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,L’imposition du mémorandum d’austérité à la Grèce le 13 juillet 2015 aura marqué les esprits : les institutions de l’Union européenne (UE) sont apparues pour ce qu’elles sont, une machine à punir les peuples, anti-démocratiques et austéritaires. L’écrasement de la possibilité d’une alternative réelle après la victoire de Syriza, la négation des résultats électoraux, l’interdiction faite aux vainqueurs du scrutin de rompre avec la doxa libérale le prouvent : l’UE est un instrument politique de spoliation de la souveraineté des peuples et donc de négation de la démocratie. Cette réalité n’est aujourd’hui plus contestable par personne. Le choc est rude, mais contraint les organisations de la gauche de transformation sociale et démocratique, les syndicats de lutte et tout le mouvement altermondialiste à une évolution salutaire.
Il était temps. C’était déjà pourtant évident dès 2007. Cette année-là, le traité de Lisbonne signé sans consultation des peuples a permis de contourner le rejet deux ans plus tôt du traité constitutionnel européen par les citoyens consultés par référendum, comme ce fût le cas en France.
Malgré tout, les organisations de gauche radicale ont continué de parier sur la démocratisation de l’Union européenne, sur la possibilité de faire évoluer dans un sens progressiste des politiques menées (la fameuse et introuvable « Europe sociale ») dans un espace politique européen que nous étions constamment invités à construire et à investir.
De ce point de vue, le livre d’Attac et de la Fondation Copernic – Que faire de l’Europe ? Désobéir pour reconstruire (Les Liens qui Libèrent, Paris, 2014) – qui a servi au mouvement altermondialiste de vademecum, a marqué un sommet en affirmant dans ses conclusions que les conditions de la« refondation de l’Europe » passaient entre autres par « l’irruption d’insurrections civiques dans plusieurs pays », et ce « à grande échelle ».
Cet espoir est aujourd’hui en miettes : il n’y a plus aujourd’hui de raison de croire, ni de faire semblant de croire, que l’UE puisse être réorientée en institution génératrice de progrès social. Pire même, ce refus d’entamer un débat sur la nature démocratique de l’UE a laissé aux seules organisations d’extrême droite le champ de la critique structurelle sur le sujet.
Cela constitue une des raisons majeures de l’adhésion de plus en plus massive des classes populaires et ouvrières à ces formations. En effet, ce sont ces populations qui ont le plus subi les méfaits des politiques ultralibérales menées dans le cadre de l’UE.
Ces classes sociales ont alors légitimement le sentiment d’être abandonnées depuis des années par leurs représentants. Le caractère ultralibéral de l’UE n’a effectivement pas attendu la mise en place, de façon autoritaire, des politiques d’austérité après la crise financière de 2008 pour se révéler.
L’Union européenne est consubstantiellement libérale
La concurrence a toujours été, depuis le Traité de Rome, le seul dénominateur commun autour de quoi l’Union européenne s’est organisée et, avant elle, ses ancêtres la Communauté économique européenne (CEE) et le Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA).
Dès 1957, l’Europe s’est construite autour du libre-échange : instauration d’un tarif douanier extérieur commun (les marchandises entrant dans l’espace européen sont taxées de la même façon quel que soit le pays) et disparition des droits de douane sur les biens circulant à l’intérieur du territoire européen (disposition effective en 1968). La décennie 1980, avec l’arrivée au pouvoir des néolibéraux thatchériens et la conversion des socialistes au modèle libéral (sous l’influence notamment de Jacques Delors, futur président de la Commission européenne) a définitivement ancré le néolibéralisme au coeur du projet européen. L’Acte unique, signé en 1986, établit la liberté de circulation des marchandises, des capitaux et la liberté de prestation de service et d’installation comme les principes d’organisation économique de l’espace européen.
Cette orientation néolibérale va prendre une dimension supplémentaire avec l’entrée dans l’Union européenne des pays de l’ex-bloc de l’Est : les standards sociaux, environnementaux, fiscaux étant beaucoup plus faibles dans ces Etats, la libre circulation (entendre : le commerce non régulé) sur le territoire européen va provoquer une vague de délocalisations intra-européenne dont vont profiter les entreprises des pays riches de l’UE. Au-delà, la mise en concurrence des économies européennes permises par ce libre-échange absolu va provoquer à l’échelle du continent une course sans fin vers la recherche d’une impossible compétitivité. Dans cette perspective, les systèmes sociaux sont ainsi rabotés, réduits, supprimés.
Les traités européens sont la « constitution » de l’Union. Ils sont placés au sommet de la hiérarchie des normes et s’imposent aux législations des Etats membres, la Cour de justice de l’Union européenne y veille scrupuleusement. Les principes néolibéraux étant inscrits dans ces textes, les droits nationaux doivent s’y conformer. C’est ainsi que les secteurs de l’énergie, de la poste, des transports ont été dérégulés. Les traités qui se sont depuis lors succédés ont tous renforcé cette conception libérale de la construction européenne.
Rompre avec l’Union européenne, l’évidence démocratique
Dès lors, le fossé ne cesse plus de se creuser entre les discours à usage des peuples (l’Europe comme moyen de rapprocher les peuples, de contribuer à la prospérité et de construire un « modèle social ») et la réalité : l’Union européenne est férocement libérale et austéritaire, elle corsète les peuples à l’intérieur d’un ordolibéralisme imposé par le gouvernement allemand avec la complicité du gouvernement français.
Il n’y a rien à espérer de l’Union européenne telle qu’elle est, construite sur des principes juridiques irréconciliables avec le progrès social et démocratique. En sortir est un préalable nécessaire à toute action politique qui se veut progressiste, ou tout simplement respectueuse des volontés populaires.
Désormais, nombreux sont nos amis qui prônent les ruptures avec l’Union européenne pour lesquelles nous plaidions vainement dans nos organisations depuis des années. Nous ne pouvons que nous réjouir que les esprits évoluent dans le bon sens. Nous disons également qu’une sortie de la crise dans laquelle nous nous trouvons est possible et elle est possible par le haut.
Le piège du débat sur le repli national
Bien au-delà d’orientations et de choix économiques, la crise actuelle en Europe est une crise de démocratie. Le choix du libre-échange et la dérive austéritaire et autoritaire des institutions de l’UE ont privé les peuples de la capacité d’exercer la souveraineté, le piétinement par deux fois des choix électoraux du peuple grec l’ayant démontré de façon éclatante.
Or, et ce concept aussi fondamental est parfois oublié, l’exercice de la souveraineté par le peuple, c’est la définition même de la démocratie. Face au constat que l’Union européenne, de par ses traités fondateurs et son fonctionnement le rend impossible, la rupture avec l’Union européenne est une étape nécessaire pour le rétablissement de la démocratie.
Si le cadre européen est devenu non pertinent pour l’exercice de la souveraineté populaire, replacer celui-ci sur un cadre national paraîtrait en effet s’imposer naturellement. Et c’est de cela dont se défie la gauche, bien souvent viscéralement opposée à toute idée de « nation », entendue comme « nationalisme ».
En réalité, nous affirmons que la question n’est pas là : elle doit être celle de la reconquête de la souveraineté populaire. Si aujourd’hui l’espace européen apparaît invalidé pour l’expression de cette souveraineté, ce n’est pas pour autant que nous défendons qu’il doit se résumer à celui de la nation, sans autre considération que celle d’un retour à un âge d’or national (avant les années 1980) qui n’a en réalité jamais existé.
Le système politique dans lequel nous vivons souffre de ce qu’il n’est pas démocratique, et ce à l’échelon européen, mais également à l’échelon national. Il doit d’ailleurs être noté que les abandons successifs de souveraineté à l’UE néolibérale ont été consentis, construits et voulus par des gouvernements nationaux. L’UE a été le vecteur utile de contournement de l’expression citoyenne, des protections sociales et des solidarités nationales. Le cynisme a culminé et culmine toujours lorsque cette démarche a été justifiée au nom d’un idéal généreux de dépassement des égoïsmes nationaux, brouillant tous les repères politiques citoyens.
Sortir de l’UE s’impose comme une évidence démocratique, mais cela doit s’accompagner d’une réflexion profonde sur le fonctionnement démocratique national, et tout particulièrement en France.
Le blocage national est connu, il est crucial : le fonctionnement réel de la Vème République en France est un trou noir pour la démocratie. Ce système essoufflé, qualifié de semi-présidentiel par certains constitutionalistes est à un système absolutiste, au sens premier du terme : un homme (ou une femme) providentiel(le) sort du chaudron médiatico-politique tous les cinq ans, devient président(e) et à partir de là, tout dépend de lui (ou d’elle). Un parlement godillot, des partis politiques godillots, une superstructure administrative et technocratique qui fait le travail voulu par les lobbies d’affaires. Nous sommes en réalité dans un système qui allie faiblesse, ignorance du peuple, confusion des pouvoirs, collusion permanente. Et sont sacrifiés les avancées sociales pourtant obtenues de haute lutte, le modèle social minimal pour un vivre ensemble qui actuellement ne semble plus avoir de sens.
A court terme, la souveraineté populaire retrouvée ne pourra sans doute que s’exercer à l’échelon national. C’est sur ce territoire que s’organisent encore aujourd’hui les consultations électorales, que sont constitués les syndicats à même de mener la lutte, que sont élaborés les programmes de rupture portés par des organisations politiques.
Néanmoins, si retrouver un souffle de souveraineté sur ce terrain national est une étape nécessaire, il ne faudrait en aucun cas se satisfaire de cette première démarche et ne pas entamer tout de suite le chantier de la rénovation démocratique, à l’échelle de la nation d’abord.
Ouvrons le débat démocratique !
Le travail est immense. Mais il l’est toujours, c’est une constance historique. Il passe par une un acte inaugural, l’an zéro de nos batailles et de nos mobilisations à venir : casser le carcan. Il est clair désormais que le carcan, c’est l’Union européenne. Juillet 2015 a permis de montrer à tous et à toutes la réalité de cette Union européenne qui permet aux gouvernements d’exercer leur brutalité sans retenue. Demain sera le tour de l’Espagne, du Portugal, de l’Italie. Puis de la France. De la France très rapidement. Nous, mouvements sociaux, citoyens et citoyennes attachés aux valeurs simples de la démocratie devons nous mettre en ordre de bataille. Il serait nocif de disserter longuement sur les jeux de billards à trois bandes, sur les conditions politiques pour mener les ruptures, il serait nocif de nous enfermer dans des discussions de tactiques, telles que celles qui fleurissent actuellement dans nos mouvements et pour lesquels nous avons un fort penchant. La question n’est pas, n’est plus économique. La réponse ne peut donc plus être purement technique : le débat ne peut se limiter à être pour ou contre la sortie de l’euro. La monnaie n’est qu’un instrument, ce choix n’est donc que secondaire, il ne fera que suivre le choix démocratique.
Reconquérir la souveraineté doit redevenir l’essentiel. Si le peuple ne se défait pas de l’UE, s’il ne reprend pas son destin en main dans un cadre vraiment démocratique, toute perspective de progrès social est appelée à rester vaine. C’est pourquoi cette question de l’UE concerne aujourd’hui toutes les composantes de la gauche, partis politiques, syndicats, mouvements associatifs et altermondialistes. Et il est grand temps de reprendre le terrain du débat et des propositions fortes, pour ne pas laisser l’extrême droite prospérer en 2017.