Par Charlotte Durand pour La Relève et la Peste
Dans l’entreprise Scarabée Biocoop de Rennes, le système hiérarchique pyramidal a été abandonné début 2015. A la place a été adoptée l’holacratie. Retour sur un système alternatif qui séduit de plus en plus.
Qu’est-ce que l’holacratie ?
C’est en février 2015 que l’entreprise Scarabée Bioocop de Rennes se lance dans l’aventure de l’holacratie. Mais qu’est-ce que cela, au juste ? L’holacratie – mot provenant du grec « holos », signifiant « tout » – est un système dans lequel des entités autorégulées fonctionnent à la fois de manière autonome mais aussi comme partie d’un tout dont elles sont dépendantes. Leur seul impératif : suivre la « raison d’être » de l’entreprise, la mission selon laquelle elle s’est définie. Pour la coopérative rennaise, il s’agit, par exemple, d’être « Bio, créateur, et exemplaire ».
Théorisé par Brian Robertson en 2001, ce système passe, plus concrètement, d’une organisation pyramidale à une organisation en cercles concentriques, imbriqués les uns dans les autres. L’entreprise n’est plus régie selon un système de postes (forcément hiérarchiques), mais selon un système de « rôles », chaque rôle se référant à une tâche concrète (par exemple, servir à la caisse, s’occuper des déchets, gérer les fiches de paye etc.) En général, chaque employé en cumule quatre ou cinq, en fonction de ses compétences et ses envies.
L’intérêt de ces rôles ? Savoir exactement où le travail de chacun s’arrête et qui contacter en cas de problème. Mais aussi et surtout : permettre l’épanouissement personnel sans pression hiérarchique, responsabiliser chaque partie de l’entreprise. En effet, chaque rôle correspond à un périmètre de décision et d’action dans lequel l’employé n’a pas besoin de demander de validation.
Décider à plusieurs et évacuer les tensions
Ce qui change le plus radicalement dans cette façon de penser l’organisation du travail, c’est l’horizontalité : plus de chef, de directives qui viennent d’au-dessus sans qu’on n’en connaisse les tenants et les aboutissants. Tout est décidé en réunions collectives, entre membres d’un même « cercle » – entités autonomes regroupant des rôles proches : par exemple, à Scarabée Biocoop, le cercle «magasin Cesson » gère l’espace de vente ; le cercle « laboratoire » développe des produits de traiteur bio ; le cercle « communication, animation, partenariats » est chargé de mettre en lumière les activités de la société coopérative, etc.
Les décisions sont prises selon la « gestion par consentement », c’est-à-dire que les propositions sont reformulées en intégrant les objections et modifications de chacun, jusqu’à ce qu’elles fassent le consensus.
Autre grand pari de l’holacratie : évacuer les tensions en réunion. Chaque personne peut prendre la parole afin de vocaliser ce qui nuit au bon fonctionnement de l’entreprise, sans craindre les retombées hiérarchiques. C’est, estime l’ancienne présidente, la phase de transition la plus longue, les salariés ayant peur, au début, de prendre la parole. Mais une fois les problèmes vocalisés et les tensions résolues, l’entreprise n’en est que plus efficace.
Les bienfaits d’une nouvelle forme d’organisation
Chez Bioocop, pratiquement tout le monde est convaincu par ce nouveau plan d’organisation, autant sur le plan personnel que pour l’efficacité de l’entreprise. Isabelle Baur, son ancienne présidente, estimait que « l’organisation hiérarchisée du début ne fonctionnait plus ». Les temps de réunion étaient trop longs, détachés des réalités concrètes du terrain, les employés ne comprenaient pas les décisions qui leur étaient imposées, etc. Elle juge que cette organisation horizontale a amélioré l’efficacité de la Biocoop : « Il n’y a plus de décisions non appliquées».
Et les salariés, eux aussi, sont contents : Isabelle Uguen estime ainsi que la nouvelle organisation lui a permis de se consacrer davantage aux missions qui lui tenaient plus à cœur, alors qu’avant, elle s’éparpillait dans des tâches qui n’étaient pas les siennes. D’autres apprécient d’avoir une vision plus globale de leur travail, de pouvoir participer aux décisions, d’être en contact avec plus de monde au sein de l’entreprise, grâce au système de cercles.
Une transition qui n’est pas à la portée de tous
Néanmoins, le nouveau système ne fait pas l’unanimité. Si l’holacratie permet de « libérer énormément d’énergie, une motivation et une implication qui n’existaient pas au départ », certaines personnes ne sont pas toujours prêtes au changement. Les spécialistes de la mise en place holacratique identifient deux profils particulièrement vulnérables : « les anciens directeurs qui ont du mal à lâcher les manettes » et « les gens qui n’arrivent pas à s’autonomiser ».
Pas seulement pour les petites entreprises !
Pourtant, le système est réellement efficace. Certains de ses détracteurs craignent la lenteur du processus, d’innombrables réunions, etc. Mais pourtant il n’en est rien, bien au contraire ! L’holacratie est un système qui fait ses preuves, et pas uniquement sur les petites structures : la Scarabée Biocoop n’est déjà pas un petit organisme, puisqu’elle regroupe près de cinq magasins, trois restaurants, un snack et un service de traiteur bio.
Mais de plus grosses structures commencent aussi à adopter le système développé par Brian Robertson : Zappos, Danone ou encore Castorama, ces géants ont d’ores et déjà installés des unités pilotes de 300 personnes au sein de leur entreprise. Et si Scarabée Biocop avait choisi l’holacratie pour « remettre l’humain au centre et être cohérent avec ses valeurs », les grosses firmes se tournent vers ce système pour « l’agilité, la mutabilité, l’adaptabilité ». Un pari à suivre.