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A la veille du référendum britannique du 23 juin, les adversaires du Brexit affirmaient que la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) représenterait un saut dans l’inconnu. Les partisans de cette sortie, eux, ne s’étaient même pas souciés du « jour d’après », comme on l’a vu dans les trois semaines loufoques qui ont conduit Theresa May au 10 Downing Street en remplacement de David Cameron. Les deux personnages clés de la campagne pour le Brexit – Nigel Farage, pour le parti europhobe Ukip, et Boris Johnson, pour les eurosceptiques du Parti conservateur – avaient refusé d’assumer leur victoire : le premier en se retirant, mission accomplie dit-il, de la vie politique ; le second en renonçant à briguer le poste de premier ministre. Très habilement, Theresa May le nomma à la tête du Foreign Office pour l’obliger à s’impliquer personnellement dans les négociations à venir entre Londres et les 27 autres membres de l’UE.
Faute de précédent de la sortie d’un Etat de l’UE, telle que prévue dans l’article 50 du traité de Lisbonne, nul ne sait comment ces négociations vont être menées et avec quels résultats. Pendant au moins deux ans (délai fixé par cet article), elles vont donc constituer un objet d’étude à ciel ouvert pour les partis, les mouvements – et peut-être un jour des gouvernements – qui aspirent à réformer, refonder ou quitter l’UE. Mais aussi pour ceux qui envisagent seulement des modifications cosmétiques au statu quo.
Deux leçons peuvent d’ores et déjà être tirées du succès du Brexit, et elles ont une portée qui dépasse largement les frontières du Royaume-Uni. La première vaut pour les partisans du « Remain » et, d’une manière générale, pour la plupart des gouvernements et partis de gouvernement européens : leurs arguments de caractère apocalyptique pour mettre en garde les électeurs contre les désastres supposés qu’entraînerait la sortie de l’UE ne font pas majoritairement recette. Le simple fait que ces gouvernements aient eu recours à une rhétorique presque uniquement négative – et souvent aussi mensongère que celle du camp du « Leave » – montre leur incapacité à citer suffisamment de bonnes raisons de défendre l’UE. Que pèse en effet le succès – reconnu par tous – du programme d’échange d’étudiants Erasmus face à des politiques décidées ou cautionnées au niveau européen à l’instigation de la Commission : mesures d’austérité, chantage aux délocalisations, bas salaires, déserts industriels, démantèlement des services publics, concurrence sauvage entre territoires, etc. Sans parler de l’absence d’une politique commune des flux migratoires pourtant urgente.
La seconde leçon vaut pour les partisans d’une forme ou une autre de « Leave » ou d’une refondation de l’UE. Comme on l’a vu au lendemain du 23 juin, un succès électoral peut provoquer un « effet boomerang » s’il ne s’inscrit pas dans un plan B soigneusement préparé. L’amateurisme et la débandade des leaders du Brexit ont conduit une partie de ses partisans à regretter ensuite leur vote. On aboutit ainsi à une impasse : une majorité d’électeurs désapprouve les politiques (et pour certains d’entre eux l’existence même) de l’UE et de l’euro, mais une autre majorité désapprouve ceux qui les combattent sans formuler des alternatives crédibles ! La voie est donc très étroite pour ceux qui croient qu’une autre Europe – solidaire et progressiste – n’est pas impossible. C’est pourquoi, même si elle est déclenchée par une décision nationale souveraine, toute mise en place d’un plan B peut difficilement faire l’économie d’alliances avec une masse critique de forces d’autres pays européens partageant les mêmes objectifs. Vaste chantier !