Par Miriam Gablier
Certaines données scientifiques nous questionnent sur notre identité. Car face à certains chiffres, nous sommes en droit de nous demander : mais qui sommes-nous vraiment ? Vertige au pays du « Moi ».
Pour commencer, la science nous dit que nous sommes faits en moyenne à 70% d’eau. Mais si l’on compte le nombre de molécules d’eau dans une cellule, du fait que ces molécules sont plus petites, il y en a beaucoup. A vrai dire, énormément. « L’eau représente 70% de la masse d’une cellule. Mais si l’on compte les objets, c’est-à-dire le nombre de molécules présentes dans une cellule, celle-ci est alors faite à 99% d’eau. Il faut compter jusqu’à 100 pour trouver un objet qui ne soit pas de l’eau dans une cellule », nous dit le Pr Marc Henry, chercheur en chimie et spécialiste de l’eau. 99% des molécules qui composent nos cellules sont des molécules d’eau, ça commence fort.
De plus il y a, non pas 2 fois, mais 10 fois, plus de bactéries dans notre corps que de nos propres cellules humaines. 10 puissance 15 bactéries contre 10 puissance 14 cellules. C’est simplement vertigineux. Un zéro de plus sur un chiffre déjà faramineux, ça fait une différence énorme. « C’est-à-dire que (plus de) la moitié de moi-même, ce n’est déjà pas moi-même en quelque sorte », explique Jeremy Narby, un anthropologue qui s’est penché sur la question. Que font-elles là, toutes ces bactéries ? Sont-elles en train de nous parasiter ? Pas du tout. « Nous avons besoin de ces bactéries pour préserver le bon fonctionnement de notre écologie interne. Par exemple, nous ne pouvons pas synthétiser toutes nos vitamines sans elles, ou encore, la présence de certaines bactéries ou certains champignons nous aide à éloigner d’autres bactéries ou champignons », explique Dorion Sagan, fils et collaborateur de Lynn Margulis, une biologiste spécialiste des bactéries.
Il y a aussi que les cellules humaines de notre corps, celles qui ne sont pas des bactéries, sont quand même issues de bactéries. Décidément. « Nos propres cellules, celles qui composent nos tissus, sont le résultat d’une symbiose de plusieurs bactéries qui ont accepté de fusionner pour former une cellule plus complexe », poursuit Dorion Sagan. Comme nous l’explique l’article « La coopération du vivant » (Inexploré n°21), il y a de cela des milliards d’années des bactéries ont accepté de s’emboîter pour être plus efficaces ensemble, ce qui a donné naissance à l’ancêtre de la cellule humaine. Et nous pourrions continuer à sortir d’autres données étonnantes du chapeau de la science, sur la composition de notre corps humain… La question qui émerge alors, est : qui sommes-nous dans tout ça ?
Le tout est plus que la somme de ses parties
Ce que ces données nous amènent surtout à comprendre, c’est que nous ne sommes pas une « chose » ou un objet spécifique, à part du reste du monde. Nous sommes composés des mêmes éléments chimiques et des mêmes bactéries qui composent la nature. Cela fait que nous ne pouvons pratiquement pas, par exemple, trouver de molécules qui soient exclusivement humaines. Nous aurions bien quelques gènes à nous, mais très peu au final. Nous partageons la très grande majorité de notre génome avec nos cousins les primates. Alors qu’est-ce qui explique nos caractéristiques ? Qu’est-ce qui fait de nous des êtres humains ? Car, si sous les microscopes la différence n’est pas frappante, il est indiscutable qu’à grande échelle nous avons nos spécificités.
La réponse ne se trouverait pas dans les composants de notre corps, mais dans la manière dont ils s’organisent. De nombreux philosophes et scientifiques expliquent que c’est dans l’agencement spécifique des parties qui nous composent, et dans la manière qu’elles ont de produire un flux d’information, que la caractéristique de toute chose apparaît. Nous serions alors composés d’échantillons du monde, agencés de manière humaine. « En biologie, les nouvelles découvertes nous montrent que la cohérence d’ensemble émerge de l’interaction entre les parties, mais n’existe pas dans les parties elles-mêmes », nous explique le philosophe des sciences Erwin Laszlo dans ses cours à la Giordano Bruno Globalshift University. Une qualité autre que celle contenue dans les éléments émerge, se manifeste. Certains l’appellent information, d’autres conscience, car il semble quand même bien y avoir une intelligence à l’œuvre. Au cours de son évolution, la vie aurait donc tendance à se complexifier. Elle produirait constamment de nouvelles formules, avec les mêmes éléments de base, permettant l’apparition de capacités et états de conscience novateurs. « Comme l’explique le biologiste Ludwig Van Bertalanffy, l’évolution crée à chaque étape une nouvelle stabilité dynamique d’une complexité supérieure. Une nouvelle conscience émerge, qui unifie les informations échangées entre les composants », poursuit Erwin Laszlo. Nous sommes une sorte de table périodique des éléments organisée en une splendide mosaïque en 3 – et peut-être plus – dimensions qui donne la vie à la conscience humaine.
Un micro-écosystème en dialogue constant avec le monde