France. La réforme de la Constitution menace d’ériger les mesures d’urgence en nouvelle norme

L’état d’urgence décrété pour trois mois prendra fin le 26 février 2016.

Le projet de réforme de la Constitution française – s’il est approuvé par le gouvernement lors du Conseil des ministres prévu mercredi 23 décembre – permettrait aux autorités de prolonger certaines mesures d’urgence pendant six mois après la fin de l’état d’urgence.

« Il risquerait d’exposer de nombreuses personnes à des violations des droits humains en donnant aux autorités administratives carte blanche pour procéder à des perquisitions sans autorisation préalable d’un juge, imposer des assignations à résidence, fermer des associations et restreindre d’autres droits fondamentaux, notamment le droit de se réunir pacifiquement », a déclaré Amnesty International.

« Décréter l’état d’urgence dans des situations de danger public exceptionnel telles que les attentats de Paris peut s’avérer légitime, mais élargir ces mesures pour contrer des menaces définies dans des termes vagues n’est pas recevable », a déclaré Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France.

« Le risque est réel de menacer les droits fondamentaux d’une plus grande partie de la population. Des personnes se retrouvent ainsi prises au piège dans un filet censé ne cibler que celles représentant une véritable menace. De nombreuses personnes sont dans le collimateur uniquement en raison de leur pratique religieuse ou de vagues soupçons. »

Une vague de perquisitions administratives

De nombreuses personnes ont raconté à Amnesty International avoir été traumatisées par des perquisitions conduites à leur domicile. Elles n’ont pas eu d’explication quant aux motifs de la perquisition ni quant à l’objet des recherches.

« Mon père souffrait de problèmes cardiaques, il venait de sortir de l’hôpital. Les policiers ont forcé la porte d’entrée, sans sonner, ils ont fait irruption dans l’appartement, ont commencé à crier, et ont menotté mon père et ma sœur », a raconté Nadia, dont le père âgé de 80 ans vit avec sa fille handicapée, aux chercheurs d’Amnesty International après une descente effectuée le 21 novembre.

« Mon père ne se sentait pas bien et au bout de quelques minutes, il a perdu connaissance. Ils ont dû appeler une ambulance… Il était terrifié et pleurait beaucoup lorsque nous lui rendions visite à l’hôpital les premiers jours. » 

Selon les autorités, les 2700 descentes effectuées au mois de novembre n’ont donné lieu qu’à deux enquêtes préliminaires pour des infractions liées au terrorisme. 488 procédures judiciaires ont également été ouvertes, mais là encore pour des infractions pénales non liées au terrorisme. Ces chiffres mettent en doute le caractère nécessaire et proportionné de cette mesure de protection de l’ordre public.

Restrictions de la liberté de mouvement

Au cours de la même période, 360 personnes ont été assignées à résidence, tenues de résider dans un certain secteur et de se présenter trois fois par jour au commissariat de leur quartier. Cette mesure restreint fortement leur liberté de mouvement et a des conséquences négatives sur leur vie privée et professionnelle.

Un consultant indépendant en région parisienne a déclaré à Amnesty International qu’il était assigné à résidence depuis le 15 novembre, date à laquelle la police s’est présentée à son domicile en raison de son lien présumé avec des musulmans « radicaux » et des personnes qui s’étaient rendues en Syrie.

Selon lui, il ne connaissait que vaguement une des personnes dans la longue liste présentée par les autorités. Être assigné à résidence et devoir pointer au commissariat plusieurs fois par jour a contraint ce père de trois enfants à annuler tous ses engagements professionnels. Il redoute les répercussions qu’aurait la prolongation de l’état d’urgence pour sa famille.

« J’ai vraiment peur qu’il ne soit renouvelé. Cela signifierait que les mesures prises à mon encontre se prolongeraient également, et que je ne pourrais peut-être pas travailler pendant des mois. ».

Un « filet » discriminatoire 

Ces mesures d’urgence, sur le long terme, risquent d’être utilisées contre des groupes spécifiques, notamment des individus et des associations musulmanes. Au titre de l’état d’urgence, plus de 20 mosquées et plusieurs associations musulmanes ont fait l’objet de perquisitions et une dizaine de mosquées ont été fermées.

« J’ai l’impression que si vous affichez votre religion, si vous portez une barbe, un symbole ou un vêtement religieux, ou si vous priez dans une certaine mosquée, vous pouvez être considéré comme  » radical  » et donc pris pour cible », a déclaré Amar à Amnesty International, dont le domicile a été perquisitionné.

« Si l’on s’efforce de ne pas trop afficher sa religion, ils pensent que l’on a quelque chose à cacher. Nous ne savons pas comment nous sommes supposés nous comporter. »

Bien que le Conseil d’État, la plus haute instance administrative du pays, ait émis des réserves à l’encontre des mesures d’état d’urgence transitoire proposées, le projet de réforme de la Constitution, s’il est adopté demain, sera alors soumis au vote du Parlement en 2016.

« Ces mesures d’urgence s’avèrent déjà disproportionnées. Les prolonger en dehors de l’état d’exception serait dangereux », a déclaré Gauri van Gulik, directrice adjointe du programme Europe et Asie Centrale d’Amnesty International.

« Utiliser la menace terroriste pour modifier la Constitution ouvre la brèche et risque d’ériger les mesures d’urgence en nouvelle norme. »

 

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