Entretien avec Omar Vacas Cruz
Images: Walker Vizcarra
Contexte
En Amérique du Nord, il y a eu des sites de domestication (Mexique et Guatemala, spécifiquement), où diverses plantes ont été domestiquées et cultivées il y 10 000 ans. Il ne faut pas oublier que le maïs, dont le centre de domestication se situait au Mexique, est la céréale ayant le plus gros volume de production au niveau mondial, dépassant même le blé et le riz.
En Amérique du sud, il existe certaines espèces comestibles importantes, telles les courges dans la culture Las Vegas, située dans la péninsule de Sainte Hélène, et qui font partie des plus anciennes existant en Amérique. Il existe également des plantes hallucinogènes comme le San Pedro, lequel contient l’alcaloïde mescaline. Cet alcaloïde se trouve également dans le peyote de Mésoamérique, lequel était utilisé il y a approximativement 5 700 ans. Dès lors, lorsque l’on parle de plantes, les cultures incas et pré-incas, bien que méconnaissant la roue, ont domestiqué près de 70 espèces végétales, parmi lesquelles racines et tubercules, grains et légumineuses, condiments, fruits etc.
Qu’a impliqué le fait de sauter le pas et domestiquer, cultiver ces plantes ?
Il y a deux hypothèses. La traditionnelle énonce que l’homme était nomade, et qu’en se sédentarisant il a commencé avec l’agriculture… Cependant, de nouvelles versions mentionnent la religion comme point de départ (il y a les pyramides en Mésoamérique, et des sites de caractère religieux-astronomique au Sud, comme Cochasqui en Equateur). Les cultures ancestrales avaient pour logique d’observer les astres. Chacune de ces deux tendances a fait qu’en ces lieux de domestication, a existé une importante présence de l’agriculture. Il convient de relever que les peuples ancestraux andins vivaient, et vivent, en communion avec Mère Nature sur les plans matériel et immatériel ; à cette intégralité, et non isolement, convient seulement une spiritualité, innée à chacun. Le divin se trouve en tout et vit en tous. Pour cette raison, dans [l’imaginaire] andin, il ne saurait exister de religion, sinon une spiritualité, car le runa, alphabet andin, a toujours considéré le corps et l’âme comme une seule unité, intrinsèque et indivisible.
En 1492, quand l’Amérique était « découverte », il y a eu un important échange de plantes entre [ce continent] et l’Europe, et vice versa. Toutefois, c’est autour du XVIIIème siècle que s’opère la redécouverte de l’Amérique, du fait des différentes missions arrivées en Equateur, plus particulièrement la Mission géodésique Française en 1736, laquelle marque un tournant historique, non seulement dans le domaine topographique en tant que tel, mais aussi dans celui de la flore native, étant donné que dans cette première mission topographique, il y eut non seulement des géographes, mathématiciens et astronomes, mais aussi des physiciens, médecins et botanistes.
Il y eut également des missions espagnoles, telle l’Expédition botanique de Nouvelle Grenade, et l’Expédition royale espagnole du Pacifique durant laquelle voyagèrent médecins et botanistes. Ces derniers réalisèrent des recherches, contribuant ainsi à la pharmacopée américaine, l’intérêt résidant dans le fait de disposer de plantes pour soulager douleurs et pathologies, qui étaient très récurrentes à cette époque, particulièrement en Europe.
La flore équatorienne compte une diversité extraordinaire, avec 18 766 espèces et un potentiel énorme de substances bioactives. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que la pharmacie européenne a une histoire beaucoup plus ample en termes de recherche.
Le savoir autochtone a-t-il aidé à l’identification des plantes ?
Quand il y avait une excursion botanique, les peuples indigènes étaient toujours consultés : « à quoi servent certaines plantes ? », et ceux-ci fournissaient généreusement l’information ancestrale ; plus tard, la science basique définirait les métabolismes secondaires et leurs possibles usages. Ces peuples donnaient les premières orientations et guides de l’ethnomédecine, information transmise oralement de génération en génération.
Il convient de rappeler que sept Équatoriens sur dix emploient les plantes médicinales dans les premiers soins, et cela car les plantes médicinales sont bénéfiques ; dans le cas contraire elles ne seraient pas utilisées. La plante médicinale est préventive et est toujours utilisée sous forme d’infusion, bain, compresse, teinture etc., afin de soulager certaines douleurs, telle celle provoquée par les caries dentaires. Le myrte est employé pour l’hygiène buccale. On en mastique la feuille pour combattre les caries dentaires. Selon les études sur l’activité antimicrobienne réalisés, il a été prouvé que l’huile essentielle de cette plante a un effet bactéricide sur le Streptococcus mutans, agent à l’origine des caries dentaires.
Dans quelle mesure avance-t-on avec ces connaissances aujourd’hui ?
L’Equateur regarde encore ce qui se passe et se fait chez le voisin. De fait, dans les centres naturalistes de Quito, 80% des produits naturels commercialisés sont péruviens. De 10 à 15% colombiens et brésiliens, et 5% à peine équatoriens. Cela reflète plus ou moins, notre avancement dans le domaine des “produits naturels conditionnés à des fins de médecine traditionnelle”. Il faut également prendre en compte le fait que tout ce qui se vend dans les centres naturalistes n’est pas toujours bon. Il y a beaucoup de contrefaçon. Il faut donc savoir quoi prendre et quoi acheter, ce pourquoi la science est vulgarisée : pour que le citoyen lambda prenne conscience de ce que tout ce qui se vend comme naturel n’est pas forcément bon.
En outre, les plantes provoquent des effets secondaires, peuvent contenir des alcaloïdes toxiques pour le foie, telle la bourrache, ce pourquoi il n’est pas convenable de consommer cette dernière sur une période prolongée, car elle endommage le foie. De la même façon, en prenant une dose trop élevée de valériane, l’on peut souffrir divers symptômes tels que vision floue, arythmie cardiaque, maux de tête, nausées et désarroi. Cela dit, la majorité du temps, on pense que, comme il s’agit d’une plante, cette dernière sera bénéfique pour la santé alors que ce n’est pas toujours le cas.
En 2016, l’établissement pharmaceutique public Enfarma,a été suspendu, il avait pour mission de « contribuer à la protection de la vie à travers la production et fourniture de médicaments organiques difficiles d’accès et autres au Réseau de Santé, et de soutenir le renforcement de l’industrie pharmaceutique nationale au travers de la fourniture de matière première. » C’est pour cette raison que l’on a soutenu la recherche élémentaire à l’université, afin de découvrir certains principes actifs qui pourraient par la suite servir de matière première dans l’élaboration de médicaments. A titre d’exemple, l’artemisia annua, connue comme absinthe, a traditionnellement été utilisée pour combattre la malaria. De fait, le lauréat du Prix Nobel de 2015, Youyou Tu, a remporté ce dernier grâce au vaccin contre la malaria, information qu’il a obtenue dans des textes de médecine traditionnelle chinoise du IVème siècle de notre ère en relation à l’armoise, médicament obtenu à partir de l’absinthe. Pour en revenir au cas équatorien, la fermeture d’Enferma a malheureusement signifié une grande perte. L’Equateur manque encore de recherches élémentaires et appliquées, mais de grands pas ont sans doute été réalisés.
Existe-t-il des politiques publiques qui appuient l’élaboration de produits naturels et combattent la biopiraterie ?
Bien évidemment. Récemment, dans le Journal Officiel 308 (ES) du lundi 11 août 2014 a été publié le « Règlement substitutif pour l’obtention du registre sanitaire et contrôle des produits naturels conditionnés à des fins médicales, ainsi que celui des établissements de production, stockage, distribution et commercialisation ». En juin 2016, Le Secrétariat à l’Education supérieure, science, technologie et innovation (Senescyt) a remis un premier rapport sur la biopiraterie et promu le Code Organique d’Economie sociale des connaissances, créativité et innovation, plus connu comme Code d’Ingéniosité comme mécanisme d’évitement de l’appropriation indue des ressources génétiques endémiques d’Equateur. Des 6452 espèces endémiques que compte le pays, 17 disposent de 128 brevets identifiés à une échelle internationale. Cependant, ces brevets ne jouissent pas des autorisations correspondantes pour l’accès aux ressources génétiques. Les Etats-Unis d’Amérique, l’Allemagne et les Pays-Bas figurent en tête de liste des Etats biopiratant le plus les ressources génétiques endémiques d’Equateur. Parmi les ressources génétiques endémiques d’Equateur les plus biopiratées, l’on trouve le tomatillo (Physalis peruviana), les algues brunes des Galapagos (Ochrophyta sp.), les perles noires (Capsicum annuum), Pleuropetalum darwinii, la courge équatorienne (Cucurbita ecuadorensis), le coton de Darwin (Gossypium darwinii), entre autres. Le Tomatillo, par exemple, employé pour lutter contre les plaies, compte 21 brevets pour Israël.
La biopiraterie affecte également le savoir local… Comment peut-on freiner cela ?
Le directeur exécutif de l’Institut Equatorien de Propriété Intellectuelle (IEPI) a déclaré au sujet de la biopiraterie, que « la biodiversité [devait] être protégée ». Il a également assuré que depuis cette entité publique, seraient prises « toutes les actions nécessaires » pour déposer des actions en nullité des brevets visées par le rapport, considérant que « l’autorisation de l’Etat équatorien pour accéder à ces ressources génétiques n’avait pas été obtenue ».
Quelle capacité a l’Equateur pour disposer de tout ce l’Etat compte en flore, pour lancer une entreprise qui bénéficie aux personnes en termes de santé ?
Il faut se rappeler que l’Equateur est l’un des 17 pays jouissant d’une méga-diversité. Il compte une diversité énorme en flore et faune. Il existe approximativement 3000 plantes usées à des fins médicinales. De ces 3000 plantes, 5 ont été identifiées comme prometteuses pour le traitement des troubles hépatiques et rénaux, du diabète, de l’arthrose etc. ll s’agit de l’absinthe, l’ail des montagnes, la mosquera, la buscapine et l’orejuela. Il faut admettre que la distance qui nous sépare des pays développés en termes de recherche et technologie est énorme. De toute façon, l’Equateur réalise des pas fermes et importants au niveau régional, la recherche a beaucoup évolué avec le soutien économique de l’Etat.
Actuellement, l’Assemblée nationale discute le thème des cannabinoïdes, composés organiques obtenus à partir du cannabis, pour le traitement du cancer. En Equateur, on utilise déjà les cannabinoïdes dans les cas d’épilepsie, depuis quelques cinq années. Cela dit, pour le moment, l’Assemblée discute de la commercialisation libre de ces composés à des fins thérapeutiques. Espérons que la loi soit adoptée, car beaucoup de patients souffrant de cancer le demandent. L’existence de plantes médicinales qui, à travers leurs principes actifs, soignent, traitent et endiguent certaines pathologies, fait partie du bien-être permettant d’avoir une meilleure qualité de vie.
Ikiam et Yachay sont-elles impliquées dans ces recherches ?
Sur le campus de Yachay, allait être construit le Complexe pharmaceutique de Enfarma. Espérons que cela aboutisse ultérieurement. Cependant, c’est Ikiam qui gère la partie de la recherche. De plus, le campus d’Ikiam dispose d’un emplacement extraordinaire dans la Réserve biologique Colonso-Chalupas…
Ikiam a récemment obtenu le soutien économique de l’Etat pour poursuivre ses activités opératives et administratives. Ainsi, les universités d’Etat et universités privées travaillent pour le bien-être.
Traduction d’espagnol par : Nanette ONU