d’Analyse du GRIP.
  1. http://icanfrance.org/lengagement-autrichien/ signé par 127 Etats
  1. Collin Jean-Marie, « La neuvième Conférence d’examen du Traité de non-prolifération nucléaire : l’échec est-il total ? » AFRI, Volume XVII, 2016
  1. Collin Jean-Marie, « Traité de non-prolifération nucléaire : L’échec de 2015 mènera-t-il au succès de la Première Commission ? », Rapport du GRIP 2015/4.
  1. Résolution A/RES/70/33
  1. Nous retiendrons ici l’acronyme anglais de OEWG pour Open-ended working group. Un premier OEWG fut créé en 2013, résolution 67/56, pour élaborer « des propositions visant à faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire. »
  1. Voir les éditions 2016 Les Lettres du PNND et de l’Observatoire des armements pour des analyses sur les sessions de février, mai, août : http://www.pnnd.org/fr
  1. 11 États au nom de l’ASEAN, 33 au nom de la CELAC, 54 au nom du Groupe africain, 5 au nom des Iles du pacifiques plus l’Irlande, l’Autriche, la Nouvelle-Zélande et Malte.
  1. Les États membres de l’OTAN ou bénéficiant d’une dissuasion élargie, et particulièrement l’Australie, menèrent une bataille diplomatique forte pour ne pas voir figurer le terme majorité des États » dans le paragraphe n°67.
  1. Rapport « Faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire », ONU, 2016.
  1. WP14 : « Elements for a treaty banning nuclear weapons » déposé par les Fiji, Nauru, Palau, Samoa et Tuvalu. WP17 « A legally-binding instrument that will need to be concluded to attain and maintain a world without nuclear weapons: a prohibition on nuclear weapons » déposé par le Mexique. Le WP36 « The Legal Gap: Recommendations to OEWG on taking forward nuclear disarmament negotiations » déposé par 125 Etats.
  1. Friedt Anita, « Building Towards a Nuclear Weapon Free World », 29 Août 2016.
  1. Déclaration commune de la Conférence du P5, 15 septembre 2016.

 

(*) Le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) est un centre de recherche indépendant fondé à Bruxelles en 1979.

Composé de vingt membres permanents et d’un vaste réseau de chercheurs associés, en Belgique et à l’étranger, le GRIP dispose d’une expertise reconnue sur les questions d’armement et de désarmement (production, législation, contrôle des transferts, non-prolifération), la prévention et la gestion des conflits (en particulier sur le continent africain), l’intégration européenne en matière de défense et de sécurité, et les enjeux stratégiques asiatiques.
En tant qu’éditeur, ses nombreuses publications renforcent cette démarche de diffusion de l’information.

En 1990, le GRIP a été désigné « Messager de la Paix » par le Secrétaire général de l’ONU, Javier Pérez de Cuéllar, en reconnaissance de « Sa contribution précieuse à l’action menée en faveur de la paix ».