Par Eric Toussaint , Fernando Martinez Heredia pour CADTM
Republication d’une interview de Fernando Martinez Heredia réalisée par Eric Toussaint à Santiago de Cuba en juillet 1998.
Cette interview est parue dans Le pas suspendu de la révolution. Approche critique de la réalité cubaine, de Yannick Bovy et Eric Toussaint, paru aux éditions du Cerisier en 2001.
Eric Toussaint : Quelles sont les grandes étapes de ces quarante années de Révolution cubaine ?
Fernando Martinez Heredia : Répondre à cette question est une entreprise extrêmement difficile : comment résumer en quelques phrases l’un des événements les plus importants de la seconde moitié du XX ème siècle sur le continent américain ?
Je m’y attaquerai en donnant ici ma vision personnelle, subjective. Non seulement parce que chacun ne peut avoir qu’une vision subjective de la réalité, mais également parce qu’à Cuba, pour être sincère, nous manquons de bonnes analyses globales du processus révolutionnaire contemporain, même si nous disposons d’excellentes monographies sur des thèmes plus particuliers. Ces dernières années, la volonté de témoignage s’accentue, mais les travaux de synthèse font toujours défaut. Au niveau de la production internationale, la bibliographie contemporaine sur Cuba est immense : à la fin des années soixante, on dénombrait déjà plusieurs centaines d’ouvrages. Mais une véritable synthèse de source étrangère sur cette période n’existe pas non plus. Peut-être est-ce dû au fait qu’il s’agit là d’une longue période et que le régime issu de la Révolution est toujours en place, peut-être est-ce parce que son premier dirigeant est toujours un dirigeant de dimension internationale et qu’il reste le personnage le plus important de la vie politique cubaine. Les cycles historiques achevés sont ceux qui se prêtent le mieux à l’analyse, à la synthèse.
Mais commençons. J’ai vu changer le monde deux fois : tout d’abord autour de 1959 et des années 60, ensuite dans les années 90. La première fois, la Révolution cubaine était l’actrice principale du changement ; la deuxième fois, elle est devenue un foyer de résistance. Les deux situations sont très différentes, comme la nature des changements intervenus.
Du XIXe siècle au triomphe de 1959
Pour bien comprendre la Révolution cubaine, il est fondamental de rappeler, très brièvement, les grandes étapes de notre histoire nationale (sur ces grandes étapes et certains des événements auxquels Fernando Martinez Heredia fait allusion, lire également les repères historiques). Une histoire qui commence avec la “ découverte ” et la colonisation de l’île, la formation d’une colonie militaire et de communication hispano-créole, une colonie de services et de production entre l’Espagne et d’autres régions jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. C’est alors qu’on vit se construire une société particulière, résultant d’une lente accumulation de traits culturels, et développant un dynamisme économique qui ne tarda pas à faire de Cuba, au début du siècle passé, la colonie la plus riche du monde – sur le dos d’un million d’esclaves, prix de la modernité qui lui donna le chemin de fer (avant l’Italie et l’Espagne), le premier câble sous-marin, le premier téléphone et le premier télégraphe d’Amérique latine. Une modernité basée sur l’exploitation sauvage du plus grand nombre par une bourgeoisie propriétaire d’esclaves qui connecta Cuba au marché mondial capitaliste, aux progrès et aux idées du capitalisme international et, finalement, dans la seconde moitié du XIXe siècle, à la grande production d’aliments pour l’immigration et la population croissante des Etats-Unis.
Cette aventure coloniale fit de Cuba ce que l’on appellera, un siècle plus tard, un pays sous-développé, grand exportateur de sucre et d’aliments, subordonné à un centre qui le dominait outrageusement : d’abord comme importateur de produits, puis de manière générale à partir de 1898.
Cela fait un siècle que les Etats-Unis envahirent Cuba. L’histoire de la nation cubaine a en effet pour caractéristique de conjuguer en une seule date la fin de trente années d’efforts pour libérer le pays, pour conquérir l’indépendance nationale (dans le premier monde, on parle de décolonisation) par le biais de révolutions abolitionnistes, populaires, nourries d’idéaux radicaux et démocratiques, et le début de la domination néocoloniale complète des Etats-Unis sur la Grande Ile. A Cuba, la Révolution pour l’indépendance nationale fut une Révolution moderne : parce que le pays n’avait connu que la modernité barbare du capitalisme, et parce que les travailleurs avaient conscience de lutter pour la justice sociale. L’écart entre les riches et les pauvres n’était pas seulement palpable : il crevait les yeux.
Quand José Marti (parler de Marti n’est pas une manie cubaine : on ne peut évoquer l’histoire contemporaine de Cuba, ni même son avenir, sans y faire référence) put élaborer une pensée, un programme, il parvint à mettre sur pied une organisation que l’on aurait alors pu qualifier de “ bolchévique ”, en 1892, 93, 94. Selon lui, l’indépendance de Cuba marquerait le début de la seconde indépendance de l’Amérique, et le début d’une lutte contre l’impérialisme nord-américain, comme il l’écrivit en 1895. Il ne s’agit pas là d’une quelconque capacité “ divinatoire ”, mais d’une vision claire des conditions de développement social – puis politique – de Cuba. Dans cette guerre qui s’acheva il y a cent ans périrent 22 % de la population de l’île. Ce fut la “ guerre du Vietnam ” du siècle passé, au cours de laquelle on inventa les camps de concentration. A partir de là naquit donc une république post-révolutionnaire, la République cubaine, qui dura 60 ans et se termina en janvier 1959.
Une république qui renia une partie des idéaux des luttes d’indépendance. Elle gouverna de manière honteuse, d’abord au nom de ces luttes, puis en initiant un processus “ civilisateur ”, un processus de “ progrès ” qui revenait à singer les grandes puissances du capitalisme mondial. Avec néanmoins une forte coloration nationale qu’exigeaient les circonstances et l’histoire récente.
Cette république néocoloniale fut ébranlée par ce que nous appelons à Cuba la Révolution des années 1930, qui transforma les idéaux de justice sociale en idéaux communistes, socialistes, ouvrant la voie d’un radicalisme d’opposition, non plus seulement entre pauvres et riches, mais désormais entre prolétariat et bourgeoisie. Un radicalisme qui soulignait la nécessité de bien comprendre la distinction à faire entre le peuple et ses ennemis.
Les années trente permirent de définir la stratégie qui rendrait possible une Révolution anticapitaliste, seule à même de faire en sorte que l’indépendance de Cuba soit totale. Cette évolution de la culture politique motiva le caractère beaucoup plus “ national ” de la seconde république bourgeoise néocoloniale qui s’établit entre 1935 et 1959. Celle-ci se donnant, par certains aspects, des airs nationalistes suivant une politique d’Etat interventionniste dans le domaine économique, médiatrice entre bourgeois et ouvriers, et, en général, médiatrice entre les différentes classes sociales. Une politique, d’ailleurs mise en pratique dans un autre contexte par le président américain Roosevelt “ conseillé ” par l’économiste Keynes et qui pouvait s’envisager comme une politique propice au développement national.
Honte à l’argent !
Cette république produisit un consensus de masse, articulé autour de grands partis d’opposition rassemblant diverses classes sociales : le Parti révolutionnaire cubain authentique et son célèbre chef de file Grau San Martin, le Parti du Peuple cubain, ou Parti orthodoxe, emmené par le non moins célèbre Eduardo Chibas. L’homme le plus populaire de son temps, auréolé d’un prestige immaculé de révolutionnaire des années trente et d’une profession de foi sans équivoque : “ Honte à l’argent ”.
La politique d’opposition et radicale de Chivas remuait les foules. A tel point que certains, terrorisés à l’idée d’une possible victoire de son parti aux élections présidentielles de 1952, virent d’un bon œil le coup d’Etat militaire perpétré, le 10 mars de la même année, par un groupe d’aventuriers (conduit par Fulgencio Batista, NDLR) qui faisait voler en éclats la nature extrêmement institutionnelle du pays. Certains jugements à l’emporte-pièce prétendent que Cuba était un pays subissant les dictatures les unes après les autres. C’est faux : à ce moment-là, aucun autre pays des Caraïbes, d’Amérique centrale ou de la côte caribéenne de l’Amérique du Sud (Venezuela, Colombie) ne connaissait une structure institutionnelle aussi solidement établie que celle de la Grande Ile. A Cuba, la Révolution (la tentative de 1933 comme celle de 1959) fut le fruit des caractéristiques du pays, de la conjoncture, ainsi que de l’accumulation culturelle préalable à laquelle j’ai brièvement fait allusion précédemment.
ET : Quelles sont les caractéristiques fondamentales de la lutte qui aboutit au triomphe de 1959 ? Et quel en a été le détonateur ?
FMH : La situation déboucha sur une crise qui mena à la guerre révolutionnaire, comme conséquence de la politique d’un pays qui voulait, en fait, le retour à l’authenticité et à la légalité institutionnelle.
Le gouvernement de Batista essaya, par une manipulation électorale, de maintenir tant bien que mal sa légitimité. Mais au cours de l’année 1955, le mouvement de protestation s’amplifia, s’organisa – avec l’apparition du Mouvement du 26 juillet -, et déclencha de nombreuses grèves. Certaines furent largement suivies, et notamment celle, immense, de la fin de l’année : la grève sucrière, qui exprimait illégalement la volonté populaire d’une partie du pays de voir se produire un changement social et politique radical, bien plus important que la simple chute de la dictature de Batista.
La réalité du mouvement révolutionnaire fut incarnée, dans sa forme la plus organisée, par le Mouvement du 26 juillet. Le Directoire Révolutionnaire, d’origine estudiantine, était une organisation beaucoup plus modeste, bien qu’elle pratiquât elle aussi une tactique pertinente de lutte armée à la recherche du soutien populaire. Le Mouvement du 26 juillet, dirigé par Fidel Castro, fut celui qui adopta les modes d’organisation les plus adéquats, exprima véritablement les désirs, les besoins, les urgences, et témoigna du plus profond esprit de révolte. Je pense en effet que la rationalité et l’esprit de révolte sont les deux composants essentiels des Révolutions modernes anticapitalistes. Si ces deux éléments sont réunis, alors tous les espoirs sont permis.
Voilà, à mon avis, ce qui permet d’expliquer que Fidel Castro et son Mouvement réussirent, au-delà de la traditionnelle difficulté de réunir villes et campagnes, urbanité et ruralité, à canaliser et à organiser significativement la protestation quand la guerre commença, fin 1956. On le dit peu, mais il ne s’agit pas simplement de l’habileté d’un groupe : ils étaient à la fois l’expression d’une volonté collective et de capacités préalables d’auto-organisation. Il existait bien à Cuba un très large mouvement syndical réformiste, mais qui ne put jouer un rôle de premier plan dans l’insurrection. De même qu’existait une culture d’organisation ouvrière et de travailleurs en général, mais essentiellement urbaine (bien que certaines tentatives d’organisation paysanne se fussent déjà manifestées, parfois très sérieusement), ainsi qu’une culture de la société civile : des centaines et des centaines d’organisations s’exprimaient par leurs problèmes spécifiques, par leurs conquêtes ou la défense de celles-ci, et surent s’opposer de manière politiquement coordonnée aux abus de la répression et, de manière plus générale, à l’existence même de la dictature.
Un autre aspect de la lutte politique à Cuba à cette époque est la manière dont des secteurs importants de la classe dominante tentèrent de faire de la société civile un médiateur entre le gouvernement et l’opposition en général. Il y eut d’abord le dialogue civique de 1955 – 1956 entre le gouvernement et les partis d’opposition ; ensuite, pendant la guerre, la tentative de médiation entre le pouvoir et le mouvement insurrectionnel pour tenter, d’une part, de mettre fin à la dictature, et, d’autre part, d’éviter une Révolution en lui substituant une démocratie, un gouvernement civil qui préserverait le système capitaliste néocolonial.
C’est à ce moment-là, au milieu de cette situation politique complexe, que se produisit le triomphe de la Tendance insurrectionnelle, comme elle se nommait alors, mais que bientôt les gens appelleraient le “ 26 ”.
ET : Quand Fidel Castro devient-il un des dirigeants révolutionnaires principaux ?
FMH : La lutte contre Batista était aussi la lutte de la démocratie contre la dictature. On en appelait à la rébellion au nom de la démocratie. Aux yeux de tous, Fidel était alors le docteur Fidel Castro. Ce n’est qu’en 1955 qu’il est devenu un dirigeant institutionnel très crédible. En août de cette année-là, l’Assemblée du Parti orthodoxe reçut avec beaucoup d’émotion le message que Fidel lui fit parvenir depuis son exil mexicain. En réalité, ceux qui mirent sur pied, dans toutes les régions du pays, la structure municipale et provinciale du “ 26 Juillet ” étaient pour la plupart issus des rangs de la Jeunesse orthodoxe – elle-même présente de façon organisée sur tout le territoire, comme les autres partis politiques.
C’est dans ce cadre que le jeune Fidel Castro, ancien chef de file orthodoxe, ancien leader estudiantin (et pas de premier plan), fut candidat à la Chambre des Représentants pour les élections, qui n’eurent d’ailleurs pas lieu. En fin de compte, s’il n’y avait eu l’épisode de la Moncada, il aurait pu être un parfait inconnu. Quand il lança sa campagne depuis le Mexique, en 56 (Fidel avait été libéré en mai 1955 lors d’une amnistie et avait quitté Cuba pour le Mexique), sur le mot d’ordre “ Nous serons libres ou martyrs ”, beaucoup le prenaient pour un fou. Aussi fou, croyait-on, que les jeunes illuminés qui chantaient, chahutaient dans les cinémas ou troublaient les manifestations publiques aux cris insensés de “ Révolution, Révolution, Fidel Castro, Fidel Castro ! ”. La police avait beau tenter de les réduire au silence, au prix de ses habituels abus de pouvoir, cela ne les rendait que plus sympathiques aux yeux de la population.
Et en 1956, par le biais des Manifestes numéro 1 et 2 du “ 26 Juillet ”, Fidel révéla à la population politiquement active du pays et aux sympathisants les ambitions de son Mouvement.
ET : Le Manifeste numéro 1 date de 1956 ?
FMH : De mars 1956. Le peuple tout entier l’a découvert dans la revue Bohémia. Ce Manifeste dit : “ Ceci est la Révolution des humbles, par les humbles et pour les humbles. ” Trois prépositions : de, par et pour. Le docteur Fidel Castro est l’organisateur de cette expédition libératrice à venir. Le gouvernement s’en moque ouvertement. En novembre de cette même année, railleur, le chef des forces armées déclare : “ Une guerre annoncée ne tue pas de soldats ”.
Mais entre-temps, la situation nationale devient tendue. Les grèves massives se succèdent. L’activité illégale de la population se développe ; les sans-emplois rejoignent les travailleurs dans la protestation urbaine. On décrète des opérations villes-mortes. L’organisation clandestine devient un élément extrêmement important (qui deviendra essentiel), mais les formes de protestation restent très diverses. J’insiste d’ailleurs sur le fait – souvent peu pris en compte – que c’est ce type de climat qui rend possible une insurrection. Dans de nombreux pays, des groupes de personnes héroïques et illuminées ont tenté l’aventure et ont échoué.
C’est alors que Fidel passe à l’action pour la deuxième fois. Il n’est plus seulement celui qui a mené l’assaut contre la caserne Moncada le 26 juillet 1953 : aux yeux de tous, il devient également le commandant du Granma (le célèbre bateau des insurgés), l’homme qui revient au pays pour entreprendre la guerre de libération. Mais à nouveau, c’est l’échec : le débarquement du Granma tourne pratiquement au désastre le 2 décembre 1956.
Le Parti socialiste populaire (PSP – le parti communiste favorable à la ligne dictée depuis Moscou, NDLR), qui envisageait les processus sociaux sous un certain angle, estima que le débarquement du Granma était un échec parce que l’idée elle-même était mauvaise : les acteurs du drame étaient héroïques, immaculés, pourvus des meilleurs intentions, mais seul l’échec pouvait découler d’idées et de pratiques totalement déplacées.
En réalité, et malgré ce qu’en pensait le PSP, il s’agissait bien d’une lutte de masse. La direction du PSP n’a pas compris que se déroulait un processus où se rejoignaient les luttes de masse et la lutte de groupes armés…
Fidel Castro devient donc le chef de la rébellion. Il n’est pas encore le “ lider maximo ”, pas même pour les têtes pensantes du camp insurrectionnel, qui, au cœur de la Sierra Maestra, continuent à l’appeler le Docteur – et non le Commandant – Fidel Castro : sans doute s’agit-il là de la tradition cubaine des “ docteurs leaders démocratiques ” (comme Eduardo Chibas et Grau San Martin). Mais c’est aussi une précaution salutaire : “ Nous ne menons pas un mouvement révolutionnaire pour le compte de futurs dictateurs, mais pour qu’il n’y ait plus jamais de dictature ”. Souci démocratique.
Les révolutions, comme toute autre chose, sont constituées d’étapes, de moments. La lutte de protestation massive, illégale, se heurte à la répression de la dictature et commence à devenir impossible. Elle résiste cependant jusqu’en 1957, et notamment à Santiago de Cuba, où la mort de Frank Pais (dont l’enterrement mobilisera les foules) suscitera une grève générale. Ou à Cienfuegos, avec l’insurrection du 5 septembre, au départ de la conspiration du Mouvement du 26 Juillet. Le peuple rejoint les insurgés et résiste victorieusement aux troupes venues de Santa Clara. Seule l’aviation et les forces de La Havane parviennent à reprendre le contrôle de la ville.
Il n’y aura dès lors plus de place pour ces premières formes de lutte populaire. Seules les nouvelles formes d’organisation, clandestines, pourront se développer. Et le “ 26 Juillet ” en sera le fédérateur. Je parle ici du rôle essentiel du Mouvement, sans méconnaître pour autant la présence active et souvent héroïque du Directoire révolutionnaire – qui mènera d’ailleurs une action qui le rendra célèbre : l’attaque du Palais présidentiel, le 13 mars 1957, avec pour objectif l’élimination du dictateur et un appel à la lutte destiné au peuple. Bien qu’elle échouât également, cette offensive secoua la capitale du pays et fit prendre conscience à beaucoup qu’en finir avec la tyrannie était de l’ordre du possible.
ET : Il faut souligner, pour le lecteur, que 35 assaillants périrent dans cette tentative héroïque de prendre le Palais…
FMH : Ce fut une opération “ commando ” sans équivalent ; la place était quasiment imprenable. Mais ils parvinrent néanmoins au troisième étage du Palais.
L’importance du Mouvement du 26 Juillet
FMH : La lutte de la guerrilla de la Sierra Maestra, avec le vert olive comme couleur de l’insurrection et le brassard du 26 Juillet comme signe d’appartenance à l‘Armée révolutionnaire du “ 26 ” (par facilité, nous l’appellerons l’Armée rebelle), va donc incarner l’espérance majeure des gens du pays. Et chaque jour davantage, dans la mesure où la répression cherche à étouffer, par la mort, la détention, la torture, toute forme de protestation organisée. Seule la clandestinité permet un certain soutien à la rébellion, notamment par la collecte d’argent et la propagande systématiques, dans tout le pays, ainsi que des tentatives, insuffisantes mais intéressantes, d’organisation ouvrière puis, sous contrôle rebelle, paysanne.
Dans toute cette histoire, l’organisation clandestine du 26 Juillet joue donc un rôle capital. Parmi ses leaders, Frank Pais, que j’ai évoqué plus haut, fut une des personnalités marquantes de l’histoire contemporaine de Cuba, intimement liée aux rebelles de la Sierra Maestra. Parmi ses plus hauts faits d’armes, l’insurrection du 30 novembre 1956 à Santiago, sa ville d’origine, destinée à couvrir et soutenir l’arrivée du Granma, ainsi que la formation d’une colonne d’appui, composée de jeunes de l’organisation, munis de toutes les armes qui avaient pu être glanées à travers le pays, et envoyés renforcer la balbutiante “ guerilla ” de la Sierra. C’est ce qui permit à Fidel d’atteindre une capacité de feu suffisante pour attaquer, prendre et détruire une caserne locale (El Uvero, le 28 mai 1957), et faire ainsi comprendre par les armes au gouvernement que les petites casernes de cette zone d’opérations ne pourraient résister aux avancées de l’offensive rurale.
Malheureusement, Frank Pais meurt prématurément le 30 juillet 1957. Sa grandeur est exprimée au peuple par Fidel Castro qui proclame, depuis la Sierra Maestra : “ Ils ne savent pas qui ils ont tué ; ils ont tué le meilleur de notre jeune génération ”.
Grève et insurrection
Finalement, c’est la grève d’avril 1958 qui provoquera un retournement de situation. Elle manifestait la volonté de faire revivre la tradition révolutionnaire des années 30 et ses idéaux. L’idéal radical selon lequel faire une révolution ne consiste pas seulement à renverser un gouvernement, mais bien à réaliser un profond changement social. En l’occurrence, la victoire de la révolution passe obligatoirement par une transformation de la grève générale en insurrection.
Ce sont des idées qui viennent en partie d’Europe, mais surtout de la réalité cubaine de la révolution des années 30. Le fait est qu’aucune révolution n’a jamais triomphé en imitant la précédente. Jamais, nulle part.
La mort de Frank Pais avait provoqué une véritable explosion spontanée. Plus tard, en avril 58, le mouvement vers la grève générale est le résultat de la mise en pratique d’un plan préconçu. Le mouvement clandestin parvint à transformer la grève générale en début d’insurrection. Une insurrection déjà importante, bien que partielle, et ce 15 mois après le début de la guerre.
Le front ouvrier national qui impulsa la grève, se fiait trop à l’idée selon laquelle c’est l’insurrection qui permettrait le triomphe de la grève, et non la grève qui déboucherait sur une insurrection victorieuse. Ce fut une erreur tragique, mais qui donna lieu à d’innombrables démonstrations d’héroïsme de la part des populations des villes et villages de Cuba. Souvent bien supérieures à leurs possibilités, ce qui ne manqua pas de laisser de profondes traces. Après le 9 avril, le découragement s’installa. Les structures urbaines souffraient beaucoup, matériellement et moralement. Le commandement de la Sierra Maestra était épuisé.
Une réunion “ décisive ”, comme la qualifia Che Guevara dans ses “ Passages de la guerre révolutionnaire ”, permit d’apporter un changement structurel dans l’organisation de la rébellion. Lors de cette réunion de la Direction nationale du 26 Juillet basée dans la Sierra Maestra, il fut décidé que Fidel assumerait dorénavant les trois fonctions de chef de l’Armée révolutionnaire du 26 Juillet, chef du Mouvement du 26 Juillet et chef des milices armées du “ 26 ” dans les villes, villages et zones suburbaines. Il devenait le Commandant Fidel Castro. Bien que beaucoup l’appelaient encore le Docteur, il était désormais le chef unique, le “ lider maximo ” de l’organisation.
Cela répondait à la nécessité de résister à la charge du gouvernement, qui avait beau jeu de déclarer, fort logiquement : “ Nous allons tenter de porter le coup de grâce en profitant de la situation favorable ”. Ce fut d’ailleurs l’objectif de la grande offensive contre-révolutionnaire de l’été 1958, commencée le 25 mai. Entre-temps, la guerre avait connu de nouveaux développements dans les régions orientales de l’île, amenant le jeune commandant Raul Castro à former un front à l’Est de la province. Un front qui se révéla d’une extrême importance, étendant son contrôle sur une zone géographique et une population civile incomparablement plus importantes que celles de la Sierra Maestra.
A la fin de l’été, la guerrilla étendra également son emprise jusqu’au centre du pays. Mais l’essentiel est que l’été 1958 vit la défaite militaire des troupes de l’armée régulière dans les combats de la Sierra. Les rebelles passèrent de la résistance à la contre-offensive victorieuse. Le gouvernement devint incapable d’infléchir la guerre en sa faveur.
Ce qui eut une autre conséquence, extrêmement importante à ce moment-là mais également pour la suite : asseoir l’autorité de Fidel au sein de l’organisation du 26 Juillet et aux yeux de la population, déjà majoritairement acquise à la Révolution. Et souvent directement impliquée : par la collecte de fonds, la lecture et la diffusion de la propagande, etc. De telle sorte que ce qui apparaissait dans le discours gouvernemental et qui faisait déjà partie du vocabulaire des jeunes militants – se dire ou être qualifié de fidéliste – passa dans le langage courant. En 1958, toute personne impliquée dans cette guerre et qui ne faisait pas partie du Directoire révolutionnaire était fidéliste. Le langage exprimait ainsi une première reconnaissance de ce “ commandement suprême ” qu’avait institué la réunion à laquelle j’ai fait allusion.
ET : Quelle est la nature de cette révolution ?
FMH : C’est une révolution des humbles, pour les humbles, par les humbles. Une révolution qui entend réaliser une réforme agraire radicale et profonde. La déclaration militaire d’août 1958, qui vit Fidel nommer Che Guevara et Camilo Cienfuegos chefs des colonnes qui conquirent le centre du pays, inclut un texte qui dit à peu près ceci : ces derniers “ ont le pouvoir d’appliquer les lois et règlements de l’Armée rebelle en matière agraire ”. Pourtant aucune loi n’a encore été promulguée. Mais Che Guevara l’avait énoncé d’une phrase simple : “ La réforme agraire est le fer de lance de l’Armée rebelle ”. Celle-ci avait une politique et des objectifs sociaux pour la mener à bien. Pour une partie de ses dirigeants, cela s’appelait “ socialisme ”.
Mais ce n’était pas le socialisme dont parlaient les camarades du PSP. La tradition socialiste est vaste…
ET : Ne faut-il pas préciser qu’une réforme agraire à Cuba s’inscrit dans un contexte où dominent les rapports de production capitaliste ? Le féodalisme n’a jamais existé sur l’île. Tu as déjà expliqué la relation qui existait entre la bourgeoisie et le prolétariat – y compris donc le prolétariat paysan. C’était un prolétariat salarié. La réforme agraire se réfère donc à une lutte contre la grande propriété terrienne capitaliste, et non contre les traits pseudo-féodaux du pays (invention du Komintern stalinien) ?
FMH : Ce que tu dis est très important. De la même manière que précédemment, quand j’ai parlé de “ fidéliste ”, le langage joue ici un rôle caractéristique. Un discours jadis martelé par une idéologie qui se réclamait – et c’était son droit – du socialisme, disait : “ Les relations dans les campagnes cubaines sont semi-féodales ”. Pourquoi ? Parce qu’elle n’envisageait à Cuba qu’une révolution démocratico-bourgeoise censée achever la modernisation capitaliste du pays. Comme tu le dis bien, le propriétaire terrien n’est rien d’autre que l’un des rôles du type de domination capitaliste, dans ce cas. Le système de grande propriété – qu’il soit nord-américain ou cubain – exprimait un système capitaliste d’exploitation et de domination de Cuba. C’est fondamental.
ET : Pourtant, les militants du Parti socialiste populaire parlaient de lutte anti-féodale, anti-impérialiste…
FMH : “ Agraire ”, “ anti-impérialiste ”, “ contre les résidus féodaux ”, “ pour un développement national ”… Selon eux, il fallait aussi chercher, et trouver, une classe bourgeoise nationale qui jouerait un rôle positif, actif, face au camp qui réunissait les pro-impérialistes du marché international et les féodaux ou semi-féodaux des campagnes. Ce serait la bourgeoisie nationale, positive, contre la bourgeoisie marchande. Mais l’Histoire en décida autrement.
Toute révolution est une victoire sur les limites du possible
FMH : Dans des travaux publiés à Cuba il y a des années, je parle de deux étapes significatives concernant la Révolution au pouvoir : du 1er janvier 1959 au début des années 70, et de ce moment-là à 1989. Personne ne m’a jamais dit : “ Vous vous trompez complètement ”. Le silence règne. Mais l’on considère pourtant, en général, que les deux étapes en question concernent les périodes allant de 1959 à septembre 1960 pour la première, et de septembre 1960 à aujourd’hui pour la seconde…
L’idée du PSP selon laquelle une révolution à la fois capitaliste et anti-impérialiste aurait pu se produire à Cuba me paraît absurde ; mais de toutes façons, à partir de 1959, il ne fut plus question d’idées, mais de faits. Et dans les faits, ce qui se produisit fut une victoire de l’anti-impérialisme remportée par les forces anti-capitalistes. Elle seule permit d’atteindre la justice sociale en libérant le pays de sa relation avec les Etats-Unis. C’est pour cela que je qualifie la Révolution cubaine de 1959 de “ révolution socialiste de libération nationale ”. D’autre part, je pense que les révolutions ne se produisent pas en fonction d’un certain déterminisme économique. Toute révolution est une victoire sur les limites du possible.
Pour nous, qui étions très jeunes à cette époque, mais également pour tout le peuple de Cuba, la vie changea profondément. Plus que d’une insurrection nationale motivant le changement de régime, c’est d’une profonde révolution sociale qu’il s’agissait, rompant, qui plus est, les liens néo-coloniaux qui rattachaient le pays aux Etats-Unis. Deux événements formidables qui se produisaient simultanément, et qui à mon avis ne pouvaient advenir l’un sans l’autre.
Comment les avons-nous vécus ? Comment la population les a-t-elle ressentis ? La Révolution triomphante paraissait une fête interminable. Elle révélait des potentialités insoupçonnées chez les gens. Les limites du possible avaient volé en éclats. C’est très difficile de raconter un événement de cette importance. Tout juste puis-je y faire allusion :
- L’idée selon laquelle un politicien est forcément quelqu’un d’habile, de malhonnête, fut remplacée par la conception de celui-ci comme quelqu’un d’honnête représentant les intérêts du peuple.
- L’idée que Cuba ne pouvait vivre en tant que pays civilisé indépendamment des Etats-Unis – idée très répandue pendant un siècle, y compris chez les gens cultivés – disparut brutalement. A tel point que les Etats-Unis, dans le mouvement, furent rendus responsables de tous les maux du monde. Un nouveau cadre de vie, une nouvelle vision du monde se dessinaient, qui ne peuvent être expliqués qu’après, pas au moment où on le vit. Le pays se sentait libéré.
- On nota également chez la majorité des gens un impact libertaire important, d’ailleurs caractéristique de toute révolution en profondeur.
- Une autre caractéristique de cette période était l’existence d’un pouvoir révolutionnaire qui devait bien entendu s’organiser en tant que pouvoir. Et pendant très longtemps se développèrent à Cuba, ensemble, l’influence libertaire et l’influence du pouvoir révolutionnaire.
Les processus révolutionnaires produisent généralement ces deux impacts différents. En général, que l’impact libertaire soit minoritaire ou majoritaire, celui du pouvoir révolutionnaire devient très rapidement prédominant, réprime ou non les aspects libertaires plus ou moins brutalement, et ensuite s’approprie les symboles de la révolution, qu’il exhibe comme preuves de légitimation de son nouveau pouvoir. Dans le cas de Cuba, le processus donna lieu, je le répète, à une coexistence prolongée des deux aspects, ce qui influença la Révolution quant à sa politique, son idéologie, et même quant à sa conception de la démocratie – un terme si souvent mal compris. Car s’il ne fait aucun doute que le pouvoir révolutionnaire finit par absorber l’influence libertaire, les résidus de celle-ci font partie intégrante du mode de pensée, des sentiments et de la vie de nombreux Cubains d’aujourd’hui.
Quant aux formes politiques précédentes, elles disparurent : la dictature, bien entendu, mais également le système démocratique bourgeois, et cela a son importance.
ET : Quel type de démocratie révolutionnaire y eut-il après 1959 ?
FMH : Malheureusement, l’euro-centrisme veut que dès lors qu’un pays est socialiste, il faut le concevoir sur le modèle de l’URSS. Et si ce pays cesse d’être socialiste, il faut l’envisager comme une réplique de ce que firent Gorbatchev, ses amis et ceux qui vinrent après. Les ex-soviétiques découvrirent le parlement il y a peu, alors que les Cubains le découvrirent au siècle passé. La république cubaine fut parlementaire. Ce que la télévision cubaine s’appliqua d’ailleurs à montrer à une époque où les téléviseurs étaient encore plus nombreux chez nous qu’en Angleterre, peu de temps après la seconde guerre mondiale.
Je tiens à souligner cela pour que l’on comprenne bien que nous sommes passés par des expériences démocratiques bourgeoises et que celles-ci ont été rejetées après 1959. Je ne pose pas ici de jugement de valeur, je le dis en tant qu’historien.
ET : Par quoi furent-elles remplacées ?
FMH : Par un processus qui entendait créer un mode de pouvoir tout à fait neuf – mais il n’en fut naturellement pas ainsi. Cela étant dit, il s’agit bien d’une rupture, dans la mesure où l’on n’imita pas le système de démocratie bourgeoise antérieur. Pas plus que l’on n’imita le système soviétique, bien qu’il représentât l’unique formule qui apparaissait à l’horizon, en tout cas dans un premier temps, et surtout à partir de 1961. A cet égard, le premier choc interne à la Révolution (après que celle-ci fût parvenue à se fortifier de manière irréversible) fut celui de l’opposition à ceux qui voulaient réduire le processus cubain à une démocratie populaire de type est-européen. C’est ce que l’on appela le “ sectarisme ” du processus politique entre la fin de l’année 1960 et 1962, caractérisé par l’allusion à une personne : Anibal Escalante, dirigeant du PSP.
Le développement du régime révolutionnaire motiva la création d’un nouvel Etat, avec, dans une certaine mesure, de nouveaux ministères. L’INRA (Institut national de Réforme agraire) fut le père d’une partie d’entre eux : le Ministère de l’Industrie sucrière, celui du Commerce intérieur, et d’autres. C’est l’Armée rebelle des années 59-60 – l’institution de base de la Révolution – qui donna naissance à l’INRA.
En effet, la Révolution, en tant que mouvement insurrectionnel, fut un vivier de futurs cadres et de futures structures organisationnelles. C’est cela qui détermina en grande partie le fonctionnement réel de l’INRA, et c’est de l’INRA que naquit une partie du nouvel Etat. Ses dirigeants – Fidel Castro, le Che et d’autres – incarnaient de manière décisive son idéologie rebelle, et portaient les modes d’organisation, les idées, les idéaux. L’idéologie de l’organisation a été très liée à leur vécu, à leurs expériences, et évidemment à leurs projets.
Il s’agissait d’une étape qui voyait le présent se transformer en changements. Les choses changeaient, les unes après les autres, et le futur s’organisait comme projet. On commençait donc, déjà, à penser “ nous devons être… ”. Dans la rue, les gens disaient : “ Que sommes-nous ? – Socialistes. ” “ Que serons-nous ? – Communistes. ” Naissait l’idée selon laquelle le régime politique devait correspondre aux projets du pays.
Au cours de cette première étape, les conquêtes – pour employer un terme que l’on utilisait déjà beaucoup à l’époque – de la Révolution furent le théâtre des transformations les plus profondes, des gens, des relations sociales, des institutions. Il serait trop long d’en faire le détail ici, mais elles signifièrent d’énormes changements dans la vie matérielle et spirituelle du pays.
ET : Comment la population influait-elle sur les décisions ?
FMH : Les immenses transformations de la société, qui bénéficièrent au plus grand nombre, connurent une participation massive et systématique de la population en ce qui concerne leur mise en pratique et la défense du nouveau régime. Je tiens à être clair : je dis bien en ce qui concerne leur mise en pratique. Pas en ce qui concerne leur élaboration, ou la décision elle-même. Là aussi on essayait de dépasser les vieux schémas, notamment ceux que caractérisait la démocratie représentative antérieure que j’ai évoquée plus haut, dans laquelle les élections et de nombreuses consultations étaient la tradition. On voulait dépasser cela.
Je crois qu’il ne faut pas sous-estimer la capacité à l’époque de produire de “ l’auto-confiance ”, de produire la certitude, l’assurance que ce pouvoir était à nous, que ce pouvoir était le nôtre. Il ne s’agissait pas de manipulations opérées par quelques bureaucrates, mais de convictions partagées par des centaines de milliers de personnes. Ce n’est pas négligeable.
ET : La population eut-elle une influence sur le contenu de la réforme agraire ?
FMH : Absolument. Mais avant que je te réponde directement, permets-moi un petit détour historique. Avant la Révolution, le monde rural était soumis à un ordre extrêmement rigide, encadré par un système de gardes rurales de l’Etat et de gardes privées à la solde des propriétaires. Avec une “ légalité ” qui distinguait entre le vol de biens mobiliers, puni de la prison, et le vol de la terre (l’expulsion des paysans par les capitalistes) ou de la propriété sur la terre, quasiment reconnu par le droit civil. De l’aspect répressif à la structure légale, tout favorisait une domination sans partage sur la campagne. C’est à cela que la Révolution a mis un terme, faisant du mot d’ordre “ La terre à celui qui la travaille ” une politique, et déclarant vouloir “ rendre le pays à la campagne ” (c’est-à-dire donner aux paysans la place qui leur revient, NDLR) comme juste retour des choses à ceux qui ont, par leur travail, tout sacrifié pour la richesse de la nation. “ La Havane doit se dévouer, le peuple havanais doit aller travailler et réaliser les investissements économiques à la campagne ”. C’était aussi un juste retour des choses envers ceux qui, pendant des générations, avaient lutté pour l’indépendance du pays. C’est là que réapparaît la figure du “ Mambi ” insurgé de la campagne, qui rappelle un peu l’idéologie nationaliste paysanne de la seconde république bourgeoise néocoloniale, mais désormais vue d’une autre manière. De la même manière que le gouvernement révolutionnaire promulgue des lois fébrilement, rappelant ainsi la tradition de la république bourgeoise quant à la production ou la discussion des lois…
Je reviens à ta question. Au cours des trois premières années de la Révolution furent votés des milliers de lois, de résolutions et d’innombrables règlements. L’INRA gouvernait au moyen de lois élaborées par les dirigeants régionaux. Mais les gens marquaient la réforme agraire de leur empreinte, non seulement par l’application de la loi, mais également par leur refus de l’appliquer. Quelquefois, ils attendaient ; mais la plupart du temps ils faisaient pression, ou agissaient, simplement. Par exemple, à la fin de l’année 1959 et dans les deux premières semaines de 1960 se produisit la véritable grande occupation des terres et la transformation de la gestion de la campagne, au nom de la loi de réforme agraire, par des contingents de soldats et de civils.
Il faut bien comprendre que la manière de conduire les processus est fondamentale dans la Révolution cubaine. Cela permit d’éviter, dès les premiers jours, que des affrontements sanglants ne se produisent. Ce sont les tribunaux qui furent amenés à rendre la justice. “ Toute question que nous avons à traiter doit être légalisée ”. Ca ne veut pas dire que n’importe quel acte était dépendant de ce qu’en disait la loi. Mais il avait une base légale. Ainsi, les nationalisations, qui revenaient à faire passer au domaine public la propriété privée des bourgeois – grands, très grands… et parfois même petits – devinrent quelque chose de parfaitement naturel. Mais la loi les approuvait, et donc l’expression “ por la libre ” disparut. “ Por la libre ” traduisait ce qui se faisait de manière désordonnée, ou sans un ordre précis, sans organisation. Et à partir de là, l’idée que les révolutionnaires devaient s’organiser acquit une importance énorme.
L’organisation de masse la plus importante à cet égard pendant la première période de la Révolution fut celle des Milices nationales révolutionnaires. Je l’ai vécue de l’intérieur, et étudiée par la suite : au travers de cette organisation se produisit un processus de socialisation et de politisation.
Dans la pratique, les gens organisés dans les milices développèrent des attitudes anticapitalistes extrêmement structurées. Par le biais de l’armement généralisé du peuple, comme l’aurait dit Karl Marx. Ici, à mon sens, cela joua un rôle fondamental. D’autre part, la démocratisation des syndicats, processus entamé surtout au cours de l’année 1959, signifia la promotion d’un nouveau cadre de dirigeants de base, intermédiaires et de hauts dirigeants syndicaux qui provenaient de l’activité et de l’enthousiasme des travailleurs…
ET : Il y eut donc une démocratisation importante…
FMH : Extrêmement importante.
Le mouvement syndical
ET : Comment a-t-il été possible que cinq ans à peine après le triomphe de la Révolution, quelqu’un comme le Che puisse considérer que la démocratie syndicale n’existait déjà plus à Cuba ? Je cite : “ Ici, la démocratie syndicale est un mythe (…) Le Parti se réunit, propose à la base Monsieur Untel comme candidat unique, et voilà celui-ci élu (…) Sans le moindre processus de sélection de la part des masses (…) Les gens ont besoin de s’exprimer (…) Actuellement, j’irais jusqu’à dire que les syndicats pourraient cesser d’exister (…) et de transférer leurs fonctions aux conseils de la Justice du Travail (…) Les seuls à ne pas être d’accord seraient les membres de la bureaucratie syndicale qui s’est créée. Naturellement, si on leur dit qu’ils doivent retourner travailler de leurs petites mains, ils vont répondre “ Ecoute, ça fait 18 ans que je suis dirigeant syndical… ” (in Paco Ignacio Taibo II, Ernesto Guevara, tambien conocido como El Che, capitulo 33 sobre el ano 1964, pagina 553, edicion Planeta Bolsillo, Mexico, 1997)
FMH : Dans les grands processus de changement social, les choses passent rapidement. Je pense que les syndicats ont eu leur heure de gloire en ce qui concerne l’expansion de l’idéologie révolutionnaire et de ses institutions, puis qu’ils ont commencé à décliner, avant tout parce que leur culture venait de la lutte pour des réformes et des revendications immédiates. Les transformations révolutionnaires ont complètement dépassé ce que pensaient les syndicats. Une revendication de 1959, face au chômage, était le passage à quatre tours de 6 heures dans les raffineries de sucre, de manière à ce que le nombre de travailleurs augmente d’un tiers. Cela ne s’est pas produit. Néanmoins, en quatre ans seulement, le chômage avait disparu à Cuba. En 1963, on commençait même à manquer de bras, de force de travail. La transformation, en ce qui concernait les manquements à la législation du travail, les salaires inférieurs aux normes minimales et les énormes injustices qui avaient cours auparavant, fut totale. Ce fut un triomphe sur toute la ligne, qui vit une augmentation nette des revenus des travailleurs. L’action de l’Etat révolutionnaire pour concrétiser toutes ces demandes fut décisive.
La Justice du travail fut réformée, et transformée en un processus extrêmement rapide : raison était toujours donnée au travailleur. C’en devenait une blague, on disait : “ Le Ministère du Travail juge, mais le patron, c’est-à-dire l’Etat, ne gagne jamais ! ” De la même manière, c’était quasiment impossible d’obtenir un licenciement. L’Etat patron ne pouvait licencier aucun travailleur jusqu’à la création de la loi 32, dix ou onze ans après le triomphe de la Révolution.
Les syndicats furent donc dépassés par des structures qui donnaient davantage que ce que eux-mêmes avaient rêvé au cours de leur lutte. D’autre part, le contenu de la politique sociale du pays s’est réalisé via un gigantesque pacte social entre la population et le gouvernement. Le gouvernement est le garant – de là l’expression “ le pouvoir est nôtre ” – des changements qui se produisent et de la poursuite de ces changements. Il est garant de ce que la réforme agraire ne soit pas suivie d’une capitalisation des campagnes, comme dans d’autres pays qui ont connu des réformes plus ou moins profondes, mais de ce qu’elle soit le vecteur d’un nouvel ordre des choses qui révolutionne la campagne. Et donc ce sont les forces organisées de la Révolution, son Etat, son armée, ses milices, l’INRA, l’Association nationale des petits agriculteurs (l’ANAP, ce nouveau groupe qui rassemble des propriétaires), qui sont les instruments de la révolution agraire.
Pour revenir au syndicat, il n’a donc pas réussi à adopter rapidement une nouvelle attitude révolutionnaire.
Certes, c’eût été absurde de penser que le secrétaire général de la CTC (Centrale des Travailleurs Cubains) puisse entrer en conflit avec l’Etat qui incarnait la Révolution, mais de là à se transformer en un fonctionnaire dudit Etat, il n’y avait qu’un pas… qu’il aurait fallut ne pas franchir.
Le nouvel Etat, qui avait dû multiplier ses fonctions, commençait d’ailleurs lui aussi à se bureaucratiser rapidement. Je ne crois pas que le syndicat était responsable de sa propre bureaucratisation, mais les dirigeants de la confédération syndicale n’ont pas lutté contre cela. On peut rapprocher cela de ce qu’a dit le Che quand il s’engageait comme ministre de l’Industrie mais surtout comme dirigeant politique du pays, pour mener une expérience de masse de participation avec 400.000 travailleurs. Dans un système qui a forcément dû être autoritaire – un autoritarisme, en plus, qui était celui de la production industrielle. C’est en ce sens que le Che faisait référence au fait que les dirigeants du mouvement syndical avaient pu se convertir en faire-valoir du régime.
Mais je veux ajouter ceci : en 1966, cette direction syndicale fut complètement remplacée par l’Etat révolutionnaire. Le XIIe Congrès de la CTC, en septembre 66, fut l’occasion pour la direction révolutionnaire de revivifier le mouvement syndical. Cela entrait dans le cadre d’une réorganisation générale du pouvoir destinée à remplacer les formes de l’Etat révolutionnaire des années 59-60-61, bureaucratisé, et à approfondir le système de transition socialiste cubain, dans une optique et avec des objectifs communistes.
Cela était également inséré dans le processus révolutionnaire mondial – l’effort internationaliste en Amérique latine en particulier. Dans ce processus global qui marqua la seconde moitié des années 60, le pouvoir prétendait que la Révolution cubaine serait la première révolution socialiste d’Amérique, mais que l’apparition de nouveaux pouvoirs en permettrait d’autres.
Les possibilités de la Révolution cubaine de 1959 lui furent données par l’effort que fournirent les Cubains. La possibilité d’approfondir l’expérience révolutionnaire au cours de la seconde moitié des années 60 était liée au fait que ces efforts soient prolongés par la victoire des révolutionnaires argentins, brésiliens, vénézuéliens ou d’autres pays, qui permettrait une nouvelle union internationale rendant viable l’économie et le régime politico-idéologique cubain, indépendante du courant dit socialiste d’Union soviétique et du courant maoïste. Dans cette situation, tant le mouvement syndical que l’Etat ou l’ensemble des institutions cubaines étaient soumis à une tension énorme. Le mouvement syndical n’y résista pas, et il fut remplacé par d’autres formes d’organisation. Il perdit pratiquement toute son importance. Il ne la récupéra qu’au début des années 70, mais de manière toute différente.
La relation Cuba – Union soviétique
FMH : La Révolution cubaine est la seule révolution anticapitaliste victorieuse à s’être maintenue aussi longtemps en Amérique latine. Ce fut un triomphe sur les lois de la géopolitique – mais celle-ci, depuis, s’en est vengée l’une ou l’autre fois… Cette Révolution fut donc la première révolution socialiste autonome à triompher en occident. Le processus qui parvint à aller si loin dans la formation d’une société anticapitaliste de transition socialiste, comme je l’appelle – mais je ne vais pas développer ce concept ici -, et à caractère anti-impérialiste et internationaliste, dut faire face à la dure réalité des choses : elle devait s’adapter à un monde dominé par l’existence de deux zones opposées, l’une emmenée par les Etats-Unis et l’autre par l’Union soviétique. Deux zones d’affrontement géopolitique mondial qui étaient à cette époque à la recherche de compétences et de coordinations.
Cuba dut donc rapidement trouver des réponses à ses besoins. Depuis 1960, la confrontation avec le régime nord-américain était déjà importante, systématique. Elle arriva à une rupture qui conduisit l’économie cubaine à rechercher de nouveaux partenaires, de nouvelles ressources pour assurer sa viabilité, et donc à conclure des accords avec l’Union soviétique et d’autres pays plus ou moins dépendants de celle-ci. Cuba devait trouver des débouchés pour son sucre ; elle les trouva avec l’URSS. Elle devait se procurer du pétrole ; elle y parvint avec l’URSS. De même pour les armes dont elle avait besoin pour se défendre et armer la population à grande échelle : elle les reçut de l’Union soviétique et de certains de ses alliés. Commençait une relation dont l’histoire s’étendit sur trente années.
Cette histoire de l’affrontement Etats-Unis – URSS et de l’alliance entre Cuba et l’URSS influença profondément les affaires intérieures cubaines. D’abord, l’affrontement avec les Etats-Unis rendait indispensable une unité nationale extrêmement forte et pesa lourdement sur le système politique de l’île – c’est encore le cas à l’heure où nous parlons. L’alliance avec l’Union soviétique impliquait d’avoir un allié très puissant qui prétendait davantage utiliser Cuba dans le cadre de sa politique étrangère, de son système de relations internationales que de lui porter assistance dans une perspective internationaliste. Et l’influence du régime soviétique se ressentit jusqu’à l’intérieur du pays.
Comme dans le cas de n’importe quelle révolution, il y avait des opinions différentes sur la manière de mener le processus plus avant. La tradition “ socialiste-populaire ” (celle du PC pro-Moscou) développait des arguments très liés à l’idéologie soviétique – mais pas forcément à l’histoire soviétique. La tradition cubaine se heurtait à ces conceptions staliniennes. Certaines idées sur le socialisme démocratique étaient très intéressantes et nourries d’influences datant d’avant le triomphe de la Révolution – celles que l’on retrouvait au sein du Mouvement du 26 Juillet et chez bien d’autres personnes. C’est à ce moment-là que l’on tenta de résoudre le problème de manière interne, avec l’organisation d’un parti unifié de façon extrêmement précoce dans la seconde moitié de l’année 1960, qui fut baptisé Organisations Révolutionnaires Intégrées, parce qu’il aurait été prématuré de fusionner immédiatement les différentes organisations.
La construction d’un parti unifié et la crise de 1962
ET : Les Organisations Révolutionnaires Intégrées (ORI) comprenaient le Parti socialiste populaire (PC pro-Moscou), le Mouvement 26 Juillet et le Directoire révolutionnaire estudiantin ?
FMH : Exactement. L’idée était de construire un parti au milieu d’une Révolution qui était plutôt, dans l’esprit de tous, une espèce de bric-à-brac tonitruant. Il fallait se doter de structures. Mais comment ? Apparut alors une formule qui prétendait imiter la structure d’un parti communiste d’Europe orientale. Absurde ! L’idée était absurde.
Après le triomphe, le Mouvement du 26 Juillet se retrouva donc dans une situation qui le vit disparaître en tant qu’organisation.
ET : La majorité de ses cadres s’intégrèrent totalement à l’appareil révolutionnaire, à l’Etat…
FMH : Pas seulement. Aux forces armées, à l’Etat, aux milices, aux syndicats, aux comités de défense,… Dans de très nombreux secteurs, en somme.
ET : Pour accomplir des tâches de construction et de gestion ?
FMH : Oui, ainsi que de participation.
ET : Cela ne leur laissait guère de temps pour des tâches plus partisanes…
FMH : Ou pour garder la volonté de construire une organisation plus “ rassembleuse ”. Je ne veux pas comparer ici la Révolution cubaine et la révolution algérienne, mais l’on aurait pu décider que le 26 Juillet soit le parti de la Révolution. Dès lors qu’il avait été celui de l’insurrection, pourquoi pas ? Ses structures nationales, provinciales et municipales auraient formé l’embryon du nouveau parti. Mais il n’en fut pas ainsi. Comme je le disais, les personnes responsables des Organisations Révolutionnaires Intégrées voulurent les transformer pratiquement en un appareil politique de type communiste, à l’image de ce qui pouvait exister dans un pays d’Europe de l’Est.
ET : Qui était en charge de cela ?
FMH : Un ancien dirigeant du Parti socialiste populaire, Anibal Escalante. Tous les dirigeants du PSP ne participèrent pas à cela de manière active. Y prirent part plutôt des gens cooptés par Anibal. Mais il faut rappeler que ces événements se produisirent en à peine deux ans, de 1960 à 1962. Les ORI n’avaient pas les possibilités de subsister. Cela étant dit, je ne crois pas à une explication des faits sociaux basée sur l’argument des malveillances individuelles.
ET : En effet, l’appétit de pouvoir d’Anibal Escalante n’est pas une explication suffisante. Ce que Fidel Castro dénonce dans ses discours de mars 1962, c’est qu’à l’ombre de tout cela prospérait un appareil qui s’étendait jusqu’aux provinces, jusqu’aux communes du pays, et qui s’organisait de manière à détenir une position de monopole…
FMH : C’est vrai, tout cela éclata au grand jour. La force de la Révolution cubaine, c’est que tant Fidel Castro que ses plus proches collaborateurs purent y échapper et comprendre non seulement qu’avoir un modèle n’était pas indispensable, mais également que l’on pouvait s’en débarrasser. Mais différents aspects de la réalité entrent ici en ligne de compte. Cuba dut faire face, pendant toute l’année 1962, à l’éventualité d’être envahie par les Etats-Unis – éventualité dont l’Histoire a démontré qu’elle n’était pas illusoire. En septembre de la même année, autre aspect de la réalité, avant la découverte des missiles nucléaires, la défense militaire de Cuba est de plus en plus intimement liée à l’Union soviétique.
Tu te rends compte de la vitesse à laquelle les choses évoluent, de mois en mois ? A Cuba, on essaye de réorganiser toute l’économie désormais nationalisée, et avec peu de cadres. La fuite de cadres et de techniciens est incroyablement importante, en raison des liens culturels étroits du pays avec les Etats-Unis, mais surtout à cause de l’appui politique direct du gouvernement américain aux fuyards : il leur promettait du travail s’ils quittaient Cuba, et il tint parole, en faisant toutes sortes de campagnes autour de cela.
Par exemple, l’aboutissement du premier scénario de renversement du régime cubain, le scénario Eisenhower-Kennedy, est concrétisé par l’offensive de la Baie des Cochons (Playa Giron, avril 1961). A ce moment-là existe également une opposition armée soutenue par les Etats-Unis dans certaines zones, surtout dans le centre du pays. La lutte contre ces éléments s’appelait, dans la tradition cubaine, la lutte contre les bandits. Mais l’attaque nord-américaine frontale intervient au moment où, à Cuba, se produit la critique profonde de la tentative de convertir le pays en une démocratie populaire soumise à l’Union soviétique. Rends-toi compte de l’ampleur du problème ! Cela exigea la souplesse des deux parties ; les soviétiques remplacèrent leur ambassadeur, maintinrent le système d’aide militaire et l’achat de sucre à 6 centavos la livre, le prix fixe négocié, et au cours de cette année 1962 se réalisa la plus importante implication militaire soviétique : il y eut plus de 17.000 militaires à Cuba, en secret, qui aidèrent à installer le système capable de mener des attaques tactiques, nucléaires, contre les Etats-Unis.
Cuba suivit la politique étrangère soviétique, qui déboucha sur la crise des missiles et qui vit le pays confronté aux Etats-Unis mais également à la realpolitik de l’URSS. Tout le pays se leva, en armes, disposé à aller jusqu’à l’anéantissement face aux ennemis de l’humanité, dans un moment de suprême unité révolutionnaire. Mais simultanément, tous découvrirent les limites de ce qu’ils croyaient être l’internationalisme de l’URSS.
Ainsi, au moment où les idéaux révolutionnaires et le rôle joué par la direction cubaine avaient amené à la création néfaste d’une démocratie populaire de type est-européen se produisit la plus grave confrontation entre Cuba et les Etats-Unis et la plus grave crise internationale depuis la seconde guerre mondiale. Le monde se trouvait au bord de la troisième guerre. A ce moment-là, il y eut naturellement des chocs extrêmement violents au sein du régime cubain. Che Guevara, et surtout Fidel Castro, l’exprimèrent dans des documents publics ; il faut d’ailleurs souligner, au passage, que dans les processus de ce genre, c’est rare.
La réorganisation politique du pays, immédiatement après tous ces événements, déboucha sur la formation du Parti uni de la Révolution socialiste de Cuba (PURSC), un nom trop long mais déjà plus satisfaisant que le précédent… Un parti qui prétendait être autre chose, qui entendait organiser les révolutionnaires cubains d’après l’idée selon laquelle est nécessaire un parti qu’il est encore imprudent d’appeler communiste, un parti construit sur des bases nouvelles, meilleures. Duquel on ne serait membre, ou militant, qu’en étant considéré par les travailleurs, par ses camarades, en assemblée ouverte de discussion, comme quelqu’un d’exemplaire. Et pas sur le choix d’un groupe ou d’un cercle restreint.
L’appui de l’assemblée des travailleurs exemplaires était donc le prérequis indispensable – ce fut une innovation cubaine – à ce qu’une personne puisse se considérer comme candidate à l’appartenance à ce nouveau parti. Cela commença par les travailleurs, puis on en vint aux étudiants et aux soldats. La personne choisie devait passer par un processus de sélection où les commissions de membres du Parti, sur leur propre lieu de travail, devaient analyser profondément le travailleur, parler avec lui de sa vie, de sa spontanéité, comme l’on disait. Lui pouvait refuser, dire qu’il ne souhaitait pas être membre du Parti, c’était son droit. Mais du début à la fin du processus, c’était la sélectivité du Parti qui s’exprimait, incarnée par l’organisation de base, le noyau du Parti, et aucune instance supérieure. Et à la fin du processus, la personne devait revenir devant une assemblée de travailleurs pour expliquer si elle restait ou non, et pourquoi. Cela donnait lieu à des débats qui assuraient la transparence du processus et le prestige des militants.
Ce fut un facteur fondamental quant à la démonstration de la force morale du Parti. Je dirais que jusqu’à aujourd’hui, le prestige des membres du Parti et de ses bases a été le plus solide qui soit.
Une des raisons qui pouvait entraîner la perte du statut de membre du Parti pouvait être la chute du prestige parmi les travailleurs. Si l’un d‘eux perdait la confiance de ses compagnons, cela devait être discuté. On essaya de faire en sorte que la forme d’organisation intermédiaire, comme les échelons successifs du Parti, soient démocratiques, qu’elles offrent des garanties, qu’elles permettent des contrôles, et pas seulement d’en haut, également de bas en haut. Je ne crois pas que le succès fut tel qu’il puisse être qualifié d’exemplaire, mais la conquête de la démocratie à la base se maintint. Celle de la capacité des bases d’exprimer leurs points de vue, depuis leur statut de membre, sans subir de représailles. Je pense que c’est une des formes libertaires principales qui ont subsisté dans la tradition politique cubaine, malgré l’absorption de l’aspect libertaire par le pouvoir révolutionnaire.
Le Parti Uni de la Révolution socialiste eut également une autre racine, à mon sens très importante : la tentative de faire en sorte qu’à la différence d’autres pays, le Parti ne dirige pas les affaires de l’administration. Au contraire, il devait tenter d’exercer un fort contrôle politique et moral sur leur conduite. Il s’agit d’une des lignes directrices sur lesquelles la rhétorique, ainsi que la pratique politique cubaine, structurelle, interne au Parti, ont mis l’accent pendant plus de 30 ans. Quand se forma le Parti communiste de Cuba, en octobre 1965, on tenta de traduire cela en termes de loi.
Par ailleurs , la critique selon laquelle le Parti se retrouvait amené, dans la pratique, à diriger les administrations, fut dès le départ une critique exprimée par Fidel Castro, le Che et d’autres (voir encadré : Fidel Castro, le Parti et l’Etat…).
ET : Quand, à ton avis, se produisit le “ virage ” qui a favorisé la “ bureaucratisation ” tant dénoncée ?
FMH : Non, non, ce n’est pas ce que je veux dire, ce n’est pas un virage. La manière cubaine de transformer l’autoritarisme prenait de plus en plus d’influence, et non les formes est-européennes de domination. Mais ça ne veut pas dire non plus…
ET : Peux-tu expliquer cela ?
FMH : … Cela ne s’est pas produit d’un jour à l’autre.
ET : Cela me paraît très important.
FMH : Je t’ai dit que le Parti Unifié puis le Parti communiste qui lui a succédé, avaient la volonté inébranlable de se distinguer des partis d’Europe orientale en ce qui concernait la séparation Parti-Etat. Et du plus haut commandement, je veux parler de Fidel, des autres membres du Bureau Politique et du Comité Central, l’opinion était que devait exister une séparation entre le Parti et l’Etat. En plus, rappelle-toi que le Parti cubain tint son premier congrès seulement 17 ans après le triomphe de la Révolution et 10 ans après la formation du Comité central. Cela donne une idée de ce que sa vocation n’était pas de tenir des congrès à tout bout de champ, ni de se presser pour le faire.
Les deux étapes de la Révolution
FMH : La première étape de la Révolution, selon moi, va de la prise du pouvoir du 1er janvier 1959 au début des années 70, disons 1971. A partir de ce moment-là se produisit une inflexion qui vit le pays commencer à abandonner la dimension la plus imposante du projet de type communiste révolutionnaire. Cela ne veut pas dire qu’il se détachait de ce projet : il disait l’abandonner bien plus qu’il ne l’abandonnait réellement. C’est un élément intéressant : le langage voulut que cela s’exprime comme s’il s’agissait d’un abandon.
Dans la seconde moitié des années 60, et surtout à la fin de la décennie, – on n’en parle que rarement -, le monde du travail connut une tension énorme, dans tout le pays. Partout, les cadres du Parti, aussi bien que les dirigeants politiques envoyés d’en haut que les chefs d’entreprises d’Etat ou que les militaires jouèrent un rôle prépondérant dans les zones de travail et les différentes régions du pays, à la recherche de l’efficacité. C’est à cette situation difficile que se vit confrontée la Révolution cubaine à la fin des années 60. On ne peut donc pas dire que “ là, le Parti se confondit avec l’Etat ”. On peut relever que l’effort fut extrêmement individualisé, ou pragmatique, ou soumis à la direction du pays.
ET : Que se passa-t-il alors ?
FMH : Un certain nombre de personnes assumèrent des responsabilités avec grande autorité dans des régions et dans des tâches particulièrement soumises à la direction supérieure de l’Etat, indépendamment du fait qu’ils fussent cadres du Parti, de l’Etat, de l’armée ou de la région concernée.
La seconde étape
FMH : Dans les années 70, et c’est à mon avis ce qui caractérise en partie la deuxième étape de la Révolution, se produisit une réorganisation de toutes les institutions. L’Etat se réorganisa. Le premier Etat de la Révolution, comme je te le disais, eut à affronter quelques coups durs entre 65 et 67 et tenta de se réorganiser sur des bases qui supposaient un approfondissement communiste du socialisme. En 1970 fut entamé un processus de critique massive accompagné d’assemblées publiques de travailleurs, retransmises à la télévision, qui débutèrent au Ministère de l’Industrie légère. Elles commencèrent également avec le fameux cri de Fidel, dans son discours du 26 Juillet 1970 : “ Le pouvoir du peuple ; ça c’est le pouvoir. ”. Ainsi qu’avec son intervention, quelques jours plus tard, au cours des premières assemblées : “ Le socialisme n’a pas le choix. Le socialisme doit être de masse. Simplement, le socialisme qui n’est pas de masse et démocratique se bureaucratise et cesse d’être socialisme ”. Ou avec sa célèbre phrase du 7 décembre de la même année, lorsque se constitua le nouveau syndicat du Ministère de l’Industrie légère (un syndicat qui émanait des assemblées de base, et entendait essayer d’être véritablement démocratique) : “ Maintenant, le Ministre a trouvé avec qui discuter ”. Mais ce projet ne réussit pas. Pour autant, dire qu’il n’eut aucun effet serait une erreur grave.
Cette deuxième étape est très contradictoire : on y trouve dans une certaine mesure l’imitation par Cuba de certains aspects du système soviétique, les traits autoritaires du processus cubain, mais également sa vocation de recueillir la participation populaire.
Un des éléments qui lui permirent de maintenir son prestige moral au cours de cette deuxième étape fut le caractère autonome des organisations de base du Parti. Quand arriva la “ rectification ” de 1985, il était courant d’entendre, dans la bouche des militants et des membres des organisations de base du Parti : “ Ah, nous, au moins, on a sauvé notre honneur, parce que nous nous sommes opposés, nous avons critiqué les effets graves de la bureaucratisation, et nous n’y sommes pour rien ! ”. On entendit même cette expression : “ Nous ne voulons pas que le Parti soit une confrérie de moines qui fasse étalage de sa pureté face à la situation ”…
ET : Revenons à la période qui va de 1970-71 au début du mouvement de rectification en 1985…
FMH : Cette période est à mon avis la deuxième étape de la Révolution au pouvoir. Avec l’insertion de l’économie cubaine dans le système international du CAEM (Conseil d’assistance économique mutuelle), ou COMECON, on abandonna la prétention d’autosuffisance alimentaire et l’on se basa sur l’association des deux économies, soviétique et cubaine (avec en plus une participation intéressante de l’Allemagne de l’Est et de la Bulgarie). Une association qui permit à Cuba d’obtenir par négociations, au début des années 70, quelques succès significatifs quant aux termes des échanges et des crédits. Mais elle n’obtint rien de substantiel lui permettant de connaître un développement économique autonome. Au contraire, son statut de pays exportateur de produits de base subsiste, avec 4,3 millions de tonnes de sucre au début des années 80, dans le cadre d’une conjoncture mondiale qui lui était favorable car le prix du sucre était “ élevé ”.
Cuba exportait également, à destination de l’Union soviétique, des agrumes et quelques autres produits. De son côté, l’URSS fournissait l’essentiel du pétrole dont Cuba avait besoin, une énorme partie de ses aliments, de ses véhicules, de ses équipements, ainsi qu’une aide à son processus d’industrialisation – aide qui ne permit cependant pas à Cuba de tirer grand bénéfice de ses immenses réserves naturelles de fer ou de nickel, ou en tout cas de parvenir à une production industrielle correspondant à l’excellent niveau de formation et de préparation des travailleurs qualifiés cubains. Cuba n’eut pas non plus les moyens de développer une industrie électronique (un projet pourtant apparu dès les années 60) et d’en faire un élément compétitif international du Tiers Monde. En cause, l’opposition active et systématique des Etats-Unis par le biais du blocus – facteur déterminant les limites principales à l‘évolution de l’économie cubaine.
L’industrialisation cubaine des années 70 fut donc très limitée, ne profitant pas suffisamment des ressources naturelles et n’ayant pas accès, en raison de l’opposition nord-américaine, aux marchés dont elle aurait normalement dû pouvoir profiter ou à des crédits qui auraient pu lui être favorables. Sans oublier la relation de sujétion obligée au CAEM. Les dirigeants de celui-ci n’avaient aucun intérêt à favoriser un développement économique autonome du pays.
Je pense que cette situation fut décisive pour la deuxième étape dont nous parlons ici. Cela étant, Cuba parvint à atteindre, pour sa population, des niveaux de consommation beaucoup plus élevés que ceux de la période précédente. Et comme le système se caractérisait par une redistribution systématique de la richesse sociale, la différenciation en matière de consommation ne fut pas très importante. Comparées à celles existant dans d’autres pays, les dites “ différences sociales ” au sein de la société cubaine étaient minimes. Qui plus est, les attentes de la population étaient marquées par un renoncement prononcé de la majorité aux comportements consuméristes. L’exemple, en simplifiant, pourrait être opposé à celui de la Pologne, où des problèmes de consommation débouchèrent sur de véritables émeutes.
Cuba est un pays très occidental, au moins autant que la Pologne. C’est pour cette raison que je la prends en exemple, plutôt que la Bulgarie, qui est une région plus paysanne. A Cuba, la notion de consommation dans la vie quotidienne a pu être relativisée par une éducation spécifique à l’accumulation culturelle de la Révolution. La population sentit qu’elle jouissait d’un certain bien-être économique à cette époque, surtout dans la deuxième moitié des années 70 et jusqu’à la fin des années 80.
En même temps, l’universalisation de l’éducation commençait à porter ses fruits. En une seule génération, le poids majoritaire de l’enseignement primaire fut remplacé par celui de l’enseignement moyen, en nombre, ce qui permit à la population d’acquérir une formation de qualité, radicalement nouvelle. Il est difficile de trouver un pays qui ait connu un tel changement des niveaux scolaires et techniques en l’espace d’une génération.
On parvint également à assurer une véritable couverture au niveau de la santé, universelle et gratuite elle aussi. Le système de sécurité sociale – d’après un spécialiste de l’Université de Harvard – était, de loin, le meilleur d’Amérique latine. Il avait dépassé le modèle argentin (et sa couverture également universelle) depuis longtemps.
Dans ce cadre de bien-être, l’Etat se bureaucratisa profondément, de même que les moyens de résoudre les problèmes qui le concernaient. L’influence de cette bureaucratisation sur la politique en général fut très importante. Les structures de base du Parti restaient relativement en-dehors de cela, mais cela ne veut pas dire que le Parti n’était pas affecté. Il l’était, bien sûr. Si la bureaucratisation étatique ne se mesure pas au nombre de ses bureaucrates, les chiffres étaient néanmoins éloquents : selon les données de 1986, en 12 ans, le nombre total de fonctionnaires avait été multiplié par 2,5 entre 1973 et 1985.
FMH : Les comportements bureaucratiques, la négation des opinions différentes, la prise en compte d’un seul point de vue, l’éloignement par rapport au peuple, furent des maux très répandus. L’opinion sociale était contrôlée de manière officielle. Les moyens de communication de masse perdirent la fonction qu’ils étaient censés remplir. D’outils de lutte populaire favorable à la transition socialiste, ils se muèrent complètement en un outil de propagande, ce qui n’est pas du tout la même chose. En général, l’idéologie est-européenne s’imposa partout, au point que le discours officiel ne tarissait pas d’éloges sur les supposés succès de l’Union soviétique et de son système, allant même jusqu’à considérer comme idéologiquement préjudiciable toute critique à son égard.
Toutes les institutions furent affectées, les organisations sociales, les syndicats… qui perdirent toute possibilité d’être démocratiques et représentatifs. Je pense malgré cela qu’à la base, chacun parvint à préserver certaines caractéristiques, les unes plus heureuses que d’autres. Au niveau de la base, cela traduisait une évidente vivacité politique.
D’autre part, le Pouvoir populaire municipal, qui existait depuis 1959, enregistra certains progrès, surtout à partir de la seconde moitié des années 70. Et à partir de 1976, ce fut le cas au niveau national. Ce système de Pouvoir populaire municipal, très participatif, fut aussi une école de la démocratie, avec toutefois de nombreuses limites quant au pouvoir de gestion. Je fais la distinction entre ce Pouvoir et l’Assemblée nationale des députés, très en-dessous de ce niveau en matière de participation, et à mon avis surtout représentative en termes de prestige. De nombreux personnages prestigieux y siègent, et le reste des gens vote pour eux. Il y a des commissions permanentes dans cette Assemblée, qui jouent un rôle et exercent un certain contrôle, mais je me retrouve davantage dans le régime municipal, qui a obtenu de nombreux succès, y compris en termes de promotion pour des gens venus de la base.
Ce cadre-là dénatura une partie notable du projet révolutionnaire. Mais cela ne devint visible que dans les années 85-86, avec l’amorce du processus de rectification.
C’est depuis la plus haute direction du pays, depuis Fidel, qu’est initiée cette “ rectification ” – ce qui donne d’ailleurs une idée de la faiblesse du système. Mais ce qui est certain, c’est que Fidel lança une campagne politique et idéologique destinée à combattre les graves déformations qu’avait subi le processus révolutionnaire les années précédentes.
A partir de 1985, le processus révolutionnaire cubain entra donc dans une nouvelle phase, qu’à mon avis personne n’attendait – en tout cas dans ses dimensions essentielles. Le processus de rectification occupa la seconde moitié de la décennie, en enregistrant quelques succès significatifs et en ayant également quelques échecs à déplorer. Parmi les principaux points positifs, le rejet précoce de la ligne soviétique, toujours présente alors que les critiques quant à l’adéquation à Cuba du modèle russe fusaient de toutes parts. Cela eut une très grande importance pour résister à l’impact interne qu’aurait eu une Perestroïka triomphante dans un pays à l’idéologie pro-soviétique.
Par ailleurs, d’importants succès sont notés dans la participation populaire internationaliste et massive lors de la guerre en Angola, par exemple, ou la tout aussi importante participation populaire aux événements du Nicaragua, dont la révolution eut une signification exceptionnellement positive pour les Cubains.
Ces années-là virent aussi se réaffirmer le leadership de Fidel Castro, par un retour à certains des éléments fondamentaux du projet originel de la Révolution, mais les circonstances étaient clairement différentes. Néanmoins, la majorité de la population réagit avec un certain enthousiasme. C’est à ce moment-là que se termina la guerre en Angola, ce qui fut également une satisfaction morale pour la plupart des gens. D’autant que la victoire en Angola ne venait pas seule : on se réjouissait également de l’accession de la Namibie à l’indépendance et de la fin de l’apartheid.
Sur le plan interne, la rectification consistait en un mouvement politique qui aspirait à réaliser de profonds changements sans prendre des risques trop importants. La participation populaire fut requise, mais relativement en vain. Contrôlée, elle engrangea quelques succès importants, mais les appareils institués, l’existence de groupes de pression, de pouvoir, d’idéologies cristallisées pesèrent de manière très négative sur le processus. En définitive, la résistance aux tentatives de type soviétique, aux tentations de Perestroïka, porta ses fruits. Mais d’autres facteurs provoquèrent finalement un résultat négatif : l’économie cubaine devait changer d’orientation à brève échéance, et elle le fit, extrêmement vite. En six ans, les relations avec l’URSS et le CAEM cessèrent complètement. Et les relations économiques internationales de Cuba, pour l’essentiel, s’écroulèrent après une crise de seulement 18 mois, au début des années 90. Cet effondrement fut inévitable.
Mais l’ordre économique et politique parvint à se maintenir, bien que le prestige du socialisme, aux yeux de la majorité des gens, en ait pris un coup. On leur avait dit que le socialisme soviétique représentait le socialisme par excellence… Pourtant, en même temps, on assista à un fait social fondamental : la majorité de la population cubaine s’accrocha au mode de vie qui avait été le sien pendant 30 ans et au régime politique qui la représentait.
Ces deux années qui vont de la chute du Mur de Berlin à la chute de l’Union soviétique signifièrent pour Cuba le début de la crise économique, avec la baisse de la production nationale et des échanges internationaux. On toucha le fond en 1993-1994, avec une véritable dislocation des conditions de reproduction économique et une terrible chute du niveau de vie pour le plus grand nombre, qui résista de manière exemplaire. C’est à mon sens l’élément le plus marquant de ces années de la première moitié des années 90, et il n’est pas politique, il est social : avec une cohésion extrême, la population résista à l’érosion économique, à l’érosion du prestige du socialisme et du régime cubain lui-même.
Le dit marxisme-léninisme, qui fut abandonné avec fracas, révélait qu’il avait lui-même abandonné des positions de Marx, Engels et Lénine au nom d’un processus que nous n’avons pas le temps d’aborder ici (voir plus loin : La Gauche et le Marxisme à Cuba). Résultat : cette théorie se discrédita après avoir été enseignée avec application à des centaines de milliers de personnes pendant plus de 15 ans.
En même temps demeurait une conviction politique : on ne pouvait revenir à la situation antérieure ; pour tout le monde, cela aurait représenté une insupportable chute du mode de vie matérielle et spirituelle. Nous en serions sortis perdants : il n’y avait plus de place pour nous dans une économie mondiale aussi ouvertement dominée par le capitalisme. Ce que nous appelions jadis la justice sociale, puis socialisme, qui est devenu un mode de vie au cours des années 70 et 80, avait gagné sa légitimité dans la Révolution, et pas ailleurs. Il ne s’agit pas d’un mouvement social-démocrate, ou d’un régime démocratique bourgeois.
Il faut également souligner un troisième élément : si les Etats-Unis avaient l’occasion d’écraser définitivement le mode de vie des Cubains et l’indépendance nationale, ils le feraient. En tant que régime politique impérialiste, ils brûlent de se venger, d’effacer l’exemple latino-américain, l’exemple tiers-mondiste affiché à ses propres portes, un exemple par essence anti-impérialiste.
Je crois que c’est de ces convictions que se sont nourries la cohésion sociale, la discipline, l’ébauche d’un processus qui connut les tourments de 1989, son lot de critiques et d’autocritiques. Tout cela culmina avec la diffusion du document le plus autocritique réalisé par la direction du Parti cubain : l’appel au IVe Congrès de mars 1990, qui passa en revue les faiblesses, les erreurs et les insuffisances du pays en appelant tous les Cubains à en débattre. Document qui suggérait également que les discussions ne se cantonnent pas au sein du Parti, que les militants disposent d’une entière liberté de parole et que tout le monde participe au dialogue dans des assemblées réunies à travers tout le pays, afin que les critiques et les erreurs soient recensées et actées.
Un million de critiques furent recueillies par 70.000 assemblées. Un processus politique démocratique extraordinaire se produisait ainsi en 1990, après la chute du Mur de Berlin et au moment ou toute l’Europe orientale se disloquait.
Ce processus politique donna un peu d’air à Cuba, bien qu’il n’ait pas été mené plus loin. Le IVeCongrès prit du retard, mais se tint finalement à Santiago de Cuba en août 1991. Bien qu’il donnât lieu à des débats idéologiques très intéressants, on se concentra surtout sur le type de mesures à prendre pour renforcer la direction du pays. Des mesures de “temps de guerre”, comme le dit Eduardo Galeano : “Ils obligent le régime cubain à se durcir ; espérons que cela n’ait pas de conséquences négatives”. Ce qui est certain, c’est que l’on entrait dans une période où, malgré la décision d’élire les députés au suffrage direct, malgré le fait que le Pouvoir populaire municipal conservait ses prérogatives, la politique devenait un territoire sans vagues, sans émotions particulières.
Pourtant la société cubaine, elle, a connu des turbulences extraordinaires au cours de chaque année de la décennie 90. Il faut souligner la capacité de la population d’assumer cette situation et de s’y impliquer parce que Cuba est parvenu à sortir, petit à petit, d’une crise économique extrêmement aiguë, et par des chemins très divers.
Dans les régions, les localités, partout, le pays se recroquevillait sur lui-même, sans ressources, sans capacités de décision de la part des ministères centraux et de ses délégués dans de nombreux endroits de l’île. Ce furent les groupes régionaux et locaux qui assurèrent la distribution des efforts nécessaires à la survie des gens. Certains obtinrent de très bons résultats ; dans plusieurs villes et régions du pays, on vivait mieux qu’à La Havane, matériellement parlant. Ce qui provoquait des sortes de petites fractures, mais en apparence seulement, dans la mesure où Cuba, culturellement, est un pays très uni. Sur le terrain politique et idéologique, cela continuait à fonctionner de la même manière. Au niveau socio-économique, ces activités représentaient un facteur très positif, contribuant à réduire le mal-être de la population.
Quoi qu’il en soit, les plus grandes villes, Santiago, La Havane, ont ressenti très fort la perte de leurs modes de consommation habituels. A La Havane, sur le devant de la scène à ce propos, comme toute capitale, on a davantage perçu l’apparition des nouveaux facteurs internationaux déterminant la vie du pays. Le tourisme eut à cet égard une terrible valeur de démonstration : il donnait à connaître le monde de la pire manière qui soit. On découvrait des gens issus de la classe moyenne ou moyenne inférieure, venus du premier monde dépenser leurs économies dans un pays qui devait leur paraître plus ou moins bon marché, mais étalant un mode de vie comme si c’était le leur toute l’année. Ce qui est évidemment une fantaisie, et de mauvais goût.
Le pays vit alors réapparaître la prostitution, qui semblait appartenir à une période lointaine et révolue de l’Histoire ; d’autre part, le fait d’avoir de la famille aux Etats-Unis, jusqu’alors fort peu considéré comme un titre de gloire, devint un facteur déterminant dans la modification des revenus d’une partie de la population : les remesas envoyées par les émigrés à leur famille représentent en effet une des rentrées de devises dans le pays les plus importantes. Ce qui signifie que des personnes qui ne se caractérisent pas forcément par la complexité de leur travail ou par leur qualification peuvent bénéficier d’un niveau de vie bien supérieur à celui des autres.
Ce qui se produisit également, de manière moins innocente, ce sont des profits énormes en pesos ou en dollars engrangés par des gens via le marché noir. Il est d’ailleurs intéressant de noter comment une immense partie de ces gains en pesos a été placée en banque. Ce qui revient à dire : “ Je fais du marché noir, mais j’ai une très grande confiance dans les banques de l’Etat ”.
Résultat : une différenciation sociale très nette est en train de se creuser dans le pays. Sans doute ne serait-elle que minime vue par d’autres pays d’Amérique latine ou du monde. Pour Cuba, elle est extraordinairement significative, dans la mesure où la répartition per capita des revenus était à l’opposé de celle du reste de l’Amérique latine. Cela étant, on n’en est pas encore à constater des différences de classe sociales. D’autres facteurs, d’autres éléments seraient nécessaires. Ceux qui disposent d’une situation matérielle plus confortable n’ont aucune légitimité qui y soit associée au niveau social. La propriété privée n’a pas retrouvé le prestige qui était le sien avant 1959… à la différence de l’argent. L’argent a gagné énormément de terrain quant à ses capacités de séduction sur les gens au cours des années 90.
Et donc, une société qui continue à se réclamer idéologiquement du socialisme accepte les rapports mercantiles dans la vie quotidienne. Une société qui n’accorde pas de valeur à la propriété privée comprend que l’existence d’une économie que nous appelons mixte à Cuba est inévitable – parce qu’elle l’est, indubitablement – (alors qu’elle n’apparaissait jusqu’ici que de manière allusive dans le vocabulaire des gens – on parlait des “ firmes ”, des entreprises mixtes, des “ gérants ”, etc.). Cuba se réinsère dans une économie mondiale dominée par le capitalisme, avec un régime né et légitimé dans l’anticapitalisme. Un régime qui défend une politique sociale socialiste, qui défend le mode de vie antérieur, qui accompagne en même temps la transition vers les nouvelles formes de relations sociales, et qui ne maintient pas seulement l’ordre (au sens le plus plat du terme, qui dans de nombreux pays signifie bien souvent uniquement répression), mais également la paix sociale. Ce dans le sens où la répression n’est pas un élément important de la société, à la différence de l’espérance manifestée par beaucoup.
ET : Quand tu fais référence au rejet de la propriété privée par une grande partie des Cubains , je me demande s’il ne faudrait pas compléter l’idée en ajoutant que si l’on ouvre définitivement la porte à la moyenne ou à la grande propriété privée, on risque simultanément de l’ouvrir à une relation sociale capitaliste. Je m’explique : avec un million de pesos déposés sur un compte d’épargne, il devient possible – de manière légale, si la loi change, ou illégale, si la loi n’est pas modifiée – d’employer la force de travail d’autrui et donc de transformer cet argent en capital. On arrive ainsi à une relation sociale qui permet au propriétaire de cette somme d’employer la force de travail de ses compatriotes en les exploitant et d’accumuler grâce à l’extraction de plus-value. Ce serait un retour à une relation capitaliste entre les personnes. Crois-tu que ce danger existe ? Et, dans un second temps, y a-t-il un rejet de cette forme de travail salarié (qui existe déjà marginalement) de la part des Cubains ?
FMH : Je suis absolument d’accord avec ce que tu viens de dire, et je pense qu’effectivement il n’y a pas de place à Cuba pour cela, pour cette relation sociale fondamentale du capitalisme. En tout cas, elle n’est pas possible légalement pour les gens qui disposent de telles sommes d’argent. C’est pour cela que je parlais précédemment de cette différenciation par le revenu, qui a induit chez certains, de par leurs gains substantiels, une distinction sociale importante, bien que leur niveau social ne se soit pas élevé en conséquence. Ce sont, disons, les “ aventuriers ”. Et puis il y a ceux qui peuvent compter sur des revenus encore plus importants et qui, eux, occupent une position sociale relativement élevée.
ET : J’imagine qu’il y a également des gens qui en embauchent d’autres, mais que c’est toujours illégal…
FMH : Oui, et puis à côté de ça, il y a des dizaines, des centaines de milliers de personnes dont le niveau économique a baissé, mais pas le niveau social. Les médecins, par exemple, les instituteurs, beaucoup de techniciens… Leur prestige reste entier. 60.000 médecins, 40.000 ingénieurs, 300.000 instituteurs et professeurs dans un aussi petit pays, ainsi que d’innombrables travailleurs de secteurs qui ne bénéficient pas d’autres formes de rémunérations. C’est donc, je le répète, une situation dans laquelle ceux qui ont une position plus confortable n’en sont pas pour autant légitimés.
En définitive, l’idée d’une relation sociale de production qui permette que des citoyens cubains procèdent à l’embauche de personnes à titre privé, est toujours inconcevable. Je pense que cela souligne encore la force – qu’il est indispensable de préserver – des valeurs de la société anticapitaliste.
En guise de conclusion, nous sommes face à une situation éminemment compliquée. Je ne suis pas capable de “ prophétiser ” quoi que ce soit, mais je suis persuadé que le très haut niveau culturel de la population, sa culture politique, et pas seulement générale, est un facteur extrêmement positif. Par ailleurs, je constate une évolution qui va dans un sens régressif. Les relations marchandes et les relations particulièrement négatives qu’elles induisent dans une grande partie de la population, représentent des facteurs opposés à la permanence du socialisme, de la transition socialiste à Cuba.
Ceci dit, je ne crois pas que tout soit perdu, pas plus que je ne crois que la crise touche à sa fin et que tout va redevenir comme avant, pas plus enfin que je ne crois qu’il faut renforcer l’Etat pour renforcer le socialisme.
L’évolution mondiale et son impact à Cuba
Ernest Mandel disait, au milieu des années 70 : “Le capitalisme traverse une crise profonde et généralisée”. Le capitalisme se développe dans un processus de centralisations successives qui peuvent être qualitativement supérieures à celles qu’il a connues par le passé. Un processus que je préfère aujourd’hui qualifier de prédominance de la transnationalisation marquée par le rôle parasitaire de la finance dans l’ensemble de l’économie, de la vie et de la société. Avec également une réalité qui est apparue peu à peu, au cours de grandes luttes populaires – endeuillées de crimes ignobles perpétrés par les forces capitalistes : celle des progrès accomplis au sortir de la seconde guerre mondiale et à travers les révolutions du tiers monde (toutes les révolutions intervenues après cette guerre se produisirent en effet dans le tiers monde).
Ce qu’ils nomment démocratie, qui est une conquête du peuple et que l’on tente de neutraliser, est aujourd’hui un élément extrêmement important à travers le monde. Mais en même temps, le totalitarisme qui s’exerce sur les moyens d’information, sur le contenu de l’information, sur la formation de l’opinion publique et d’une partie de ses sentiments, est un des traits fondamentaux du système. Transnationalisation et argent parasitaire en économie, démocratie en politique, et totalitarisme au niveau idéologique – tout ceci exprimé grosso modo. Cuba, cela va de soi, n’échappe pas à l’influence de ces caractéristiques.
Le processus d’universalisation du capitalisme, auquel Cuba, au cours des 200 dernières années, n’a pas été étranger – c’est aussi pour cela que j’ai commencé par là -, frappe aujourd’hui violemment à la porte : des entreprises mixtes aux feuilletons télévisés, en passant par les formidables contradictions qui secouent les valeurs de la population. Une population profondément attachée aux valeurs incarnées par Che Guevara et en même temps déchirée par la nécessité de dénicher 2 dollars 40 pour acheter de l’huile de cuisine.
Telle est la situation de Cuba aujourd’hui. Je ne crois pas que nous soyons les meilleurs, l’exemple à suivre par les révolutionnaires du monde entier, mais nous représentons une expérience extraordinaire de lutte contre le capitalisme au long de la seconde moitié du XXe siècle. Il me semble que Cuba a encore beaucoup à donner à tous ceux qui se situent du côté de la lutte anticapitaliste, qu’ils aient ou non de la sympathie – accompagnée de critiques – pour le régime politique cubain. C’est en ce sens que l’expérience cubaine mérite qu’on la connaisse à fond. C’est en ce sens que son histoire, son processus ne peuvent continuer à être ignorés, et que, naturellement, son cours actuel et son avenir ont de l’importance. Ce qui est en jeu, c’est la question de savoir si Cuba va retourner au capitalisme ou parvenir à maintenir un régime de transition socialiste.
A mon avis, le second cas de figure sera possible, à condition que s’affermissent les traits anticapitalistes et socialistes au sein du système. Et cela ne dépendra pas d’une éventuelle embellie ou d’une crise économique. Il se peut qu’une embellie économique se produise, en même temps que sombre la transition socialiste. Il se peut que l’économie parvienne, malgré d’énormes difficultés, à rester au service des gens. Et aujourd’hui, la victoire économique de Cuba, c’est ça. Quand on dit : “Les Cubains ont obtenu de grandes victoires en matière de santé et d’éducation, mais économiquement, ce fut un désastre”, c’est un mensonge grossier.
Le plus grand succès de Cuba en matière économique fut de mettre l’économie au service des gens. Si l’on continue dans cette voie-là, alors on pourra continuer à parler de transition au socialisme, grands succès ou pas. Bien que je sois parfaitement convaincu que l’on ne peut subsister en état de faillite, qu’il y a des limites à ne pas dépasser. Mais d’autre part, je pense que la participation populaire dans la conduite des affaires est indispensable, dans la conduite des relations politiques, de la reproduction des idées. C’est la lutte que nous devons poursuivre, nous Cubains, et qui occupera notre futur.
Retranscription : Ana Maria Hernandez (Mexico D.F.)
Traduction française : Yannick Bovy.
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Annexe
Citations de Fidel Castro sur la crise des ORI
“Etions-nous réellement en train de construire un véritable parti marxiste ? (…) Nous n’intégrions pas les forces révolutionnaires. Nous n’organisions pas un parti. Nous organisions, nous inventions, nous fabriquions une camisole de force, un joug, camarades. Nous ne construisions pas une association libre de révolutionnaires, mais une armée de révolutionnaires domestiqués et dressés (…)
Le camarade qui reçut la confiance – nul ne sait s’il la reçut ou se l’attribua -, pourquoi fut-il désigné ? Ou alors, pourquoi s’imposa-t-il spontanément sur ce front, recevant la charge d’organiser les ORI en tant que secrétaire de l’organisation ? (…) Anibal Escalante tomba hélas, camarades, dans les erreurs que nous soulignons ici (…) Nous considérons qu’Anibal Escalante n’a pas agi de manière maladroite ou inconsciente, mais de manière délibérée et consciente (…) Et de quelle nature était le noyau ? Etait-ce un noyau révolutionnaire ? Il s’agissait bien davantage d’un quarteron de révolutionnaires, pourvoyeurs de privilèges, qui nommait et révoquait les fonctionnaires, les administrateurs, et par conséquent ne pouvait être auréolé du prestige qui doit accompagner un noyau révolutionnaire et émaner exclusivement de son autorité devant les masses, de la qualité irréprochable de ses membres en tant que travailleurs et révolutionnaires exemplaires. Il n’était qu’un cénacle où pouvaient se quémander faveurs, biens et privilèges. Et autour de ce cénacle, bien entendu, étaient réunies les conditions favorables à la formation d’une cohorte d’adorateurs n’ayant rien à voir avec le marxisme ou le socialisme (…) Cette hystérie du commandement, cette “gouvernomanie” s’empara de notre camarade (…) Comment furent élaborés ces cénacles ? Je vais vous le dire : dans toutes les provinces, c’est le secrétaire du PSP qui devint secrétaire général des ORI. Dans chaque cénacle, c’était un membre du PSP qui devenait secrétaire général de cénacle…”
Extraits de la “Version intégrale du discours de Fidel Castro, le 26 mars 1962”, in Œuvre révolutionnaire, n° 10, La Havane, 1962.
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Fidel Castro en 1962 sur le Parti, l’Etat…
“Quelle est la fonction du Parti ? Orienter. Le Parti oriente à tous les niveaux, mais ne gouverne pas à tous les niveaux. Il crée la conscience révolutionnaire des masses, les éduque, les entraîne, leur inculque les notions de socialisme, de communisme, les exhorte au travail, à l’effort, à défendre la Révolution. Il diffuse les idéaux de la Révolution, supervise, contrôle, veille, informe, discute ce qu’il a à discuter, mais n’a pas le pouvoir de nommer ou révoquer les administrateurs ou les fonctionnaires (…) Il est bon de se rappeler certaines réalités, par exemple le fait que nous avons mené une guerre, l’avons dirigée, l’avons gagnée, mais que sur les épaules d’aucun d’entre nous ne brillent des étoiles de général, ni sur nos poitrines ne tintent les moindres décorations. En tant que gouvernants, la première loi que nous avons proposée fut celle qui interdisait que l’on élève des statues. A cette époque, on ne débattait pas tant de mesquines questions sur le culte de la personnalité. Par conviction profonde, nous avions proposé d’établir l’interdiction légale d’élever des statues à des personnes vivantes, que l’on donne leur nom à des rues, des villes ou des œuvres. Plus encore, nous avions proposé que la loi interdise que nos portraits se retrouvent dans les lieux officiels. Par démagogie ? Non. Nous avons agi ainsi par profonde conviction révolutionnaire.”
Extraits de la “Version intégrale du discours de Fidel Castro, le 26 mars 1962”, in Œuvre révolutionnaire, n° 10, La Havane, 1962.