Et si les coupables du dérèglement climatique devaient enfin rendre des comptes pour ses conséquences catastrophiques et souvent meurtrières sur des populations entières, forcées à l’exil à cause d’une sécheresse ou d’une montée des eaux ?
C’est une chose dont on n’entend pas assez parler : le changement climatique tue. Les phénomènes climatiques extrêmes qu’il engendre ont déjà fait de nombreuses victimes, qu’il s’agisse de tempêtes ou d’inondations violentes, par exemple. Les victimes en sont généralement les populations les plus pauvres : les inégalités climatiques recoupent bien souvent les inégalités économiques.
C’est pourquoi un mouvement prend de l’ampleur depuis quelques années : celui pour la justice climatique. Sa revendication est simple. Elle consiste à demander des comptes aux industries et entreprises climaticides pour les dommages irréversibles qu’elles font déjà subir à certaines populations. En somme, de les tenir juridiquement responsables pour les dégâts humains et environnementaux dont elles sont la cause.
Une plainte déposée aux Philippines
Le 22 septembre 2015, Greenpeace Asie du Sud-Est et Philippine Rural Reconstruction Movement, aux côtés de personnes physiques survivantes à des typhons ou des cyclones, ont déposé un recours à la Commission des droits de l’homme des Philippines pour :
- – demander aux autorités philippines une investigation sur la responsabilité des entreprises liées aux énergies fossilespour leur contribution significative aux changements climatiques en ne réduisant pas les émissions de gaz à effet de serre alors qu’elles en ont la capacité.
– demander que ces entreprises aient l’obligationde soumettre leurs plans pour éliminer, remédier et prévenir les effets dévastateurs du réchauffement climatique dans ce pays particulièrement vulnérable face aux dérèglements climatiques.
– demander au gouvernement philippin de prendre également des mesures appropriées en vue de réduire ces effets, c’est-à-dire d’adopter une législation qui imposerait des obligations à ces entreprises en matière environnementale et qui permettrait aux victimes d’obtenir réparation devant la justice.
Il s’agit là d’une démarche juridique complètement inédite. Elle s’inscrit dans un mouvement citoyen visant à demander des comptes à la justice pour les dégradations environnementales qui constituent des violations des droits fondamentaux, comme celui de vivre dans un environnement sain ou encore le droit à la santé.
Total et Lafarge visés
C’est un total de 47 entreprises qui sont visées par la plainte et qui vont devoir s’expliquer : Total, Lafarge pour les entreprises françaises, mais aussi d’autres grandes multinationales, comme Chevron, ExxonMobil, BP, Royal Dutch Shell ou encore Glencore.
Concrètement, il leur est reproché de contribuer, par leurs activités, à l’augmentation globale du CO2 et du méthane dans l’atmosphère. Des scientifiques (EN) ont notamment contribué à démontrer la réalité de ces augmentations, ainsi que le lien de cause à effet avec l’activité des entreprises incriminées – pétrolières pour la plupart. Elles seraient responsables d’une augmentation de 21,6% des émissions de gaz à effet de serre mondiales entre 1751 et 2013.
Ce 27 juillet 2016, la Commission des droits de l’homme envoie donc la plainte déposée par les requérants aux PDG de ces entreprises. Ceux-ci devront alors soumettre leur réponse dans un délai de 45 jours. L’audience devrait ensuite se tenir en octobre 2016 aux Philippines.
C’est la première fois qu’une Cour des droits de l’homme se saisit de la question du réchauffement climatique et de la responsabilité d’entreprises privées. C’est donc un grand pas en avant. Rappelons que l’Accord de Paris se propose de limiter l’augmentation des températures mondiales à 1,5°C supplémentaire d’ici la fin du siècle. Ce qui suppose dans les faits de laisser environ 80% des réserves fossiles dans le sol, et donc de bifurquer vers un monde alimenté à 100% en énergies renouvelables d’ici à 2030. D’un mot : il faut tout faire pour en finir avec les industries climaticides.