Interview de Kari Jackson, Directeur Exécutif de Sustainable Run for Development (SURUDEV), Cameroun.

 Les régions montagneuses de l’Ouest Cameroun abritent près de 35 espèces d’oiseaux endémiques. C’est la troisième région écologique la plus riche en oiseaux d’Afrique. Cependant, les activités humaines ont profondément contribué à dégrader, à fragmenter et à isoler les dernières zones forestières de la région. La forte croissance de cette population d’oiseaux, estimée à 2,4 pour cent par an, est la preuve que leur habitat naturel, les forêts, sont très menacées et ont perdu leur quintessence suite aux facteurs suivants : la conversion d’une bonne partie des terres à l’agriculture, les prélèvements abusifs d’écorces d’arbres pour ravitailler la filière de la médecine traditionnelle, les feux de brousse, les chasses diverses d’animaux de brousse ainsi que la coupe du bois pour le chauffage et la construction. Ces activités ont mis la vie des oiseaux endémiques en danger et ils vont inévitablement vers leur disparition. SURUDEV (Course Soutenable pour Développement) travaille en étroite collaboration avec ses partenaires pour sauver le restant des populations d’oiseaux, à travers la recherche, la sensibilisation et le plaidoyer. SURUDEV travaille actuellement dans la forêt de kom-Wum, dans la réserve forestière d’Ako-Mbembe, dans la forêt de Bakanki-Finge de Tubah, dans le nouveau parc national de Fungom-Kimbi récemment créé et aussi dans d’autres réserves forestières des régions montagneuses de Bamenda.

 François Tekam : Les activités SURUDEV couvrent tous les secteurs de l’environnement. N’est-ce pas trop pour une jeune organisation comme la vôtre ?

Kari Jackson : Je crois que c’est par vocation que nous sommes sur ces terrains. Être passionné d’un sujet pour lequel vous avez été formé à l’école donne plutôt un élan supplémentaire pour réussir. Nous sommes certes une jeune organisation mais nous sommes déterminés à mener notre mission de préservation des ressources environnementales. Nous touchons presque à toutes les sphères de l’environnement mais nous concevons aussi des projets qui sont diversifiés. Cette stratégie nous permet d’être objectifs et un jour nos objectifs seront atteints.

FT : L’un des importants projets que vous pilotez est la protection des oiseaux. Le Cameroun compte plus de 969 espèces d’oiseaux, combien d’espèces protégez-vous ?

KJ : Toute la région montagneuse du Nord-Ouest compte 35 espèces d’oiseaux.  Dans cette région écologique, nous nous sommes engagés à protéger exceptionnellement 7 espèces qui sont en voie de disparition. Il s’agit de l’Oeil du Barbillon Rayé, le Turaco de Bannerman, la Montagne Greenbul, le Bamenda Apalis, le Bangwa Forest fauvette, le Tisserand de Bannerman, et le Green Breasted Bush Shrike.

FT : Comment expliquez-vous le fait que vous protégiez des oiseaux qui sont pourtant libres dans le ciel ?

 KJ : Les oiseaux sont une partie intégrante du vivant dans le monde. Le travail de conservation d’oiseaux entrepris par SURUDEV consiste en la restauration de leurs habitats que sont les forêts ainsi que des actions auprès des populations locales afin qu’elles adoptent de nouvelles habitudes envers ces espèces et leur milieu de vie. Nous ne les gardons pas en captivité ce qui serait d’ailleurs contre la loi. Premièrement, nous sensibilisons les communautés, surtout celles qui vivent aux alentours des forêts. Avec à l’appui des supports d’éducation et d’information tels que posters, brochures et catalogues. Le but est de familiariser ces populations avec ces oiseaux, qui ne seront plus chassés. Deuxièmement, nous encourageons ces communautés à développer des modes de vie alternatifs, surtout en ce qui concerne la chasse des oiseaux et la coupe du bois de chauffage, qui détruit fondamentalement leur habitat.

FT : Quels sont selon vous les facteurs qui contribuent à la destruction des habitats d’oiseaux dans cette zone écologique ?

KJ : Les principaux facteurs sont toutes des activités humaines qui tirent partie de la forêt à savoir : la destruction de la forêt pour faire des champs ou faire paître les bêtes, les feux de brousse qui, le plus souvent détruisent des hectares entiers de forêts ; les coupes aveugles d’arbres de forêt qui servent à la construction immobilière et aux familles comme bois de chauffage ; la chasse d’oiseaux pour la médecine traditionnelle, la décoration et leur chair.

FT : Le projet Agroforesterie que vous avez lancé en 2007 a-t-il eu l’impact que vous attendiez ?

 KJ : L’impact est graduel depuis 2007. Surtout, il y a un grand besoin de former les populations locales aux techniques d’agroforesterie. Sur ce plan, je peux dire que c’est un grand succès parce que nous sommes arrivés à encadrer et à former plusieurs agriculteurs dans plus de 13 communautés. Aujourd’hui, beaucoup d’entre eux récoltent déjà des fruits des arbres plantés dans le cadre du projet.  C’est un rêve qui devient ainsi réalité.

FT : C’est quoi le concept green school ?

 KJ : Green School est une partie intégrante de notre programme d’éducation à l’environnement. Le but est  d’inculquer aux jeunes des universités, des lycées et des écoles primaires des notions de protection de l’environnement. Ceci se déploie à travers des activités sur la conservation, l’agriculture, la gestion du gaspillage, l’énergie verte, l’arbre ainsi que d’autres actions qui permettent de lutter contre les changements climatiques afin d’assurer un avenir meilleur aux générations à venir.

FT : Les environnementalistes s’accordent sur le fait que les millions de plants d’eucalyptus que compte la région du Nord-Ouest ont fondamentalement affecté les ressources en eau de cette région. Qu’en pensez-vous ?

 KJ : La situation est précaire et lamentable. Nous sommes tout à fait d’accord que certaines localités souffrent de manque d’eau aujourd’hui à cause de ces arbres. A SURUDEV nous nous sommes penchés sur la question en transformant les communautés en un Eldorado de durabilité. Nous travaillons dans les localités comme celle du plateau Nkambe dans le but de trouver des mesures efficaces pour remplacer ces arbres trop préjudiciables pour l’environnement. Notre programme s’inscrit dans une campagne anti-eucalyptus ; mais, dans cette campagne nous ne décourageons pas les populations à planter les eucalyptus, nous leur recommandons de planter des arbres moins préjudiciables pour l’environnement à l’instar du Grevillea. Sur le plan pratique, une zone verte de plusieurs mètres doit être respectée aux abords des captages d’eau et canaux des ruisseaux. Afin de toucher un plus grand nombre de personnes, nous travaillons avec les autorités municipales à cet effet.

FT : Comment ces arbres qui sont pourtant très utilisés par la société nationale d’électricité et dans l’immobilier peuvent-ils être efficacement remplacés ?

KJ : Ce n’est pas un appel pour un remplacement total de ces arbres. Nous demandons qu’un minimum de mesures environnementales soient prises en compte quand on plante ces arbres. Il est vrai qu’ils sont très utiles dans le transport d’électricité et dans le bâtiment; mais aussi, la Société nationale d’électricité a besoin d’eau pour produire cette électricité.  Le Grevillea est une essence qui peut produire aussi des perches comme celles produites par les eucalyptus et qui sont très recherchées dans le bâtiment. D’autre part, un arbre comme le Robuster G est une très bonne alternative. C’est un arbre écologiquement favorable qui se prête bien à la culture des produits agricoles contrairement aux eucalyptus. Le Robuster G  ne consomme pas beaucoup d’eau pour sa croissance comme l’eucalyptus mature qui a besoin des gallons d’eau par jour.

 

FT : Tous ceux qui visitent la ville de Bamenda ces derniers mois par la descente de Up Station ne sont plus émerveillés par la seule vue panoramique sur la ville, mais aussi par une forte colonie de chauves-souris qui peuplent les eucalyptus dans cette descente. Dans quelle catégorie classez-vous ces mammifères volants, doivent-ils être aussi protégés?

La chauve-souris colonise habituellement de façon saisonnière les arbres, les maisons, les grottes, etc.  Elle est considérée comme un oiseau migrateur et a besoin de beaucoup d’attention. Les chauves-souris sont donc dignes de protection. En fait, au terme de nos activités sur la protection d’oiseaux endémiques dans les localités montagneuses de Bamenda, nous envisageons de nous engager dans la protection d’oiseaux migrateurs à l’instar des chauves-souris. C’est un des oiseaux les plus simples à observer et qui peut attirer des touristes plus facilement.

FT : A quand l’extension de vos activités dans d’autres régions du Cameroun qui abritent d’importantes espèces d’oiseaux à protéger?

 KJ : Très bonne question. Nos activités et projets seront bientôt étendus sur le territoire national. Rendez-vous sur notre site www.surudev.org. Nous acquerrons une main-d’œuvre dédiée aussi bien qu’un personnel très compétent de façon à pouvoir faire prendre à l’organisation l’ampleur qu’elle mérite.