Le traité de libre échange avec le Canada, préfiguration du transatlantique
[NDR. TAFTA : traité de libre-échange transatlantique; AECG : Accord économique et commercial global ou CETA : Comprehensive Economic and Trade Agreement].
Par Patrick Le Hyaric, député européen (GUE)
Depuis mai 2009, le Canada et l’Union européenne négocient dans le plus grand secret un accord de libre-échange dit de nouvelle génération. On l’appelle CETA pour Compréhensive Economic and Trade Agrément.
Les négociations se sont terminées en septembre 2014. Il est prévu qu’il soit signé le 27 octobre à Bruxelles lors d’un sommet bilatéral entre le Canada et l’Union européenne. Puis le parlement européen et les parlements nationaux devraient en débattre et voter. Avant cela, il doit être approuvé par le conseil des ministres le 18 octobre prochain.
Le contenu de l’accord est similaire au projet de traité pour créer le grand marché transatlantique. Il en est la préfiguration.
Déjà, 81% des entreprises américaines basées en Europe ont une filiale au Canada. Les grandes multinationales des États-Unis pourront donc bénéficier indirectement des dispositions présentes dans le texte canadien. Mais, elles pourront aussi utiliser ce que l’on appelle le chapitre 8 du traité (UE/Canada) pour poursuivre un Etat membre ou même l’Union Européenne devant le tribunal arbitral privé international. Elles le feront au motif d’une rentabilité abaissée suite à une délibérations politique au nom du progrès social et de l’environnement.
Le projet d’accord prévoit non seulement de supprimer les derniers droits de douane dans de nombreux secteurs dont l’agriculture, mais aussi d’harmoniser les différentes réglementations pour favoriser le commerce. C’est évidemment une autre façon de décrire le démantèlement de nos lois, de nos normes sociales, sanitaires et environnementales.
L’une des inquiétantes nouveautés de ce traité, est qu’il est baptisé par Des négociateurs pourtant si peu poètes, « accord dit vivant », c’est-à-dire, qu’il institue des comités regroupant des « experts » canadiens et européens qui seront chargés de faire évoluer son contenu. Ils recouvrent des compétences diverse comme : le commerce des marchandises, l’agriculture, vins et spiritueux, la pharmacie, les services et les investissement, la douane commune, la coopération, les mesures sanitaires et phytosanitaires, les marchés publics, les services financiers, le commerce et développement durable, la coopération réglementaire, les indications géographique.
Ces comités dont les membres ne sont pas élus mais nommés sont un instrument parfait de la mondialisation ultralibérale. Ils permettent d’élargir et de faire vivre l’accord en dehors de tout contrôle démocratique contre les populations et l’intérêt général.
Tous les comités n’auraient pas les mêmes compétences, par exemple, celui en charge des mesures sanitaires et phytosanitaires a le pouvoir d’amender le texte du traité alors que celui du développement durable a des fonctions beaucoup plus limitées. On mesure ici a quel point ce système prédateur est conçu dans les moindres détails.
L’accord avec le Canada utilise un système sortie des cerveaux et de la langue de plomb des embrouilleurs –technocrates au service de ce système : Voici la liste dite « négative ». Le principe stipule que tout secteur qui n’a pas été expressément exempté dans l’accord sera automatiquement ouvert à la concurrence des entreprises privées des pays signataires.
Dans les accords commerciaux classiques, le système dit de liste positive est utilisé de sorte que l’ouverture de secteurs d’activité aux entreprises étrangères ne concernait que ceux explicitement cités.
Le potentiel de dérégulation et de mise en concurrence du nouveau système est énorme puisque tout manquement ou toute erreur dans le listing joue en faveur de la privatisation De plus, les Etats renoncent à la possibilité de réguler les secteurs économiques de demain ou de créer de nouveaux services publics puisqu’il n’est pas possible d’ajouter des exceptions à l’accord après son adoption.
Il ne sera plus possible pour les pouvoirs publics locaux, régionaux et nationaux de favoriser la production locale ou une façon de produire issue des traditions locales ou du souci de l’environnement.
Le seul critère qui vaille aux yeux des négociateurs ultralibéraux, c’est celui de la pression à la baisse sur les prix avec toutes les conséquences négatives que cela entraînera en termes de qualité, de respect du droit social et de l’environnement.
Le dispositif le plus dangereux de l’accord est le système d’arbitrage investisseur-état également présent dans le projet de traité transatlantique. (Voir mon livre Dracula contre les peuples)
Il permettra à des entreprises privées d’attaquer les décisions politiques prises par les États et les communes, départements, régions, si celles-ci considèrent qu’elles compromettent leurs investissements et leurs profits futurs. Si ce dispositif est adopté, les entreprises pourront faire valoir leurs intérêts quel que soit le résultat des élections et demander des compensations en cas de victoire. Cela en dit long sur les priorités du capitalisme mondial puisqu’il donne aux grandes entreprises « LE » pouvoir.
Des études, réalisée à la suite à l’accord de libre-échange ALENA conclu entre les États-Unis, le Mexique et le Canada en 1994, ont montré, comme c’était prévisible, que c’est toujours le pays avec la législation la plus protectrice qui est attaqué par les multinationales. Le Canada a versé plus de 135 millions d’euros à des entreprises privées.
S’agissant de la partie agricole de l’accord, il va ajouter de la concurrence à un secteur déjà en crise en Europe.
Dans les années qui ont suivies la signature de l’accord nord-américain ALENA, le Canada a vu disparaître 40% de son agriculture. Ce sont surtout les petites exploitations qui ont été touchées. Les éleveurs canadiens ont par exemple commencé à monter des filières spécialement dédiées à l’exportation en Europe.
Ce traité risque de conduire à la mise a mort de l’élevage européen, particulièrement l’élevage français. L’Union Européenne a accepté des contingents annuels d’importation de viande bovine et porcine qui vont détruire les filières françaises.
Les dirigeants européens condamnent donc à un choc violent les agriculteurs européens, déjà mis en grande difficulté par la fin de la régulation des prix.
L’autre enjeu concernant l’agriculture est la liste des indications européennes protégées par le CETA. Elle est très courte puisque l’accord n’en protège que 145 sur les 1500 reconnues par l’Union européenne. Les négociateurs et les ministres européens font valoir que c’est un progrès comparé à la situation actuelle, étant donné que les producteurs canadiens n’en respectent aucune. Les multinationales ont tout loisir de déposer des marques et des brevets tant qu’elles ont les moyens de les entretenir, alors que lorsqu’il s’agit d’un savoir-faire historique construit et préservé sur des générations, nous ne pouvons soit disant rien faire pour les protéger.
Le CETA sera également une catastrophe climatique, il enterre l’accord de Paris sur le climat.
Il ouvre totalement le commerce des matières premières et de l’énergie entre l’Union européenne et le Canada. L’exploitation du pétrole bitumeux et du gaz de schiste est considéré comme la base du « miracle » économique canadien, dont on peut voir le résultat dans la province de l’Alberta, totalement ravagée par cette industrie extrêmement polluante. Les entreprises européennes et françaises de l’énergie ont fait clairement savoir qu’elles étaient prêtes à saisir cette opportunité d’investissement. L’arbitrage investisseur-état va de plus rendre extrêmement difficile le passage de nouvelles lois plus strictes. Elles seront systématiquement attaquées par les multinationales.
La date de signature du traité avance à grands pas, en même temps que monte la mobilisation citoyenne contre ce précurseur du TAFTA. La fenêtre pour empêcher sa signature est étroite, mais ce n’est pas impossible. Nous avons mené et gagné un long combat pour que cet accord soit considéré comme mixte, c’est-à-dire que l’on considère qu’il relève de la compétence de l’Union européenne, en matière de commerce extérieur, et de celle des États membres étant donné les conséquences larges qu’ils aura sur leurs futurs choix politiques. Cela implique qu’après sa signature par les chefs d’états et de gouvernement, il devra être ratifié par le Parlement européen puis par les Parlements nationaux, Le parlement de la Wallonie a d’ailleurs déjà annoncé qu’il ne ratifierait pas le traité. Ce n’est pour l’instant qu’une demi-victoire puisque Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, s’est assuré que l’accord soit appliqué provisoirement après le vote européen.
Les parlementaires nationaux devront donc se prononcer sur un accord déjà en vigueur, la pression sera énorme. C’est à nous citoyens et élus d’exiger la non ratification et la non application de cet accord ultralibéral destructeur de nos services publics, de nos droits sociaux et de notre environnement.
Saint-Denis, le 7 octobre 2016.
Source : http://patrick-le-hyaric.fr/traite-libre-echange-canada/