Femmes africaines unies contre le microcrédit, l’exploitation des plus pauvres
Par Fátima Martín (*), Femenino Rural
Être femme, pauvre et africaine. Voici les trois critères favoris des vautours du microcrédit qui, sous prétexte de lutter contre la pauvreté et avec la bénédiction d’organismes comme les Nations Unies (PNUD), USAID ou encore la Banque européenne d’investissement, les escroquent, les endettent et les ruinent. Leurs victimes font l’objet de menaces et se voient même incarcérées, comme au Mali, elles perdent leur famille, tombent dans la prostitution, se suicident, comme au Maroc, ou se sont surendettées pour ne pas mourir sans pouvoir se payer une césarienne, comme au Congo Brazzaville. Désormais, les femmes africaines de divers pays conjuguent leurs forces pour se libérer de l’asservissement de la microfinance. Nous avons eu l’opportunité de rencontrer et d’interviewer Fatima Zahra du Maroc, Amélie du Congo Brazzaville, Émilie du Bénin et Fatimata du Mali à l’occasion de l’Assemblée mondiale du réseau international du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM) organisée en avril dernier à Tunis. Elles nous y ont fait part de leurs expériences respectives.
Fatimata Boundy est une enseignante retraitée malienne. Elle affirme que des dizaines de femmes sont incarcérées dans son pays faute de pouvoir faire face aux dettes découlant de microcrédits représentant environ 150.000 francs CFA (soit 228 euros). Ces femmes se consacrent généralement à une activité informelle, un petit commerce, de la vente ambulante, etc. Quand elles ne parviennent plus à payer les intérêts abusifs qui leur sont exigés, elles font l’objet de pressions et se voient confisquer leurs biens, voire même emprisonner. Aucun procès n’a encore eu lieu. « Nous avons lancé un appel à la solidarité internationale. Une rencontre de femmes se tiendra d’ailleurs au Mali en 2017 », nous assure Fatimata.
Cet événement fera suite à la Caravane internationale des femmes contre le microcrédit organisée dans la région de Ouarzazate au Maroc en 2014. Fatimata avait pu y écouter les témoignages de victimes marocaines. « Suite à ses dettes, l’une de ces femmes a perdu son travail et son mari. Son fils unique n’a alors eu d’autre choix que celui de partir à l’aventure. Je me suis mise à sa place et sa douleur m’a envahie. Ce jour-là, j’ai pleuré. », raconte-t-elle.
Fatima Zahra : « La finance internationale possède des intérêts stratégiques au Nord et au Sud. La pauvreté est son marché. »
Fatima Zahra, étudiante marocaine de français âgée de 30 ans, nous explique que les agents des structures de microfinance font contracter des microcrédits dont les taux d’intérêt atteignent jusque 45 % à des femmes qui ne savent ni lire ni écrire. Ils n’hésitent pas à visiter leurs domiciles pour y identifier les éventuelles possessions de valeur faisant office de garantie. Une fois que ces femmes ne sont plus en mesure de payer, ils reviennent les voir chez elles et les forcent à vendre leurs biens. « Certaines se prostituent, d’autres se suicident ou fuient leur foyer en raison de l’humiliation et perdent donc leur famille. Les enfants subissent aussi de plein fouet les conséquences des microcrédits, contraints de mettre un terme à leurs études pour aider leurs mères à rembourser. Ces institutions de microcrédit vont jusqu’à proposer des emprunts à des élèves encore au lycée. Les conséquences sont à la fois psychologiques et sociales », explique-t-elle.
Avec 12 institutions, plus d’un million de clients actifs et une exposition de 500 millions d’euros, le secteur de la microfinance au Maroc est le plus dynamique de la région MENA (Moyen-Orient et Nord de l’Afrique), d’après Jaïda (le Fonds de financement des organismes de micro-finance au Maroc). Son site web indique d’ailleurs sans aucune gêne que « le taux d’intérêt est libéralisé ».
Les institutions locales de microfinance sont protégées par le régime dictatorial, le Majzén, financées par le secteur financier marocain (Bank-Al-Maghrib) ou la CDG (Caisse de Dépôt et de Gestion), par le secteur financier étranger et même subventionnées par des organisations internationales comme le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), l’Agence des États-Unis pour le développement international de USA (USAID), la Banque européenne d’investissement (BEI) et l’Agence espagnole de coopération internationale au développement (AECID).
- Ilustración : Eduardo Luzzatti
Par exemple, parmi les actionnaires fondateurs de Jaïda figurent des entités allemandes et françaises sensées soutenir le développement comme la KfW (la banque de développement allemande), la CDC (Caisse de Dépôts et Consignations) et l’AFD (Agence française de développement). Il n’est pas rare de trouver également derrière ces institutions de microcrédit d’importantes personalités nationales ou internationales. L’association de microcrédit INMAA est liée à l’ONG AMSED et à PlanetFinance, du ’parrain’ Jacques Attali, fondateur d’Action contre la faim, alors que Al Amana a élevé au titre de président d’honneur Driss Jettu, ancien premier ministre du Maroc sous Mohamed VI.
« La finance internationale possède des intérêts stratégiques au Nord et au Sud. La pauvreté est son marché », affirme Fatima Zahra. Elle estime que le mouvement des associations des victimes du microcrédit est très important pour « des femmes qui sont parvenues à se libérer de tous les dogmes patriarcaux, à sortir dans la rue pour lutter contre les politiques néolibérales et cesser de rembourser. Des femmes qui se rebellent contre l’austérité imposée par le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale (BM), les véritables responsables. Nous n’avons pas remporté toutes les batailles mais nous poursuivons la lutte. »
« Soit les femmes s’endettent au travers de microcrédits pour bénéficier d’assistance médicale, soit elles meurent faute de pouvoir se payer une césarienne. »
Amélie Kiyindou, représentante pharmaceutique au Congo Brazzaville, explique comment son pays a accepté l’Initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE) du FMI et de la BM. Vu le manque d’investissements dans les programmes sanitaires, les femmes doivent y choisir entre s’endetter au travers de microcrédits pour bénéficier de l’assistance médicale ou mourir faute de pouvoir se payer une césarienne.
« Les microcrédits se présentent comme une voie pour sortir de la pauvreté mais dans les faits, les intérêts obligent les femmes à rembourser plus que ce qu’elles gagnent, de sorte à ce qu’elles enchaînent les emprunts. Celles qui sont conscientes des conséquences néfastes tâchent d’informer la population sur les risques du cercle vicieux de l’endettement », ajoute-t-elle. Étonnamment, le FMI promeut des conférences intitulées « Finance pour tous : Promouvoir l’inclusion financière en Afrique centrale » qui encouragent les femmes, piliers de leurs familles, à tomber dans les griffes de la microfinance.
« Le FMI et la BM ont surendetté mon pays. Désormais, la même austérité fait son chemin au Nord. »
Émilie Atchaka, paysanne du Bénin, a trouvé une issue autogérée aux besoins de financement des femmes de sa communauté. Son mari s’est retrouvé sans emploi suite aux programmes d’ajustement structurel draconiens imposés par le FMI à son pays depuis 1989. Mère de quatre enfants, elle a alors dû ramener seule de quoi faire vivre toute la famille. S’inspirant d’un système de collecte traditionnel en Afrique appelé la tontine, elle a fondé le Cercle d’Autopromotion pour un Développement Durable (CADD), « notre propre banque de femmes qui se destinent à la formation », qui applique de faibles intérêts. « Nous avons mis sur pied cette alternative car le gouvernement n’assume pas sa responsabilité », déclare-t-elle.
Émilie raconte que les entreprises de microcrédit vont jusqu’à donner publiquement à la radio les noms des femmes qui ne parviennent pas à rembourser leurs emprunts. Pour elle, « tout cela nous fait beaucoup réfléchir. Le FMI et la BM ont surendetté mon pays. Leurs programmes d’ajustement structurel ont poussé les femmes à contracter des microcrédits, financés de surcroît par la banque mondiale. Cet instrument les ruine, les mène jusqu’au surendettement et à l’appauvrissement. Il ne possède aucune dimension sociale et vise le seul profit. Désormais, la même austérité fait son chemin au Nord, une austérité qui n’entraîne aucun développement. Tous les peuples doivent se méfier de ces institutions de microcrédit, qui sont les petites mains de la banque mondiale. Il faut opérer un suivi strict de ces institutions et les éliminer. »
(*) Auteure
Fátima Martín Journaliste, est membre du CADTM et de la PACD, la Plateforme d’Audit Citoyen de la Dette en Espagne (http://auditoriaciudadana.net/). Elle est l’auteure, avec Jérôme Duval, du livre Construcción europea al servicio de los mercados financieros, Icaria editorial 2016. Pour rappel, voir son dernier article : Una bomba de austeridad
Traduction : Sarah Berwez