Fidel est mort, mais il est immortel. Peu d’hommes ont connu la gloire d’entrer de leur vivant dans l’histoire et la légende. Fidel Castro, qui vient de mourir à l’âge de 90 ans, est l’un d’eux. Il était le dernier « monstre sacré » de la politique internationale. Il appartenait à cette génération d’insurgés mythiques – Nelson Mandela, Hô Chi Minh, Patrice Lumumba, Amílcar Cabral, Che Guevara, Carlos Marighela, Camilo Torres, Mehdi Ben Barka – qui, à la poursuite d’un idéal de justice, s’étaient lancés, après la Seconde Guerre Mondiale, dans l’action politique avec l’ambition et l’espoir de changer un monde d’inégalités et de discriminations marqué par le début de la guerre froide entre l’Union soviétique et les Etats-Unis.
Tant qu’il a gouverné (de 1959 à 2006), Fidel Castro avait tenu tête à pas moins de dix présidents américains (Eisenhower, Kennedy, Johnson, Nixon, Ford, Carter, Reagan, Bush Père, Clinton et Bush fils). Sous sa direction, Cuba, petit pays de cent mille kilomètres carrés et 11 millions d’habitants a pu développer une politique de grande puissance à l’échelle planétaire, et livré, pendant plus de cinquante ans, une partie de bras de fer avec les Etats-Unis dont les dirigeants n’ont pas réussi à le renverser, ni à l’éliminer, ni même à modifier tant soi peu le cap de la révolution cubaine.
La Troisième Guerre mondiale a failli éclater en octobre 1962 à cause de l’attitude de Washington qui s’opposait radicalement contre l’installation de missiles nucléaires soviétiques à Cuba, dont la fonction était avant tout défensive et dissuasive, pour empêcher une nouvelle invasion comme celle de la baie des Cochons en 1961, conduite directement par les Américains pour renverser la révolution cubaine. Depuis 1960, les Etats-Unis mènent une guerre économique contre Cuba et lui imposent unilatéralement, malgré l’opposition de l’ONU et malgré le rétablissement des relations diplomatiques entre Washington et La Havane en 2015, un embargo commercial dévastateur, qui fait obstacle à son développement et entrave son essor économique. Avec des conséquences terribles pour les habitants de l’île.
En dépit d’un tel acharnement américain (en partie adouci depuis le rapprochement des deux pays amorcé le 17 décembre 2015) et de quelque six cents tentatives d’assassinat fomentées contre lui, Fidel Castro n’a jamais riposté par la violence. Pas un seul acte violent n’a été enregistré aux Etats-Unis depuis plus d’un demi-siècle qui ait été commandité par La Havane. Au contraire, Fidel Castro avait déclaré à la suite des odieux attentats commis par Al-Qaida à New York et Washington le 11 septembre 2001 : « Nous avons maintes fois déclaré que, quels que soient nos griefs à l’égard du gouvernement de Washington, nul ne sortirait jamais de Cuba pour commettre un attentat aux Etats-Unis. Nous ne serions que de vulgaires fanatiques si nous tenions le peuple américain pour responsable des différends qui opposent nos deux gouvernements. »
Le culte officiel de la personnalité est inexistant à Cuba. Même si l’image de Fidel Castro reste présente dans la presse, à la télévision et sur les panneaux d’affichage, il n’existe aucun portrait officiel, aucune statue, ni monnaie, ni rue, ni édifice ou monument quelconque portant le nom de Fidel Castro.
En dépit des pressions extérieures auxquelles il est soumis, ce petit pays, attaché à sa souveraineté et à sa singularité politique, a obtenu des résultats remarquables en matière de développement humain : abolition du racisme, émancipation de la femme, éradication de l’analphabétisme, réduction drastique de la mortalité infantile, élévation du niveau culturel général. Dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la recherche médicale et du sport, Cuba a atteint des niveaux très élevés que nombre de pays développés lui envieraient.
La diplomatie cubaine est l’une des plus actives au monde. La révolution, dans les années 1960-1970, a soutenu les mouvements d’opposition armée dans de nombreux pays. Ses forces armées, projetées à l’autre bout du monde, ont participé à des campagnes militaires de grande ampleur, en particulier aux guerres d’Ethiopie et d’Angola. L’intervention cubaine dans ce dernier pays s’est achevée par la déroute des divisions d’élite de la République d’Afrique du Sud ; ce qui a incontestablement accéléré l’indépendance de la Namibie, la chute du régime raciste de l’apartheid et permis la libération du leader sud-africain Nelson Mandela, lequel n’a jamais manqué une occasion de rappeler l’amitié qui le lie à Fidel Castro et sa dette à l’égard de la révolution cubaine.
Fidel Castro possédait un sens de l’histoire profondément ancré en lui, et une sensibilité extrême à ce qui a trait à l’identité nationale. Parmi toutes les personnalités liées à l’histoire du mouvement socialiste ou ouvrier, celle qu’il cite le plus souvent est José Martí, « apôtre » de l’indépendance de Cuba en 1898. Mue par une compassion humanitaire, son ambition était de semer sur l’ensemble de la planète la santé et le savoir, les médicaments et les livres. Rêve chimérique ? L’admiration qu’il vouait à son héros littéraire favori, Don Quichotte, n’était pas fortuite. La plupart de ses interlocuteurs, et même certains de ses adversaires, admettent que Fidel Castro était un homme habité par de nobles aspirations, par des idéaux de justice et d’équité.
Dans son pays et dans l’ensemble de l’Amérique latine, Fidel Castro disposait d’une autorité que lui conférait sa personnalité à quatre faces de théoricien de la révolution, de chef militaire victorieux, de fondateur de l’Etat, et de stratège de la politique cubaine. N’en déplaise à ses détracteurs, Fidel Castro a une place réservée dans le panthéon mondial des personnalités qui ont lutté pour la justice sociale et a fait preuve de solidarité envers tous les opprimés de la Terre.