Ces derniers mois, une vague insidieuse de menaces, d’inculpations pour des motifs forgés de toutes pièces, de campagnes de dénigrement, d’attaques et d’homicides visant des défenseurs de l’environnement et des militants du droit à la terre a fait du Honduras et du Guatemala les pays les plus dangereux de la planète pour celles et ceux qui cherchent à protéger les ressources naturelles, a déclaré Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public six mois après l’assassinat de la dirigeante autochtone Berta Cáceres.
We defend the land with our blood dénonce l’augmentation de la stigmatisation, des menaces, des attaques, des homicides et des dénis de justice auxquels sont confrontés les personnes et les communautés qui se battent pour la protection de l’environnement face à de grands projets d’exploitation minière ou forestière ou de barrages hydroélectriques.
La défense des droits humains est l’une des professions les plus dangereuses en Amérique latine, a fortiori pour les personnes qui osent œuvrer à la protection des ressources naturelles vitales. Ces personnes se retrouvent confrontées à des menaces d’un niveau inégalé, au point de risquer leur vie.
« La défense des droits humains est l’une des professions les plus dangereuses en Amérique latine, a fortiori pour les personnes qui osent œuvrer à la protection des ressources naturelles vitales. Ces personnes se retrouvent confrontées à des menaces d’un niveau inégalé, au point de risquer leur vie », a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice du bureau régional Amériques d’Amnesty International.
Sur les 185 meurtres de défenseurs des droits humains travaillant sur des questions liées à la terre, au territoire ou à l’environnement enregistrés dans le monde en 2015, 122 (soit 65 % !) concernaient des défenseurs originaires d’Amérique latine, selon Global Witness. Huit ont eu lieu au Honduras et 10 au Guatemala, ce qui classe ces pays aux premiers rangs de la région pour ce qui est du taux par habitant.
« L’assassinat tragique de Berta Cáceres semble avoir constitué un tournant meurtrier pour les défenseurs des droits humains dans la région. L’absence d’enquête transparente et efficace sur son assassinat a fait passer un odieux message, laissant entendre qu’il est de fait permis de tuer quelqu’un à bout portant parce qu’il s’oppose à de puissants intérêts économiques », a déclaré Erika Guevara-Rosas.
L’assassinat tragique de Berta Cáceres semble avoir constitué un tournant meurtrier pour les défenseurs des droits humains dans la région.
Honduras : des attaques meurtrières
L’assassinat de la dirigeante autochtone et défenseure des droits humains Berta Cáceres à son domicile, situé à quelques heures de route de la capitale hondurienne, Tegucigalpa, dans la nuit du 2 mars 2016, n’est qu’un cas dans la série d’attaques meurtrières dont son organisation a été victime.
Dirigeante du Conseil civique d’organisations populaires et indigènes du Honduras (COPINH), Berta Cáceres œuvrait depuis des années à la protection de la rivière Gualcarque face aux répercussions négatives que risquait d’avoir un barrage prévu dans la région.
Depuis le début de la campagne contre le barrage en 2013, Berta Cáceres avait reçu plusieurs menaces de mort, qui n’avaient jamais fait l’objet d’enquêtes sérieuses. Les autorités honduriennes ne lui avaient pas offert de protection efficace bien que la Cour interaméricaine des droits de l’homme le leur ait demandé.
Les attaques, menaces et manœuvres de harcèlement contre les membres du COPINH et de son organisation apparentée le MILPAH (Mouvement indigène lenca de la paix), qui œuvre à la protection des terres du peuple autochtone lenca, se sont multipliées après l’assassinat de Berta Cáceres. Des membres de ce peuple disent avoir été harcelés par des inconnus près de leur domicile et de leur station de radio communautaire.
Le 15 mars 2016, un autre dirigeant du COPINH, Nelson García, a été abattu dans la rue alors qu’il rentrait à moto chez lui, après avoir rencontré les Lencas pour organiser une manifestation plus tard dans la journée. Les autorités ont ouvert une enquête, qui n’a donné aucun résultat pour l’instant.
Le 6 juillet 2016, le corps sans vie de la militante du droit à la terre Lesbia Urquía a été découvert dans une benne à ordures de la ville de Marcala, à la frontière avec le Salvador. Quelques jours plus tard, les autorités ont arrêtés deux hommes en lien avec sa mort, mais ceux-ci n’ont toujours pas été inculpés.
Une semaine après, Martín Gómez Vásquez, un autre dirigeant du MILPAH, a été la cible de jets de pierres alors qu’il quittait la communauté d’Azacualpa, dans l’ouest du pays. Selon lui, ses attaquants étaient des membres d’une famille qui revendique la propriété d’une partie des terres ancestrales des Lencas. Les autorités honduriennes n’ont pas ouvert d’enquête sur cette attaque.
Des avocats et des militants réclamant justice pour le meurtre de Berta Cáceres ont aussi été la cible d’attaques et d’actes d’intimidation.
Le 13 juillet 2016, le bureau de Víctor Fernández, défenseur des droits humains et avocat de la famille de Berta Cáceres, a fait l’objet d’une intrusion. Les voleurs n’ont emporté que des informations concernant le dossier de Berta. La police a affirmé avoir ouvert une enquête sur cette affaire, mais aucun résultat n’a été obtenu à ce jour.
Le 2 mai 2016, le journaliste hondurien Félix Molina a été abattu alors qu’il circulait en taxi dans la capitale, Tegucigalpa. Il venait de publier un article sur l’affaire du meurtre de Berta. Les autorités n’ont pas mené de véritable enquête sur cette attaque.
Guatemala : des campagnes de dénigrement
Au Guatemala, les défenseurs de l’environnement et les militants du droit à la terre sont constamment soumis à des campagnes de dénigrement destinées à les couvrir d’opprobre et à les discréditer afin de les forcer à arrêter leur travail légitime. Ils font notamment l’objet de fausses accusations et de poursuites pour des motifs forgés de toutes pièces, visant à les réduire au silence.
Les populations qui luttent contre les projets d’exploitation de minerais ou d’autres ressources naturelles sur leurs terres sont particulièrement visées.
Plus tôt dans l’année 2016, l’une des anciennes dirigeantes de Resistencia Pacífica La Puya – une organisation qui lutte contre un projet local d’exploitation minière près de la capitale guatémaltèque – a été menacée, ainsi que ses deux jeunes fils. Elle a informé les autorités de ces menaces.
Elle pense que celles-ci visent à la décourager de poursuivre son travail d’opposition à la mine, dont elle dénonce les répercussions probables sur son peuple et ses terres.
À peu près à la même époque, l’un des principaux journaux du pays, Prensa Libre, a publié sur une pleine page une publicité dans laquelle un cadre de la compagnie minière nationale accusait les organisations de défense des droits humains de « terrorisme » – contribuant ainsi à la stigmatisation ambiante.
Une protection inefficace
Les mécanismes de protection des défenseurs des droits humains menacés se sont révélés inefficaces dans les deux pays.
Au Honduras, une loi a instauré un mécanisme de protection des défenseurs en danger, mais, dans la pratique, ce programme n’a pas été efficacement mis en œuvre par manque de volonté politique et de moyens financiers. Les défenseurs des droits humains se plaignent de n’être pas suffisamment consultés sur leurs besoins et se voient parfois offrir une protection par les forces de sécurité mêmes qui sont soupçonnées de les attaquer ou de les menacer.
« Combien d’autres défenseurs des droits humains comme Berta devront encore mourir avant que les autorités ne fassent le nécessaire pour protéger celles et ceux qui défendent notre planète ? L’absence de justice favorise le climat de peur et d’impunité qui est à l’origine de ces crimes », a déclaré Erika Guevara-Rosas.
https://youtu.be/Si_oPgs59uM?t=14