Par : Harold Hyman et Stéphanie Petit. Opinion Internationale
À cette cinquième édition de la Conférence interreligieuse du Kosovo – Interfaith Kosovo – consacrée à la violence extrémiste contre les femmes, Tawakkol Karman a pris la parole pour dénoncer le musèlement de la presse dans le monde arabe et, implicitement, en Égypte. La connaissance, la lutte contre la corruption et la démocratie sont les remèdes contre la montée du terrorisme qui se prétend islamique.
On ne l’avait pas vue ces derniers temps, et pour cause : les printemps arabes prennent fin. Sauf en Tunisie. Tawakkol Karman était la pasionaria du Yémen. Dès la fin 2010, elle a vibré pour le changement, qui passerait nécessairement pas le renversement du président Ali Abdallah Saleh. Journaliste engagée, elle s’est montrée anticonformiste dans une société patriarcale. Elle a dénoncé la censure du régime, exprimant son souhait de voir la politique de son pays se transformer sous les couleurs du parti Islah, la Réforme, dont une branche est affiliée aux Frères musulmans – ce n’est pas le cas, semble-t-il, de la branche de madame Karman. Lorsqu’en 2012 les mouvements intellectuels et progressistes ont commencé à céder le pas à un début de guerre civile, madame Karman avait déjà reçu le prix Nobel de la paix 2011, conjointement avec deux autres femmes fortes : Ellen Johnson Sirleaf et Leymah Gbowee du Liberia. Elle a tenté de naviguer dans le marécage de la politique, en Égypte comme au Yémen : elle a appuyé le renversement de Hosni Moubarak, critiqué Mohammed Morsi avant de s’opposer au nouveau régime anti-Frères musulmans.
Toujours attachée à la libération des femmes dans son pays, elle refuse de voiler son visage depuis déjà quinze ans. Elle a fondé une association de femmes journalistes et appuyé les causes féministes au Yémen. Ayant dénoncé les prébendes et autres arrangements économiques des chefs de tribus au pouvoir dans son pays, elle s’est tenue en dehors de la guerre civile yéménite.
Elle est venue au Kosovo en ce début du mois de juin pour évoquer l’importance des libertés de la presse, et d’expression en général. Bâillonner l’opposition, dissoudre des partis, voilà une recette de violence. « Les Arabes adorent la parole. Leur interdire de parler, c’est leur causer une frustration terrible, qui conduit inévitablement à un extrémisme violent. » Les faits en Égypte semblent lui donner raison : le terrorisme s’est amplifié après l’interdiction des Frères musulmans en 2013. Évidemment, nul ne peut dire si sa logique explique tout. Mais sa carrière de journaliste féministe lui donne une légitimité pour dénoncer les censures dans le monde arabe et le patriarcat tribal dans son propre pays. « La révolution que j’ai tenté de faire était contre les dictateurs et la violence extrémiste. Je disais aux sceptiques qu’il fallait renverser les dictateurs et instaurer la démocratie, mais les cyniques me disaient que les Occidentaux ne le permettraient pas. J’ai persévéré, mais aujourd’hui je constate que les cyniques avaient raison. »
Déçue mais encore combative, Tawakkol Karman argumente que l’ignorance religieuse progresse dans une ambiance de censure, qu’il n’y a personne d’honnête pour parler vrai en matière de religion.
Force est de constater que sa lecture des évènements dans le monde arabe n’incite pas à l’optimisme.