« Le capital n’est donc pas seulement comme le dit Adam Smith le pouvoir de disposer du travail d’autrui. C’est donc essentiellement le pouvoir de disposer du travail non payé. » Karl MARX
A la fin de la Seconde guerre mondiale, on utilisait des prisonniers de droit commun pour déminer les plages de Normandie ; aujourd’hui, on exploite des travailleurs « protégés » pour trier vos ordures chimiques que vous laissez – à même le quai de la déchetterie.
Dieulefit : vos déchets chimiques triés à la main gratuitement par un travailleur handicapé.
Ils s’appellent Octave, Kasi, Easy (1), Jean-Michel et Joseph, presque tous handicapés psychiques, appartenant à une entreprise dite adaptée.
Depuis des années, à la grande satisfaction de leurs protecteurs – des notables de la région constitués en association –, ces « travailleurs à efficience réduite » (c’est le terme juridique pour les qualifier) sont gardiens des déchetteries de Dieulefit, Lalaupie et celle, parfois, de Bourdeaux.
Certains alternent la mission de gardien et de durs travaux en espace vert, sous la houlette d’ouvriers valides peu économes de leur énergie vitale.
Et ce pour un salaire de misère n’excédant pas 1 118 euros nets par mois lequel, pour le volume de travail accompli, ferait honte à Harpagon.
Pas de prime d’insalubrité, pas de prime d’intempérie, pas de régime de prévoyance. Rien.
Il est à souligner que leurs rémunérations sont payées à 80% par l’Etat, dans le cadre d’une économie soit-disant sociale et solidaire.
Pourquoi se gêner ?
Le propriétaire des déchetteries, la Communauté des communes de Dieulefit-Bourdeaux dont le président est membre, par ailleurs, du conseil d’administration de la dite association et la société gérante de 16 déchetteries, la COVED, ont décidé de livrer ces esclaves dociles à une filière de traitement des déchets, dirigée par 31 requins de l’industrie chimique et 17 de la grande distribution (2), organisés opportunément en éco-organisme.
Pour ce surcroît de travail pénible et dangereux, les parias du monde du travail (la CGT de l’entreprise, aux mains d’hommes valides, ne les défend pas), les handicapés ne seront pas payés ; et – comble du mépris – ne disposeront même pas de la Convention nationale des industries chimiques et connexe.
Prenant la chose avec philosophie, un des ouvriers de l’entreprise adaptée qui fut, pendant quatre ans, gardien de la déchetterie de Dieulefit, déclare : « Les déchets de la société vont avec les déchets ménagers… »
Des esclavagistes et une mafia des déchets adoubés par l’Etat
C’est en 2010, sous le règne de Nicolas Sarkozy, que voit le jour l’article 127 de la loi de finance qui instaure le principe de responsabilité élargie aux producteurs (REP).
Au départ, la chose est louable : il s’agit de faire payer les fabricants pollueurs, de protéger la nature et de séparer les déchets pouvant représenter un risque significatif pour la santé des personnels chargés de trier les ordures ménagères (Article L.541-10.4).
Mais le gisement des déchets diffus spécifiques (DDS : intitulé sous lequel on classe les produits présentant un risque tels les pâteux, les acides, les bases, les comburants, les aérosols, les phytosanitaires, utilisés par les ménages) est une manne trop importante, estimée annuellement à 50 000 tonnes, qui attise bien des convoitises…
A titre de comparaison, un peu moins de 5 millions de tonnes d’emballage, 2 millions de tonnes de papier et près de 1,6 million de tonne d’équipement électroniques et électriques sont mis sur le marché chaque année (source ADEME).
Ce fleuve d’ordures spécifiques, presque infini, attire immédiatement les « metteurs sur le marché » : les réseaux de la grande distribution (Auchan, Carrefour, Casino, Super U, Bricorama, Castorama, Leroy Merlin, etc.) et les fabricants de produits chimiques (Duralex, BHS, 3V3, STO, Soudal, Renaulac, etc.) qui voient ici une opportunité d’élargir leur monopole au traitement de leurs propres produits en fin de vie.
Beaucoup d’entre eux, en effet, comme certains pesticide, herbicide ou insecticide vont être, l’un après l’autre, bientôt interdits par le gouvernement.
Sous l’égide de 10 fédérations professionnelles, ils créent, le 23 avril 2012, une entité, un éco-organisme, EcoDDS, lequel masque l’intérêt mercantile sous l’allure d’un service public.
Le chiffre d’affaires de cette nouvelle forme d’entreprise, société à actions simplifiée, au modeste capital de 70 000 euros est, à la fin de 2014, de 30 614 000.00 euros !
Il est stupéfiant de remarquer que lors de la maigre formation des gardiens (3), Octave, Kasi, Jean-Michel et Joseph, dans les bureaux du syndicat des traitements de déchets (SYPP), le 6 avril 2016 à Montélimar, on ira jusqu’à masquer – outre le chiffre d’affaires – le nom des marques impliquées…
EcoDDS recueillait pourtant officiellement en 2013, une éco-contribution pour la fin de vie des produits ménagers de 14,6 millions d’euro, auprès de la plupart des marques françaises (4) ; et ne reversait la même année que 1,9 million aux collectivités locales !
Premier grand détournement de la loi dite « responsabilité élargie aux producteurs ».
Ce sont les pollueurs, eux-mêmes, qui encaissent au travers l’éco-organisme l’éco-contribution, demandée sur chaque produit en fin de vie et qui organisent, avec les moyens de l’Etat – les déchetteries publiques – le tri sélectif, le transport des déchets spécifiques, leur recyclage ou leur élimination.
Pendant le laps de temps de leur agrément, délivré par l’Etat, qui court du 20 avril 2013 au 31 décembre 2017, EcoDDS ne créera pas de nouvelles déchetteries, ni d’usines de retraitement ni ne formera ou n’embauchera, sur le terrain, aucun technicien qualifié ; mais se greffera comme une mafia parasite sur les infrastructures existantes.
En situation de monopole, EcoDDS – grâce à des arrêtés ministériels – impose virtuellement, de ses bureaux confortables de Boulogne-Billancourt, son diktat et un périmètre d’activités aux collectivités locales, compétentes en matière de traitement des déchets.
Libre aux collectivités de refuser ou non la convention et le mode d’organisation.
Si elles acceptent, elles toucheront un « barême aval national » de 812 euros par déchetterie et de 0,20 euro par usager + un kit dérisoire de formation de 300 euros pour les agents de déchetterie ainsi que des bacs et contenants de location de 60 à 600 litres afin de ranger proprement les déchets de produits dont les fabricants ont payé l’éco-contribution.
Certaines collectivités, dans les régions PACA, Maine-et-Loire et Gironde, se mordent, aujourd’hui, les doigts d’avoir été séduites par la filière : elles sont en procès avec EcoDDS parce que cette dernière a interrompu, de manière arbitraire, les dotations financières et l’enlèvement des conteneurs au prétexte que ces derniers remplis étaient non conformes à l’organisation établie par l’éco-organisme (5).
En fait, les gardiens, plongeant les mains gantés, dans les détritus chimiques dont l’emballage bien souvent n’existe plus, avaient mélangé des produits non identifiés avec des déchets de marque ayant payé l’éco-contribution.
Pas évident au quotidien pour les agents de déchetterie, mal payés, peu instruits, d’intégrer cette tâche très complexe (6) parmi une foule d’autres missions.
Auparavant le tri sélectif, l’identification, l’étiquetage précis voire le reconditionnement étaient réalisés par l’usine CHIMIREC, dans les lieux adaptés avec du personnel qualifié : chimistes et ouvriers possédant au minimum un BTS.
Aujourd’hui, EcoDDS et la collectivité sous son joug ont échangé la sécurité et la santé du gardien contre une poignée de dollars et un maximum de risques !
Deuxième grand détournement de la loi dite « responsabilité élargie aux producteurs ».
Pas un centime d’euro n’est versé, de la poche de l’éco-organisme, à l’agent de déchetterie, surchargé de travail, placé pourtant au cœur du dispositif.
La valorisation du métier n’est pas un de leurs objectifs.
En outre, les déchetteries ne bénéficient, à ma connaissance, d’aucun investissement pour les aménager afin qu’elles puissent satisfaire aux travaux demandés : tri sélectif, identification des agents chimiques, stockage volumineux des produits dans un local aux normes ICPE 2710-1, étiquetage et reconditionnement des déchets dangereux fuyant.
Les déchetteries de Dieulefit et de Lalaupie satisfont à peine aux normes ICPE 2710-2 (7) d’un centre de transfert et regroupement.
Comment dés lors expliquer – sinon par la corruption – que certaines collectivités aient accepté une telle filière sur leur territoire ?
Une convention qui interdit la grève
Ce qui choque le plus, dans la lecture de la convention, signée volontairement par la Communauté des communes, c’est l’article 2 relatif à la suspension du contrat :
« Elle (la convention) est suspendue en cas de déclaration de force majeure par l’une des parties. Est assimilé au cas de force majeure et emportera les mêmes effets tout cas de grève du personnel chargé de l’exploitation des déchetteries, ou des prestataires chargés par EcoDDS de l’enlèvement ou de la gestion de DDS. » (8)
Or une grève interne à l’entreprise (fut-elle sous-traitante) ne constitue pas en soi un cas de force majeure, puisque l’employeur peut y mettre fin en acceptant les revendications des employés.
Cette atteinte au droit de grève signifie, en fait, que nous sommes ici dans une relation qui n’est plus régie par le code du travail et les conventions collectives ; mais par des impératifs économiques communs peu avouables.
Il s’agit pour les deux parties de réduire au maximum le coût du traitement des déchets dangereux en économisant sur les conditions de travail, la santé du gardien, et le salaire des prestataires.
Il est significatif que dans les 27 pages de la convention d’EcoDDS, pas un mot n’est dit sur les valeurs limites d’exposition professionnelle aux agents chimiques en France (9).
Dernier grand détournement de la loi dite « de la responsabilité élargie aux producteurs » : celui des codes de la santé et de l’environnement.
Un gardien, Jean-Michel, au risque de perdre son poste a posé, par écrit, trois questions (10) au syndicat des traitements des déchets des Portes de Provence, EcoDDS, à la Communauté des communes de Dieulefit-Bourdeaux, à la COVED et à son entreprise adaptée :
- Comment un organisme agréé par le gouvernement peut-il en dépit du décret de 2003 (11) relatif à la manipulation des substances toxiques et des conventions luttant contre les maladies professionnelles exiger d’un gardien de déchetterie, mal payé, une telle accumulation de besognes et une telle mise en danger de sa personne ?
- Pourquoi la communauté des communes de Dieulefit et de Bourdeaux n’embauche-t-elle pas un spécialiste, chargé de cette opération ?
- Où va l’argent récolté par EcoDDS auprès des fabricants ?
A ce jour, la mafia des déchets et leurs suppôts n’ont pas daigné lui répondre.
Dieulefit, le 23 avril 2016
- Les prénoms ont été changés sauf le mien.
- https://www.ecodds.com/assets/..
- C’est un prestataire de service, l’IFD de Chambéry qui s’occupe de la mascarade de formation. Il est à noter que le formateur stipendié par EcoDDS n’apprend pas aux agents de déchetterie à discriminer les substances dangereuses CMR des autres DDS… https://www.ecodds.com/assets/admin/Rapport-dactivite-au-31.2014.pdf
- https://www.ecodds.com/assets/admin/Rapport-dactivite-au-31.2014.pdf
- http://www.environnement-fr/article/45534-des-collectivites-trainees-en-justice-par-ecodds/
- http://www.actu-environnement.com/ae/news/dechets-diffus-specifiques-tension-ecodds-collectivites-24159.php4
- http://www.entreprises.cci-paris-idf.fr/web/environnement/dechets/installations-collecte-traitement-dechets/cadre-reglementaire-decheterie
- http://www.siom.fr/sites/default/fi…
- http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/Chap_07.pdf
- https://www.facebook.com/notes/jean…
- http://www.efficience-org/…